L’intellectuel mauricien, le néant de l’être

Il éprouve, quand il donne cette conférence, un sentiment de vaste bonheur, il ne parle pas, à vrai dire, il éructe, il vocifère, effluves de mots qui émanent de sa bouche, maîtrise parfaite de la langue, son accent est cependant atroce, on pourrait croire qu’il a une patate chaude dans la bouche, qu’importe car il ne parle pas pour les autres, pour son auditoire, il parle pour lui-même, il adore s’écouter, il vénère son intelligence, sa faculté à dompter les idées, il aime ces mots qu’il débite à un rythme frénétique, – transcendance, osmose ou encore syntaxique –, il n’est de plus grande jouissance, il est dans la peau d’un professeur, de Harvard ou de la Sorbonne qui dévoile son savoir, qu’importe l’indifférence de l’auditoire qui ne comprend rien à ce qu’il dit, qui le trouve ennuyeux et prétentieux, qu’importe puisqu’il sait ce qu’il est, un grand esprit, dans ce monde fait de bêtise, c’est le destin de l’intellectuel, d’être incompris, comme l’albatros Baudelairien, il ne veut pas être compris d’ailleurs car qui peut s’élever à son niveau, personne ou presque ne lit ses livres pompeux mais il sait qu’il accédera à la postérité comme un des grands esprits de ce temps, un esprit universel et il adore jouer au personnage de l’intellectuel, toujours élégant, raffiné, toujours prêt à dégainer sa carte de visite, qu’il dégaine à la vitesse de la lumière, sur laquelle figure tous ces titres, il est impressionnant et il veut impressionner, du moins c’est ce qu’il croit, on le trouve souvent ridicule, qu’importe, l’opinion des autres n’a désormais plus d’importance, cela fait des siècles qu’il n’y pense plus et voilà qu’il repart de plus belle, il parvient enfin à l’apothéose de son blabla intellectuel, son discours du moi, je, du je, moi, je pense, je crois, je suis ceci cela, je suis convaincu, je, je, je encore je, ce grand intellectuel mauricien qui n’est au fond qu’un petit intellectuel, ni professeur à Harvard, ni professeur à la Sorbonne, qui n’existe qu’ici bas, sur ce caillou, les grands, les véritables intellectuels partent, tout le monde le sait, ils ne demeurent pas ici, qu’importe, la jouissance de sa parole aveugle et lui font oublier l’essentiel, le néant de son être.

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