LITTÉRATURE : Poème holographique pour un chant tragique

La poétesse Catherine Boudet a publié récemment chez l’Harmattan un texte poétique assez inhabituel dans la vie littéraire puisqu’il prend la forme d’une dramaturgie classique avec des personnages et des choeurs. Par la voix d’une Princesse au corps de tulipe, Bourbon hologramme fait apparaître et disparaître des visions surréalistes, dénonce les folies humaines dans une langue métissée et ravive le chant d’amour d’une princesse et d’un chevalier pour leur île.
Si les personnages de Bourbon hologramme étaient déjà présents dans Poème fleuve pour une disparue que l’auteur avait publié à L’Atelier, le dispositif théâtral fait de dialogues et de chants est nouveau dans sa production. Aussi l’est-il pour le lecteur qui pourra penser aux tragédies classiques grâce à la présence de choeurs, à la solennité des personnages et à la gravité de leur propos. Mais il réalisera aussi très vite l’originalité de ce texte profondément imprégné par l’île volcan, la Réunion, l’île natale de l’auteur, tant dans l’onirisme que sa luxuriance, ses eaux et ses cirques lui inspirent que dans l’exaspération qu’elle peut ressentir à l’évocation de certains travers des sociétés insulaires.
Catherine Boudet nous confiait au moment de la publication de ce texte qu’elle avait commencé à l’écrire dans la période particulièrement sombre où elle avait été arrêtée et incarcérée en cellule policière pendant toute une nuit. Depuis, la cour lui a rendu un jugement favorable et rayé les accusations qui étaient portées contre elle, mais l’ironie du sort veut qu’elle soit maintenant menacée par un ordre de déportation de Maurice. « Dans cette période qui m’a mise à terre, j’avais plus que jamais besoin de m’inscrire dans une démarche positive en créant un dispositif nouveau, en construisant le dispositif même de la tragédie. Il m’a semblé que le théâtre était la meilleure forme pour donner leur espace aux personnages de ce texte. J’ai passé beaucoup de temps à agencer les scènes qui le composent. »
Bourbon hologramme se structure en effet en une série de onze petites scènes appelées ici hologrammes. « Princesse avec son corps de tulipe, Chevalier des laves bleues, Le conteur des sources… » : les personnages principaux semblent hériter de l’univers des contes médiévaux, le thème des laves bleues faisant toutefois directement référence au titre d’un précédent recueil de l’auteur. Le choeur des Dahines, ces esprits malfaisants, et surtout le Nam — l’âme de la princesse — ne laissent aucun doute quant au caractère mascarin de ce texte. Métissé de multiples influences, ce poème théâtralisé pousse la tragédie et la désespérance dans ses extrémités les plus troublantes, sans toutefois qu’une véritable action, une intrigue ne s’en dégage clairement. Ces scènes s’ébauchent comme des apparitions, le discours poétique et les visions qu’il charrie importent davantage.
Désespoir
Ces poèmes d’amour, ces prières et ces chants, ces souffles « mafatiques » conduisent au pire dénouement, le naufrage de la princesse. Dominique Ranaivoson évoque dans sa préface le caractère mystérieux de ce texte, et surtout « les mots de la douleur et de la désillusion d’une poète prisonnière des îles qu’elle aurait voulu chanter, les mots bien vivants d’une poète blessée qui, si elle a compris que l’hologramme avait créé des illusions, continue à dire dans sa langue de lave que ce naufrage ne la fera pas taire. »
La princesse dont « le blasphème coule comme l’eau de coco des sacrifices » faisant ici allusion à ceux qui ont mangé son île, dit encore : « Mais à moi les mots me sont eau / Salazes mimétiques / Chimie de cendres enneigées / De neiges ensemencées. » La princesse dénonce la République des autopersuasions, les fausses guerres de libération, la fabrique de suspects. Ce chant de la princesse n’est pas seulement tissé de désespoir mais aussi de tout ce qui la fait se relever, et en premier lieu de l’amour qu’elle suscite et ressent. Le prince ne commence-t-il pas par ces mots : « Toi éclatante dans le bleu somptueux de la chair des coraux / Ma reine en la boursouflure des hauts fonds / Je t’attends dans cette nuit sans bords. »
Maître de conférence à l’Université de Metz en France, Dominique Ranaivoson a enseigné ce texte avant même qu’il ne soit publié à ses étudiants en littérature francophone. Aussi était-il naturel que cette spécialiste de Madagascar et des Mascareignes, qui a contribué à de nombreuses publications et dirige une collection aux éditions Sépia (voir Chroniques de l’Île Maurice), en écrive la préface pour les éditions de L’Harmattan. Ce texte parait dans la collection Levée d’ancre qui a été créée en 2001 pour publier de la « poésie sous toutes ses formes ; de la précise ciselure du vent aux nouvelles, y compris le noyau de prose par lequel l’oeuvre exprime ce qu’il y a de plus actuel, dans sa construction d’un sens de la poésie ». L’auteur a confié l’illustration de la couverture au Mauricien Samir Fakim, qui s’est inspiré tout autant des couleurs présentes dans le texte que du concept de l’hologramme, cette image photographique qui semble insaisissable grâce aux effets de relief qu’elle crée.

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