LIVRE BLANC SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE : Quid du droit de vote des Mauriciens à l’étranger ?

Au cours des vingt ou trente dernières années, le droit des citoyens mauriciens vivant à l’étranger de voter lors des élections à Maurice aura été une revendication récurrente soutenue par des arguments très solides. Or, les droits civiques de ces Mauriciens de la diaspora parmi lesquels figure le très illustre Prix Nobel Jean-Marie Leclézio (cité en exemple quand cela sied bien au nationalisme et à la propagande des régimes successifs pour vanter les mérites de ceux qu’on appelle alors « nos compatriotes ») ont été complètement oubliés dans le Livre Blanc du Premier ministre Navin Ramgoolam sur la réforme électorale. Et, manifestement, il ne faudrait pas beaucoup compter sur l’opposition officielle MMM-MSM pour que la question soit résolument mise sur la table d’ici le 5 mai tant la belle unanimité semble prévaloir entre les « deux grands partis de la République » autour de la réformette qu’on nous a servie…
A ce stade, ils n’ont pas encore fait entendre leur concert de récriminations pour avoir été mis à l’écart, mais cela, à n’en point douter, ne saurait tarder. En tout cas, déjà un de ces « compatriotes » a déjà manifesté son indignation. Dani Appave, Mauricien, ancien fonctionnaire du Bureau international du travail (BIT), très attaché à son pays et à son avenir au point de consacrer maintenant bénévolement son temps à aider le ministère du Travail à améliorer le sort des marins locaux, s’est déjà avancé pour exiger que « ceux-là », c’est-à-dire que les Mauriciens résidant à l’étranger « ne soient plus traités comme des citoyens de seconde zone ». Selon lui, il ne devrait, en fait, plus avoir de débat sur « le principe même que ces Mauriciens dispersés dans d’autres pays du monde sont des citoyens à part entière et, pour cela, doivent avoir aussi les moyens d’exercer leurs responsabilités (et leurs droits) de citoyen, y compris celui de voter pour choisir les dirigeants de leur pays ».
Dani Appave fait remarquer que « le Premier ministre Navin Ramgoolam a rappelé que nous sommes tous Mauriciens, indistinctement, qu’importe notre origine ethnique, notre sexe, ou autres particularités. Le chef du gouvernement n’a eu de cesse de souligner que certains Mauriciens à l’étranger avaient fait honneur à notre pays, dont le Prix Nobel Jean-Marie Leclézio. Si M. Leclézio est Mauricien puisqu’il est Prix Nobel et que d’autres Mauriciens comme lui font honneur à leur pays alors qu’ils habitent à l’étranger, alors pourquoi leur nier le droit de participer dans les affaires politiques de Maurice ? », s’interroge l’ancien cadre du BIT.
« Leur donner l’envie d’être de véritables ambassadeurs »
Selon lui, hormis un principe d’équité naturelle à respecter entre tous les citoyens, « il y a des avantages à rendre leur droits civiques aux Mauriciens qui vivent en dehors des frontières de leur pays; le respect de leurs droits les encouragerait à investir à Maurice, cela les inciteraitent à promouvoir notre pays comme destination touristique et à amener des étrangers à investir chez nous. Il sont, certes, déjà très nombreux à le faire, mais, ayant aussi leur mot à dire dans la direction que prend leur pays, les Mauriciens vivant à l’étranger auraient encore plus l’envie d’agir en vrais ambassadeurs de leur île qu’importe là où ils se trouvent ».
Toujours selon Dani Appave, « s’ils veulent démontrer une réelle volonté que la République de Maurice soit arrivée à maturité » les décideurs politiques pourraient, au moins, considérer trois façons de donner le droit de vote aux Mauriciens de l’étranger. Il s’agirait soit de leur « permettre de voter dans la circonscription où ils ont leurs racines, leurs connections ou leurs préférences, soit de voter pour quelques députés qui représenteraient des zones spécifiques (par exemple, un député pour les résidents en Europe, un pour le continent australien, un pour l’Asie, un pour l’Afrique et un pour le continent Amérique), soit, enfin, qu’ils votent uniquement pour les députés qui seront élus à la proportionnelle ».
115 nations et territoires l’appliquent déjà 
Beaucoup de pays, en majorité européens, permettent déjà à leurs citoyens expatriés de voter lors de leurs élections. Selon Ivan Kopric (professeur de Droit et chef du Centre d’études pour l’administration et les finances publiques de l’université de Zagreb, Croatie), « même si leurs approches varient considérablement, allant de l’attitude positive à la négation complète, nombre de pays européens ont accordé le droit à leurs citoyens vivant à l’extérieur. On peut les classifiés sous trois catégories : (i) ceux qui, comme la Croatie, l’Autriche, la Belgique, la France, l’Italie et la Norvège permettent à toutes ses catégories de non-résidants, incluant ceux-là qui vivent en permanence à l’étranger de voter, (ii) ceux qui ne restreint le droit de vote qu’à certaines catégories de citoyens demeurant à l’étranger comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Danemark, la Bosnie-Herzegovine etc., et (iii) ceux qui limitent le droit de vote au personnel de leurs ambassades ou de leurs forces armées comme l’Albanie, Chypre, le Monténégro et l’Irlande ».       
Mais, il n’y a pas que les pays européens. Il y a également des pays comme le Maroc et l’Algérie où, pourtant, le concept de la démocratie est assez particulière comparé à l’idée — sans doute un peu surfaite — qu’on a à l’effet que l »île Maurice serait très en avance sur eux.
En réalité, les propositions de Navin Ramgoolam passeraient complètement à côté de la plaque si elles persistaient à ignorer les citoyens Mauriciens installés, pour de multiples raisons, à l’étranger. Une étude de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance intitulée « Voting from abroad: The Internatioanal IDEA Handbook » indique que 115 nations et territoires permettent maintenant à leurs citoyens de l’étranger de voter. Et, précise l’étude, le nombre de ces pays ne cesse d’augmenter.
« Some countries have specific representatives for their diasporic citizens, while others allow expats to vote in the last constituency in which they lived. Some nations now allow voting in presidential and general elections and referendums in varying combinations. In short, an increasing number of governments are striving to help their overseas citizens maintain a political role in their home countries. For exemple, in 2010, while annoncing his decision to work toward giving expatriates the vote, Indian Prime Minister Manmohan Singh said, ‘I recognize the legitimate desire of Indians living abroad to exercice their franchise and to have a say in who governs India' », souligne l’étude de l’IDEA.
Le vote des pionniers aux élections générales de 1953
Navin Ramgoolam et également ses adversaires de « l’autre grand parti de notre pays » aiment tous affirmer que l’Inde leur est une source d’inspiration en tant que plus grande démocratie du monde. Mais, sans même avoir à copier ce que Manmohan Singh souhaiterait pour la Grande Péninsule, nos décideurs politiques auraient dû, peut-être, ne faire que remonter un tout petit peu dans l’Histoire de notre propre passé coloniale. S’ils s’en donnaient réellement la peine, ils apprendraient, à coup sûr, que pour les élections générales du 26 et 27 août 1953, le gouvernement colonial britannique avait tout fait pour que les soldats mauriciens postés à l’étranger puissent prendre part à ces élections. Un officiel britannique s’était rendu en Egypte (où était concentré un régiment mauricien) porteur de bulletins de vote pour les pionniers mauriciens. Le vote de ces pionniers eut lieu en anticipation le 15 août et les bulletins furent réexpédiés par avion de façon à ce qu’ils puissent être dépouillés le 27 pour Port-Louis, le 26 pour Plaines Wilhems et le 28 pour les autres circonscriptions. Cela demande à être vérifier, mais il paraît que ce fut le vote de ces pionniers mauriciens en Egypte qui permît à Guy Rozemont, le tribun travailliste, d’arriver en tête de liste à Port-Louis !
Dans l’édition du Mauricien du 5 août 1953, on peut retracer une lettre ouverte de Wilfrid L’Etang, alors vice-président du Parti travailliste, dans laquelle celui-ci demandait au gouverneur, Sir Hilary Blood, de prendre aussi d’autres dispositions pour que, également, les marins mauriciens engagés sur les bateaux Sir Jules, Carabao, Floréal et la Perle puissent voter aussitôt l’arrivée de ces bateaux dans le Port. L’Etang suggéra que les urnes soient placées au Secrétariat et chaque marin soit invité à aller déposer son bulletin de vote dans l’urne de sa circonscription avant le départ de son bateau.
Le plaidoyer du vice-Président du Parti travailliste s’étendit aussi aux policiers mutés loin de leurs circonscriptions afin, avait-il fait ressortir, « que les élections ne soient pas faussées par l’absence des électeurs retenues en mer ou au service militaire ou à la police ».
Comme quoi, dans l’île Maurice moderne dont Navin Ramgoolam soutient « se battre » pour qu’elle émerge enfin, faire voter les citoyens Mauriciens de l’étranger à travers nos ambassades ne serait ni inventer la roue et, encore moins, l’eau tiède !

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