LOGEMENTS SOCIAUX: Vivre dans 23 mètres carrés

Depuis que les logements sociaux figurent parmi les secteurs prioritaires du financement sous le CSR, des projets de construction prennent forme à travers l’île. Toutefois, les types de maisons proposées sont loin de faire l’unanimité tant au niveau du secteur privé que des organisations non-gouvernementales, partenaires au projet. La promiscuité pourrait donner lieu à d’autres problèmes, soulignent-ils. Par ailleurs, ceux ayant des projets de construction différents de ceux de la NEF, ont beaucoup de difficultés à faire approuver leurs dossiers.
Quatre-Bornes, Riche-Terre, Poste-de-Flacq… les logements sociaux ont pris une nouvelle dimension ces derniers temps. Alors que le Trust Fund for the Integration of Vulnerable Group apportait son aide pour la reconstruction des maisons en tôle et en bois, le National Empowerment Foundation (NEF) est venu cette année, avec le projet Concrete cum CIS (béton sous tôle). Selon ce concept, l’État et le secteur privé financent conjointement la construction des maisons et les bénéficiaires en remboursent une partie. Destinées aux familles vivant dans l’extrême pauvreté, avec un revenu global ne dépassant pas Rs 5 000, ces maisons se construisent sur 23 à 25 mètres carrés. Elles comprennent deux chambres à coucher, une toilette et une salle de bain, ainsi qu’une kitchenette.
Si l’initiative d’offrir un toit aux plus démunis est fort louable, force est de constater que les conditions de vie dans ces nouvelles maisons offrent peu de possibilités aux pauvres d’évoluer.
Les travailleurs sociaux montent aujourd’hui au créneau pour attirer l’attention sur les difficultés que pose ce type de logement. « Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on doit accepter de vivre dans des conditions aussi strictes », lâche Cursley Goindoorajoo de Caritas.
En outre, il fait remarquer que ces maisons ne prennent pas en considération la réalité de ces familles. Dans les poches de pauvreté, souligne-t-il, la plupart des familles sont nombreuses. « Souvent, il y a aussi des familles recomposées. Est-il sain de mettre des enfants de pères et mères différents dans une même pièce ? »
Dans de telles conditions, il n’est pas rare, racontent les travailleurs sociaux, d’entendre les enfants raconter ce qui se passe dans la chambre des parents… Souvent, un simple rideau ou une armoire sépare une pièce en deux…
Projets alternatifs
Ainsi, Caritas qui a aussi son propre fonds de logement, propose d’autres types de maison plus appropriées. « Nous avons nommé notre projet “Maison de l’Avenir”, car nous voulons construire pour le long terme », avance Gilbert Hauradhur. Trois types de maisons, selon la taille de la famille, ont été élaborés. Il reste à savoir si ce projet sera approuvé par le National CSR Committee. Car depuis que le secteur privé investit dans les logements sociaux de la NEF, les ONG oeuvrant dans ce même domaine ont beaucoup de difficultés à faire accepter leurs projets.
C’est le cas notamment pour l’association Le Pont du Tamarinier. Un premier village a été construit à Rivière-Noire il y a quelques années et le concept marche très bien. Mais l’organisation éprouve beaucoup de difficultés pour faire approuver son deuxième village, car les maisons ne correspondent pas au plan de la NEF. « Nos maisons sont d’une dimension de 39 mètres carrés et celles de la NEF sont de 23 mètres carrés. Pour nous, cet espace est tout simplement invivable. Déjà, 39 mètres carrés c’est le strict minimum », dit Sylvie Granic de l’association.
Le Pont du Tamarinier a ainsi dû modifier son projet en plusieurs occasions depuis le début de l’année dans l’espoir qu’il soit approuvé. Valeur du jour, le terrain est là, les entreprises sont d’accord pour financer la construction des maisons, mais il faut au préalable que le projet soit approuvé pour qu’il soit éligible et pris en charge sous le CSR.
Le secteur privé pour la qualité
Plusieurs compagnies travaillent déjà avec la NEF pour la construction de maisons en béton sous tôle. D’autres investissent dans des villages intégrés (voir hors-texte). Récemment, les compagnies Omnicane et Somags ont signé un accord avec la NEF pour la construction de 34 maisons (25 et neuf unités respectivement). D’autres compagnies préfèrent attendre les premières évaluations de ce projet avant de se lancer. « Nous avons des réserves par rapport à la dimension des maisons et leur durabilité, que nous avons d’ailleurs fait part aux autorités concernées. Nous sommes d’accord pour investir plus d’argent pour des maisons plus grandes et plus solides. Autant construire peu et bien que construire beaucoup et sans garantie », a fait ressortir un responsable de CSR d’une grande entreprise qui a souhaité garder l’anonymat. Notre interlocuteur explique sa position du fait que le nom de l’entreprise est associé aux travaux. « Si demain il y a un problème, on va dire que c’est telle compagnie qui a fait construire ces maisons. Je n’ai pas envie de me retrouver avec 50 personnes dans mon bureau me disant que le toit coule ou que le mur craque. »
Comme les travailleurs sociaux, le responsable de CSR évoque la promiscuité et fait ressortir : « On n’est pas en train de régler un problème, on ne fait que le transposer ailleurs. »
Ce qui amène à réfléchir sur la capacité des personnes à évoluer dans de telles conditions. « C’est pour cela que certaines personnes retombent dans leurs travers et n’arrivent pas à respecter le contrat social », fait ressortir Cursley Goindoorajoo.
La coordinatrice du service d’écoute à Caritas, Christiane Chowree, confie pour sa part que la liste des familles touchant moins de Rs 5 000 ne cesse de s’allonger de jour en jour. Ce qui va obligatoirement se répercuter sur la demande. « Nous espérons que priorité sera accordée à ceux qui en ont vraiment besoin », dit-elle.
Du côté de la NEF, on laisse entendre que les projets sont évolutifs et que des améliorations seront apportées par rapport au constat sur le terrain. On cite en exemple les problèmes de La Valette qui ont permis de rectifier ailleurs où on envisage des projets moins grands.
Il n’empêche que l’accès à la terre demeure un obstacle dans le processus de l’éradication de la pauvreté. « Dans un Welfare State comme Maurice, cela relève du devoir de l’État de faire en sorte que chaque citoyen ait un toit », dit Cursley Goindoorajoo. Christiane Chowry, elle, est d’avis que le secteur privé ne doit pas se contenter de donner de l’argent, mais qu’il doit aussi donner des terrains.
Une chose est sûre, c’est que le grand chantier des logements sociaux est loin de faire l’unanimité parmi tous les partenaires. L’absence de discussions fait qu’on élabore sans prendre en considération la réalité des premiers concernés. « L’empowerment passe d’abord par l’écoute », conclut Cursley Goindoorajoo.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -