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(Madagascar) De Tana à Tuléar : un millier de kilomètres sur la mythique Rn7

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(Madagascar) De Tana à Tuléar : un millier de kilomètres sur la mythique Rn7

Parcourir la Route nationale 7 (Rn7) permet de découvrir une multitude de tribus, de cultures et de coutumes. Une aventure de quelque 950 kilomètres à vivre entre Antananarivo et Tuléar. Scope a traversé cette mythique route durant deux semaines et vous livre un récit des principaux lieux visités.

La Rn7 se contemple : elle se présente sous des formes parfois sinueuses, parfois longilignes, traversant de vastes étendues d’herbes et de splendides collines. La Rn7 se hume : elle a le doux parfum de la rosée sur le bord des rizières, l’âpre fumée du charbon, la senteur d’un miel onctueux, le parfum du géranium distillé en bord de route, du rhum au tamarin fabriqué dans le sud et du poisson fraîchement pêché. La Rn7 se ressent : elle emporte l’air frais des hauts plateaux, le vent sec des côtes africaines et la poussière d’une terre argile. La Rn7 s’écoute : elle a le bruit des marchés bondés, le rythme des sabots des zébus, le murmure d’espaces désertiques et la langue des peuples qui l’habitent.

Au lendemain de la grande foire de zébus du mercredi, ce sont des centaines de bêtes qui attendent d’être acheminées dans différentes parties de l’île. Quelques-unes seront chargées dans des camions; d’autres marcheront en troupeaux pendant des jours, gardés par des bergers qui feront aussi le trajet à pied le long de la RN7

Dépaysement.

Un puissant orage s’abat sur Antananarivo ce soir-là, nettoyant à gros flots les pavés qui rejoignent l’Avenue de l’Indépendance. Une “bénédiction” sûrement, en vue des 950 kilomètres à parcourir pour rejoindre Tuléar, dans le sud-ouest. Au matin, la capitale se réveille très tôt pour un dimanche. Parmi les ministères, les hôtels et les restaurants, les rues accueillent un flot de passants de tous les milieux : des hommes d’affaires en costard, des jeunes à la mode occidentale, des militaires armés de Kalachnikov, des familles arborant leurs plus beaux vêtements pour se rendre à la messe, de jeunes enfants aux vêtements en lambeaux qui jouent avec des pierres. La veille, deux mariages et un enterrement ont grandement affecté la circulation. Cette fois, et comme bien d’autres fois d’ailleurs, les taxis bouchonnent le trafic. Ces véhicules brinquebalants tombent en panne à chaque coin de rue. Les chauffeurs mettent pied à terre pour pousser eux-mêmes leur car, tout en tenant le volant, comme s’il s’agissait d’une moto. La foule, la chaleur, le bruit, la fumée des pots d’échappement… Tana, ce matin, est bondée.

La Rn7 se rétrécit considérablement en dehors de la capitale. Haja, le chauffeur qui nous transporte en 4×4, fait montre d’une certaine maîtrise pour se frayer un chemin entre les nids-de-poule et les taxis-brousses à la conduite hasardeuse. En cette période de pluie, l’île rouge reprend son appellation d’antan : île verte. La route serpente au milieu de collines verdâtres qui dominent des rivières en cru et des rizières omniprésentes. Ici, le vary accompagne la majorité des mets et se mange en d’importantes portions. Les bâtiments laissent place à des maisons rouge terre construites en briques d’argile, matière récupérée des champs après la récolte. La température est beaucoup plus fraîche et les gens plus chaleureux. Ils le resteront d’ailleurs jusqu’au terme du périple. Les habitants vivent principalement de la terre et, comme à Ambatolampy, vendent aux passants leurs produits sur le bord de la route. Bouillis dans des marmites en fonte, trois épis de maïs se vendent à 1,000 ariary, environ Rs 10, qui aideront toute une famille.

En bordure de la RN7, les tisserandes travaillent les cocons sauvages et d’élevage, du début à la fin. La soie produite ici est de qualité. Les fils sont teintés avec de la boue, des végétaux et d’autres produits naturels.

Les fantômes du passé.

La troisième plus grande ville de Madagascar, Antsirabe, offre tout le confort de Tana, sans les désagréments. “Ici, l’air est moins pollué”, souligne Mamy, chauffeur de profession, qui habite une charmante demeure avec vue sur les rizières et les plantations de maïs. Antsirabe jouit d’ailleurs d’une réputation de capitale de pousse-pousse.

Une flopée de ces petits carrosses tirés par de solides Malgaches parcourent les larges routes de cette localité qui héberge des structures historiques. Entouré d’un splendide jardin, l’hôtel des Thermes avait dans les années 50 accueilli le roi du Maroc lors de son exil. Le poids du passé s’y ressent. L’escalier en bois massif étouffe les pas de ceux qui le foulent. Et les interminables couloirs donnent l’impression d’emprisonner ceux qui les arpentent. On s’y sent constamment épier, même en étant seul dans cette immense bâtisse. Les fantômes du passé rôdent encore…

Décoré de feuilles naturelles ou de fleurs colorées, le papier antaimoro d’Ambalavoa est fabriqué selon des Egyptiens sur le papyrus pour recopier le Coran. La technique a été préservée par la tribu Antaimoro, qui continue à transformer l’écorce du mûrier avoha en papier, entièrement à la main.

Au cœur du centre-ville se dresse une stèle sur laquelle sont représentées les 18 tribus de Madagascar. Les symboles gravés illustrent la spécialité de chacune d’entre elles. Chaque commune qui jalonne la Rn7 développe une spécialisation selon l’environnement alentour. À Ambositra résident des artisans aux mains habiles et au talent aiguisé par des décennies de pratique. Les avenues principales accueillent une myriade d’ateliers, mais aussi des écoles et des églises. À 19h30, les rues se vident rapidement. Les boutiques se transforment en bars. Des Malgaches bien aimables se serrent pour offrir une petite place aux visiteurs et leur permettre d’apprécier la THB locale, alors que la pénombre s’installe. La nuit est fraîche au bord des rizières.

Capitale de l’artisanat malgache, Ambositra comprend de multiples ateliers où les sculpteurs taillent différentes essences de bois. Les sculptures sont ensuite vendues dans des magasins de la ville, qui font aussi office d’espace d’expositon

“L’école se trouve à 10 km”.

Ce lundi, sous un soleil pesant, des familles de l’ethnie des Betsileo malaxent une terre grise en bordure de route à l’aide de pioches et d’une lourde marmite. Les Malgaches considèrent ce peuple comme les meilleurs travailleurs de la terre… “Mais aussi les plus grands buveurs d’alcool”, rigole Haja.

En route, des enfants comblent les nids-de-poule avec de la terre et demandent de l’argent aux automobilistes pour ces travaux temporaires. Quelques mètres plus loin, un gamin haut comme trois pommes prétend réparer la route, un bout de fer à la main. Les écoles étant généralement regroupées dans les agglomérations, les gamins des villages éloignés doivent parcourir des kilomètres à pied pour pouvoir s’y rendre. “Nous n’allons pas à l’école parce qu’elle se trouve à dix kilomètres d’ici”, confie le petit réparateur de chemin. Pour cette même raison, un autre enfant avec un chapeau de paille sur la tête préfère aider son père dans les champs.

À 68 kilomètre de Tana, ce sont des centaines de marmites en aluminium qui sortent des fonderies chaque jour. Ces ustensiles prisés dans le lagon, dont Maurice, sont fabriqués dans cette ville grâce à la particularité unique de sa terre. Les fours restent allumés en permanence tandis que les ouvriers moulent, coulent et démoulent dans des gestes synchronisés qui se répètent depuis des générations.

“Dans la brousse, surtout dans le sud et l’extrême sud, des filles sont mariées à 15 ans, voire plus jeunes, et doivent abandonner l’école. Mais il y a plus d’écoliers de nos jours, car la coutume selon laquelle les filles ne peuvent aller à l’école tend à disparaître”, souligne le chauffeur. Par manque d’accès à une éducation poussée, de nombreux étudiants convergent vers les grandes villes, surtout vers Tana, où ils doivent souvent se débrouiller comme ils le peuvent pour survivre.

Le trajet jusqu’à la ville de Fianarantsoa dure une journée entière. Une journée à zigzaguer parmi des monts, à observer un peuple cheminer vers le marché avec de lourds sacs sur la tête, à s’interroger quant à la signification des noms peints sur de gros rochers (généralement des rappeurs qui se font de la pub). Du haut d’une colline, Fianarantsoa dévoile une immense école privée comprenant terrain de foot, piste de course et piscine. Mais aussi une gare de train, qui relie cette ville à celle de Manakara, au sud-est (à découvrir dans la prochaine édition).

La télévision installée dans le restaurant diffuse les images du nouveau Président Andry Rajoelina, qui discourt au 32e Sommet de l’Union africaine en Éthiopie. À Tana, l’information de son départ avait été relayée dans le quotidien Midi Madagasikara depuis samedi. Ce même quotidien parviendra toutefois à Fianarantsoa deux jours plus tard. Au menu de ce soir : un tendre et savoureux filet de bœuf (le meilleur peut-être), accompagné de frites, ainsi que des pattes de porc à la senteur sauvage (le pire certainement) et, bien évidemment, le traditionnel bouillon de vary (l’eau de cuisson du riz).

Sur la terre des voleurs.

Le paysage change progressivement à compter d’Ambalavao, 56 kilomètres plus loin. La ville du zébu abrite un restaurant des plus insolites : les clients s’installent autour du comptoir qui entoure un cuisinier torse nu, aux traits chinois. De grosses marmites en fonte laissent mijoter sur du charbon du canard, du porc, du poulet et du zébu pendant des heures. À 5,000 ariary (Rs 50), le zébu, accompagné de haricots blancs et de riz, se découpe à la cuillère.

Quand on reprend la route, les collines vertes se raréfient, laissant place à d’immenses étendues d’herbes, qui se déploient jusqu’à l’horizon. Une fois au sommet du plateau d’Ihosy, la route s’étire, toute droite, à perte de vue. Haja a insisté pour que le trajet soit entrepris de bon matin car ce bout de route se trouve sur le territoire des Dahalo, les voleurs de zébus. Redoutés parce que dangereux, ces derniers, solidement armés, s’attaquent aux éleveurs et aux voyageurs. Leurs attaques se passent souvent dans des bains de sang, et l’armée reste à leurs trousses. Mais les bruits courent que certains Dahalo vont jusqu’à accomplir le service militaire uniquement pour apprendre des stratégies en vue de mieux voler du zébu.

Les éleveurs et leurs troupeaux empruntent également la Rn7. À l’aide de rotins et de cris inimitables, les Baras dirigent lentement les zébus. Plusieurs jours de marche sous les caprices du temps leur seront nécessaires pour atteindre leur destination. L’argent sur leur territoire perd de sa valeur. Ici, l’homme riche compte plus de 1,000 zébus; les autres biens matériels importent peu.

« Rien ne se perd dans le zébu! » L’adage malgache prend tout son sens dans les ateliers d’Antsirabe, où la corne de zébu est travaillée avec des outils artisanaux et recyclés pour être transformée en ustensiles, bijoux, objects de décoration…..

Tuléar et Ifaty.

Une nuit noire tombe sur les massifs d’Isalo, qui s’admirent depuis une hutte aux toits de paille perdue dans la brousse. Une nuit noire qui s’accompagne de THB, de rhum arrangé et de brochettes de zébus, aux côtés d’autres voyageurs ayant entrepris la même route, en taxi-brousse toutefois. Ils se serrent dans ces fourgonnettes bondées sur plus de 100 kilomètres pour atteindre leur destination.

Le sud souffre d’un problème d’accès à l’eau et à l’électricité. Les bouteilles en plastique ramassées depuis quelques jours et remplies d’eau de source constituent un bien considérable. Elles se monnaient même pour une visite d’une rhumerie artisanale. Un village entier vit de cette activité.

L’air salé s’élève à l’approche des derniers kilomètres. Tuléar se présente comme un lieu hautement touristique. Une ville côtière très animée, trop animée.

Le périple prend fin 25 kilomètres plus loin, dans le village beaucoup plus paisible d’Ifaty, bordé par le canal du Mozambique. Une tempête tropicale s’était formée dans ces eaux sauvages, il y a quelques jours. Entre-temps, elle s’est intensifiée. Un puissant cyclone s’abat sur Ifaty à notre arrivée. Une bénédiction sûrement.

Rencontré par hasard sur les quais de Fianarantsoa, le célèbre photographe Pierrot Men (qui nous confie qu’il exposera à Maurice cette année) a écrit : “Voilà 20 ans que je parcours la Rn7 et voilà 20 ans que chaque virage pourtant tant de fois vu et revu ne cesse de me surprendre (…) 20 ans que chaque borne kilométrique des milliers de fois dépassée exauce le rêve qu’elle a fait naître.”

La Rn7 ne se visite pas simplement : elle se vit. Intensément.


 

Ilakaka, l’eldorado malgache

Il aura fallu la découverte d’un gisement de pierres précieuses par des agriculteurs pour que le visage d’Ilakaka change radicalement en seulement vingt ans. D’un petit village d’agriculteurs, cette commune traversée par la Rn7 a accédé au statut de ville en 2015 et compte désormais 35,000 habitants. Située entre Isalao et Tuléar, Ilakaka s’active autour du commerce de minerais. “Madagascar a un énorme potentiel dans le domaine des pierres”, concède Guillaume Soubiraa, gemmologue gérant de Colorline, une entreprise spécialisée dans la visite de mines et la vente de pierres précieuses et de bijoux. Saphir, tourmaline, béryl, calcédoine, quartz, améthyste et citrine : autant de pierres qui ont attiré des étrangers, en particulier des Sri-Lankais. Les enseignes sont donc légion aux abords de la Rn7 (Asian gems, Iqbal gems, Suranga gems, Nilam gems), sur le devant desquelles marchandent vendeurs et acheteurs.

“Le milieu de la pierre n’est pas aussi sauvage qu’on veut le faire croire”, souligne Guillaume Soubiraa, qui plaide pour “arrêter de véhiculer une mauvaise image de Mada”. En effet, explique le gérant de Colorline, le commerce de pierres a largement contribué à ce que treize écoles, dont onze privées, puissent offrir une scolarité à plus de 80% des enfants d’Ilakaka.


Les massifs millénaires d’Isalo

Les monts striés rappellent le Grand Canyon des films hollywoodiens. Les massifs d’Isalo ont vu le jour à l’époque jurassique, quand Madagascar était rattachée au continent africain et formait encore le Gondwana, il y a plusieurs millions d’années. Le lieu a été nommé parc national le 10 juillet 1962 et s’étend sur 81,540 hectares. Cette terre constituait le territoire des Sakalava aux 14e et 15e siècles. Désormais, les Baras dominent la région. À leur mort, les corps des Baras sont provisoirement lotis dans le creux de ces monts, avant d’être déplacés sous des pierres en monticules carrés, qui constitueront alors leur tombeau permanent.

De la multitude de plantes qui foisonnent dans le parc, 45% ont des vertus médicinales. Sept espèces de lémuriens vivent dans les épaisses forêts, dont le Lemur catta, l’espèce grise du film d’animation Madagascar, et le Sifaka, communément appelé le lémurien vasa (terme utilisé pour décrire les étrangers généralement blancs).

Le Canyon de Namasa abrite deux cascades insolites : une d’un bleu argenté et l’autre d’un noir profond. Il s’inonde en temps de pluie, le rendant inaccessible.

 

Texte mis à jour