MAHA SHIVARATREE À MAURICE : Une Vague de Chaleur Humaine

GEORGES-ANDRÉ KOENIG

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Je vis à un jet de pierre d’un des grands axes routiers qui conduit au Lac Sacré de l’île Maurice, le Ganga Talao, situé à Grand-Bassin. Et c’est ainsi que, jeudi 20 février, je me retrouvais en train de marcher, non sans une certaine joie, parmi une multitude de pèlerins qui se dirigeaient avec enthousiasme vers ce lac, afin de célébrer le Maha Shivaratree.

Le Maha Shivaratree est célébré de nos jours par au moins 400 000 personnes de foi hindoue à l’île Maurice. Chiffre d’autant plus impressionnant, car la population tout entière de l’île ne se monte qu’à environ 1 270 000 âmes. Et comme le veut la tradition, cette fête a lieu chaque année la nuit de la nouvelle lune du calendrier indien (phase lunaire durant laquelle l’astre n’est pas visible dans le ciel nocturne). Cette épuisante marche vers le Lac Sacré – longue pour certains de plusieurs dizaines de kilomètres, a été effectuée en plein été.

Revenons-en maintenant à mes quelques heures passées sur la voie publique. Derrière ces tableaux vivants aux couleurs flamboyantes qui m’entouraient, j’ai eu l’heureuse surprise de sentir, dans l’air du temps, une profonde ferveur et une émouvante fraternité. De la part des pèlerins, tout d’abord, qui se précipitaient spontanément pour prendre la relève de leurs coreligionnaires, épuisés par ces lourds “Kanwars” posés sur leurs épaules. Et aussi, par ailleurs, de celle de tous ces bienfaiteurs qui, alignés sur le bord de la route, donnaient sans compter et à tout le monde –  qu’il soit blanc comme moi, ou noir, ou jaune –  à boire et à manger. La nation arc-en-ciel était réunie ce jour-là dans la joie, et les touristes qui l’avaient rejointe me semblaient contempler ce spectacle non sans une certaine admiration.

C’est cette même ferveur et cette même unité que, Dieu merci, il nous est donné la chance de retrouver lors de certaines célébrations religieuses d’autres confessions comme, chez les catholiques par exemple, au cours du pèlerinage de Sainte-Croix. Ce qui prouve, si besoin il y avait, que les religions, lorsqu’elles sont bien comprises, peuvent servir de liens entre les hommes, car elles nous tirent toutes vers le haut et satisfont, autant que faire se peut, cette quête d’amour et d’absolu qui fait aussi partie de notre nature humaine.

Oui, l’île Maurice est, en effet, un pays où la foi en Dieu règne en maître, et où les religions sont pratiquées tout à fait librement en privé comme en public. L’on peut ainsi porter le “pagri” (ou pagadi) indien, la chéchia musulmane, la croix de baptême chrétienne, la kippa juive, et que sais-je encore, n’importe où et dans la sérénité la plus totale. Et c’est surtout grâce à cette foi-là – je le crois en tout cas – qu’il fait si bon vivre en notre pays. Tout simplement parce qu’elle apaise ceux, surtout, qui vivent dans des conditions matérielles difficiles, l’amertume – et la violence qui souvent l’accompagne – laissant ainsi la place à une certaine espérance. D’où la paix qui prévaut dans cette petite île surpeuplée qu’est la nôtre, mais où, malgré cela, on se marche peu sur les pieds.

Il est nécessaire de souligner ici que, dans l’éloge qui précède, il s’agissait surtout des classes moyennes et ouvrières de notre pays, épargnées jusqu’ici par ce matérialisme omniprésent, qui gangrène les sociétés occidentales dans leur majorité. Aussi, nous ne pouvons que souhaiter que nos élites, elles (il y a des exceptions, bien sûr), quittent de temps à autre leur cocon tissé de pouvoir et d’argent, et ouvrent les yeux sur le monde réel et ses vallées de pauvreté. Elles pourraient alors, pourquoi pas, entendre et écouter : aujourd’hui, La Leçon de Shiva ; demain, celle du Bienheureux Père Laval, et bien d’autres encore, émanant de sources tout aussi valables. Et, en conséquence, s’atteler à apporter à l’île Maurice plus de justice (surtout en matière de répartition des richesses) et, par là même, de fraternité. Dieu sait qu’ils en ont les moyens. Et, si ça se trouve, acquérir ainsi une paix et une satisfaction intérieures qui, peut-être, leur auront manqué jusque-là.

 

Février 2020

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