MAHÉBOURG : La vie quotidienne sur les rives de la Rivière-la-Chaux

Dans le sud-est de l’île, le pont Cavendish qui enjambe la Rivière-la-Chaux est le lieu de rencontre harmonieux entre deux régions historiques: Mahébourg et Ville-Noire. Une balade dans une barque permet de nous délecter des petits instants et du dépaysement que nous offre ce lieu authentique, mais aussi de découvrir le quotidien parfois difficile des pêcheurs, vivant dans de modestes habitations serrées les unes contre les autres sur le bras de mer.
Ce lundi matin-là, dans les ruelles mahébourgeoises, la vie résonne joyeusement. Des femmes chargées de sacs reviennent de la très populaire foire de Mahébourg, pressent le pas en bavardant, pendant que d’autres y convergent. Certaines d’entre elles doivent emprunter le pont Cavendish, d’une centaine de mètres, pour rejoindre leur village: la Ville-Noire. Le pont, centenaire depuis 2011, qui relie Mahébourg à Ville-Noire, surplombe une rangée d’habitations attenantes construites de bric et de broc. Les barques amarrées devant ces masures rappellent, s’il en est besoin, que la pêche ici est une ressource importante pour les riverains.
Sur la rive droite de la Rivière-la-Chaux, soit à Ville-Noire, la vie s’égrène tranquillement à première vue : un artisan fabrique des stores en bambou sur sa petite terrasse ; à peu de distance, une biscuiterie répand l’arôme des biscuits maniocs au four. Dans un coin de rue, deux dames tiennent un étal où elles proposent des huîtres fraiches et frétillantes à Rs 100 la douzaine… En revanche, très peu de poissons sur la table : « En hiver, les prises sont rares », lance une des vendeuses.
En cette période, la mer étant moins clémente et moins nourricière, les pêcheurs que nous croisons dans les ruelles préfèrent s’atteler à la réparation ou à l’entretien de leur embarcation en attendant les jours meilleurs. D’autres discutent sur les berges de la rivière, à l’ombre d’un grand arbre, la saison morte les contraignant au désoeuvrement. 
Après la construction du pont Cavendish en 1908, la Rivière-la-Chaux a vu petit à petit affluer sur ses rives de nombreux pêcheurs. Ainsi de la famille Gassoo. « C’est ici que je suis né. Mon grand-père, qui a vécu ici, était pêcheur aussi. Le virus de la pêche chez nous se transmet de père en fils. C’est à travers cette activité que, nous, les habitants du village, gagnons notre vie », dit Anil Gassoo qui nous propose gracieusement de monter dans sa barque pour nous faire découvrir son village. L’eau est calme, peu profonde, pas une ondulation. L’embarcation y glisse mollement. « Avant, il était possible de pêcher dans la rivière, mais aujourd’hui les eaux sont polluées, les poissons y sont très rares. La pêche doit être faite en haute mer, c’est plus fructueux, on y revient avec carangues, vieilles rouges, thons », dit le pêcheur.
Il ralentit l’allure de sa barque pour nous montrer les ruines d’un ancien four à chaux et l’entrée où les pirogues venaient débarquer les coraux jadis. « Il y en a deux autres plus loin », précise notre guide du jour. Au long des rives croisse une végétation plutôt dense : des mangliers et leurs racines, visibles, en forme de pilotis, des coqueluches dont les branches s’inclinent dans l’eau…
Nous sommes à l’embouchure de la rivière. À cette heure matinale, la lumière fait scintiller la surface de l’eau. En face de nous se dresse la montagne Lion, dont le sommet est dissimulé par un épais nuage gris. À notre droite, dans le lointain, les îles de la Passe, Fouquets, îlot Phare, etc. « Nous nous y aventurons très rarement, car la mer est très démontée là-bas », dit Anil Gassoo. On fait demi-tour et remonte vers le pont. La lumière aveuglante de l’astre du jour, qui de face nous forçait à faire des photos à contre-jour, s’est tamisée ; les alentours sont piquetés d’éclats de soleil, des rayons de lumière colorent de mille teintes le lit et les berges de la rivière. Mais tout ici n’est pas aussi calme que l’eau sur laquelle nous voguons.
Au fur et à mesure que nous avançons, la paisible rivière prend des allures du Styx : une vraie descente aux enfers. Notre nautonier se passe de commentaire et nous laisse découvrir. La rivière se fait glauque et épaisse, polluée de déchets de toutes sortes : une chaise dépareillée, par-ci, des objets en plastique, par-là. Des plantes charriées par les dernières crues ont pris des formes bizarres, comme ces tiges de bambous à l’aspect de bouquet hérissé ! Ce tronc d’arbre immergé dans l’eau, serait-ce un anaconda repu ? Et ces objets decolorés par les ondes, si incrustés dans la masse aqueuse, qu’ils sont devenus méconnaissables…
« Ils nous volent nos fruits, nos ferrailles
Nous nous engageons sur la rive opposée, sur la terre ferme, c’est-à-dire vers Mahébourg où vit Jocelyn Mercure, ancien conseiller du village. Cuisinier dans un établissement hôtelier, il a pris sa journée ce jour-là et en profite pour faire le nettoyage… en mettant le feu aux ordures entassées entre le pont Cavendish et sa maison. « Il y a beaucoup à faire à Mahébourg. Les gens déversent leurs déchets n’importe où, surtout dans la rivière. J’ai même vu certaines personnes balancer leur chien mort par-dessus le pont. Je me souviens qu’avant, on pouvait se baigner dans cette eau », dit-il. Mais il y a pire encore. Les habitants sont inquiets, car le spectre de la drogue et le vol rôde dans le village. On pointe du doigt les jeunes : « Ils nous volent nos fruits, nos ferrailles. Ici, à Mahébourg, la méthadone circule facilement. Il y a huit pharmacies où ils s’approvisionnent. Ces jeunes ne sont pas seulement d’ici. Ils viennent de Plaine-Magnien, de l’Escalier », déplore-t-il, et regrette la perte récente de M. Ramsewak, ex-ministre et député élu trois fois à Mahébourg. « Pour moi, c’était quelqu’un qui connaissait les problèmes des Mahébourgeois, les besoins des habitants, contrairement aux autres « émigrants », ».
Aujourd’hui, si le pont Cavendish, les ruines des fours à chaux, ainsi que le Lavoir qui remontent à l’époque de la colonie française font toujours la fierté des deux villages, si le grand attrait des abords de ce pont réside encore dans la survie du passé, il reste que Mahébourg peine encore à sortir de ses problèmes.

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