Maurice, 50 ans, pour de nouvelles voies du vivre ensemble (I)

« L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours. » Ernest Renan, « Qu’est-ce qu’une Nation ? » 1882

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Alors que Maurice s’apprête à célébrer les cinquante ans de son indépendance, elle présente, sur le plan politique, un triste visage. La politique a en effet beaucoup perdu de son lustre et de sa philosophie initiale. Plutôt que de représenter les électeurs qu’il est en principe censé représenter, l’élu en est venu à être coupé du citoyen et représente davantage la ligne politique de son parti – si tant est que le parti est capable d’avoir une ligne – quand ce ne sont pas carrément des intérêts plus communautaristes, plus sectaires ou tout bonnement plus personnels.

Ahmad Aumjaud

Qu’une réforme de nos institutions soit essentielle pour faire revivre le débat démocratique non seulement pendant les élections mais aussi, et surtout, en permanence, sur toutes les lois, sur tous les débats, cela saute aux yeux. Pourtant, depuis plusieurs décennies, nos gouvernants ont préféré jouer à l’autruche, les seules velléités de réforme étant la résultante d’accommodements faits dans le cadre d’alliances électorales. À cinquante ans bientôt, Maurice est à la fois suffisamment jeune et suffisamment mûre pour se pencher sur son devenir. Cet anniversaire doit être une chance pour engager un vrai débat national sur une meilleure gouvernance afin de réinvestir concrètement le citoyen dans le dialogue démocratique.

Réinvention

À bien y voir, nous n’avons pas le choix. Il serait suicidaire de continuer à maintenir à bout de souffle un système politique dans lequel les citoyens n’ont plus aucune confiance et dont les principaux acteurs sont en place depuis des décennies. Le seul choix qui s’impose, c’est de réformer nos institutions pour une démocratie vivante et de mettre en place une société durable dans les secteurs de l’économie, de l’environnement, de la justice et du social. Cependant, il est clair que la politique n’a pas de moyen autonome d’intervention.

Incapable de réfléchir par elle-même, elle s’est mise dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’économie à tel point que celle-ci en est venue à limiter, voire étouffer l’espace d’action de la politique. Il faudra dès lors réinventer la société de demain. Une société ou le citoyen réfléchit, discute, critique, a droit à une parole et à un champ d’action. Tout un programme, presqu’un appel à une nouvelle civilisation. De nouvelles initiatives laissent imaginer que l’éclosion de cette nouvelle société n’est pas utopique.

Ce changement de mentalité appelle à la révision d’un certain nombre de nos piliers, notamment notre modèle éducatif, nos modes de production et de consommation, notre Fonction publique et en particulier notre police nationale qui a bien besoin d’un dépoussiérage, notre judiciaire, nos institutions, notre système de retraite, l’État providence et la taxe rurale entre autres.

Il convient ici de souligner le poids de notre Histoire. L’histoire de notre peuplement s’est construite en vagues successives et elle comporte une part importante de souffrances. Mais tous les efforts faits pour nous la raconter n’ont pas rencontré la résonance espérée. Si bon nombre d’immigrés se sont installés dans notre île par choix, certains y ont été emmenés de force alors que d’autres ont choisi de la rejoindre afin d’échapper à la misérable existence menée dans leur pays natal. De la même façon, l’histoire postindépendance est faite de positions très tranchées, d’invectives, de préjugés et de craintes, mais aussi d’avancées spectaculaires sur plusieurs plans. Les deux histoires ne sont pas suffisamment dites et c’est surtout à l’éducation nationale d’y remédier.

Répartition des richesses

La démocratisation de l’économie et une meilleure répartition des richesses méritent qu’on s’y attarde. Le constat du fait inégalitaire à Maurice a de quoi donner le vertige. Cette question de l’iniquité dans la répartition des fruits du travail des hommes est presque aussi vieille que l’humanité. Toutefois, il est clair qu’aussi longtemps que la concentration des richesses aux mains d’une poignée perdurera et qu’aussi longtemps que cette poignée continuera à s’enrichir au point que leurs fortunes deviennent insolentes, il n’y aura pas de paix sociale. Il ne s’agit pas ici d’exproprier les nantis, car ce serait le moyen le plus sûr de décourager l’investissement et l’entreprenariat, sans oublier la fuite des énergies au-delà des frontières et l’exode des capitaux. Il ne s’agit pas non plus de créer des superstructures de redistribution car cela demanderait une administration lourde et coûteuse. Il faudrait pouvoir amener ces mêmes richesses à générer plus de puissance créatrice, plus d’innovation et surtout plus de création d’emplois productifs dans des secteurs d’avenir. Ces évolutions-là sont largement dépendantes des politiques nationales de transformation et des politiques sociales adoptées. Il appartient pour autant à nos décideurs de mettre en place le cadre approprié et de démontrer une volonté d’agir, car cette question d’équité du partage des richesses est plus que jamais cruciale du point de vue du développement économique, social et bien évidemment durable.

Un constat s’impose : notre population active n’arrive plus à soutenir le niveau de croissance requis pour permettre à Maurice de faire un bond significatif. Les nombreux Mauriciens vivant ailleurs dans le monde ont un niveau de vie qui reflète leur réussite. Ils ne songent certainement pas à rentrer au pays. Il faudrait imaginer et créer des conditions propices à leur deuxième exil, tout comme il faudrait trouver les moyens de rehausser le taux de natalité. De la même façon, il faudrait pouvoir attirer les meilleures intelligences et expertises étrangères dans les domaines, où nous ne disposons pas de ressources, et ce sans que cela soit perçu comme une atteinte à notre indépendance. Une politique claire et nette en ce qui concerne la main-d’œuvre étrangère serait la bienvenue.

Bien-être/bien-vivre

Le bien-être et le bien-vivre au sein de notre société doivent devenir un objectif national ambitieux. Maurice fait face à un nombre de défis que beaucoup ignorent. À force d’avoir préféré la peur, la méfiance et le repli sur soi à l’audace et la solidarité affirmée, on en est venu à ne plus voir le danger qui guette. Maurice est le cinquième pays au monde le plus à risque par rapport au réchauffement climatique et la montée des eaux, notre sécurité alimentaire est plus menacée que jamais. L’incidence du diabète, du cancer, des maladies cardio-vasculaires et des accidents cérébraux sont trop élevés. La drogue tue nos jeunes et décime nos familles, tout comme l’alcool, d’ailleurs. Le Mauricien moyen est aujourd’hui surendetté alors que l’écart entre riches et pauvres se creuse, entraînant des drames sociaux auxquels on assiste comme on en assisterait au théâtre. Surendettement d’un côté, suraccumulation de l’autre.

Il est par ailleurs utile de rappeler quelques faits saillants concernant la misère dans le monde, ceci afin que nous ne tombions pas dans un catastrophisme malvenu. Plus d’un milliard d’êtres humains vivent avec moins d’un dollar par jour. 448 millions d’enfants souffrent d’insuffisance pondérale. 876 millions d’adultes sont analphabètes, dont deux tiers sont des femmes. Les femmes gagnent 25 % de moins que les hommes à compétence égale. Chaque jour, 30 000 enfants de moins de cinq ans meurent de maladies qui auraient pu être évitées. La malnutrition provoque la mort de 3,1 millions d’enfants de moins de 5 ans chaque année, soit près de la moitié (45 % ) des causes de décès. Dans les pays en développement, plus d’un enfant sur dix n’atteindra pas l’âge de cinq ans. Aujourd’hui, 42 millions de personnes vivent avec le virus du SIDA, dont 39 millions dans des pays en développement. Plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à de l’eau salubre. 2,4 milliards de personnes sont privées d’installations sanitaires satisfaisantes. 795 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde, soit 1 personne sur 9. Dans le monde en développement, 66 millions d’enfants en âge d’aller à l’école y vont le ventre vide, dont 23 millions rien qu’en Afrique. Selon les estimations, il faudrait 3,2 milliards de dollars par an pour nourrir ces 66 millions d’enfants.

Espace de solidarité

Un tableau qui fait frémir, certes, mais qui permet en même temps de prendre la mesure de ce que nous devons encore améliorer, à commencer par nous rappeler que le monde n’est pas un ensemble de nombres ou d’institutions, mais qu’il est fait de personnes bien en chair et en os, dont certaines sont plus en os qu’en chair, d’ailleurs. Les discussions de chiffres ne servent à rien. Aux élections, ce sont les citoyens qui votent, et non les suffrages. Ainsi, dans le monde, il n’y a pas de quotas, il y a des réfugiés. Il n’y a pas d’indicateurs économiques, il y a des travailleurs. De même, on devrait parler plus des pauvres que des seuils de pauvreté. Le caractère concret de la personne humaine est trop souvent réduit à un principe abstrait, plus commode et plus apaisant. Il faudrait œuvrer pour une démarche inclusive, ce qui signifie l’édification d’un espace de solidarité. Et cela implique en effet qu’on se soutienne mutuellement, qu’il ne peut y avoir que quelques-uns qui portent le poids et font des sacrifices extraordinaires, tandis que les autres restent retranchés dans la défense de positions privilégiées.

A SUIVRE

 

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