MedPoint The Day After : Le destin politique sous contrôle judiciaire

En ce début de 2019, année de campagne électorale, le destin politique du pays se retrouve sous contrôle judiciaire au terme littéral de même qu’au sens figuré. D’une part, le Premier ministre Pravind Jugnauth reste suspendu à la décision des cinq Law Lords du Judicial Committee of the Privy Council, dans l’appel contre l’acquittement de sa condamnation à douze mois de prison dans le scandale du siècle, Zotte Mem Aste! Zotte Mem Vandé! de MedPoint pour un montant de l’ordre de Rs 144 millions. D’un autre côté, au lendemain de l’audition devant le Privy Council, la Cour intermédiaire ramenait à la réalité l’ancien Pm et leader du Parti travailliste, Navin Ramgoolam, qui se veut le Challenger de Pravind Jugnauth pour le poste de Premier ministre. La motion, présentée par Me Gavin Glover, Senior Counsel, pour l’arrêt du procès dans la Navin’s Coffers Saga avec la saisie des Rs 220 millions, a été rejetée et l’affaire maintenue devant cette instance pénale. Mais ces deux leaders politiques ne sont pas les seuls à avoir des démêlés avec la justice. Jeudi, l’ancien Private Parliamentary Secretary du PMSD, Thierry Henri, doit revenir en Cour intermédiaire pour faire face à cinq accusations formelles retenues contre lui, soit homicide involontaire par imprudence, refus de se soumettre à un alcootest, refus de soumettre un échantillon de sang pour des analyses, conduite en état d’ivresse et entrave à l’enquête policière. Il y a encore l’ancien vice-Pm et président du MSM, Showkutally Soodhun, pour des propos incitant à la haine raciale, ainsi que le Senior Adviser au PMO et aspirant colistier de Maya Hanoomanjee dans le fief du Minister Mentor (No 7), Prakash Maunthrooa, dans l’interminable saga des pots-de-vin du dossier Boskalis.

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Dans l’immédiat, le focus politique demeure le jugement des cinq Law Lords du Board du Judicial Committee of the Privy Council, présidé par Lord Kerr, après les quelque trois heures et demie de délibérations de mardi dernier devant une salle d’audience comble. Vu l’importance de toute décision pour l’État mauricien dans cette affaire, les Law Lords ont annoncé qu’ils vont “reflect carefully on the arguments” présentés par les deux parties sans pour autant faire la moindre allusion aux Last Minute Submissions de l’Independent Commission Against Corruption (ICAC), ravalant les arguments à charge soutenus contre Pravind Jugnauth, lors du procès en Cour intermédiaire.

Tout semble indiquer qu’il ne faudra pas s’attendre à la moindre alerte d’ici la seconde quinzaine de février prochain. Les Law Lords devront enclencher l’étape cruciale du jugement en délibéré cette semaine. Après les Further Submissions de la part de l’Office of the Director of Public Prosecutions (DPP) à la mi-semaine dernière, Me Clare Montgomery, QC, paraissant pour le Pm, disposera d’un délai expirant mardi pour soumettre ses commentaires. À partir de là, les Law Lords définiront le calendrier de travail pour tenter d’éviter tout Dissenting Judgment. “Vu l’importance de cette affaire, comme l’a reconnu Lord Kerr lui-même en fin d’audience, le Privy Council se donnera comme objectif ultime de iron out any dissent in the Findings. De ce fait, il faudra s’attendre à un Judgment Day intervenant à partir du début de mars prochain”, indique-t-on dans les milieux ayant des intérêts déclarés dans le dénouement du scandale MedPoint.

Très complexe

Que ce soit au sein de Lakwizinn du PMO, où l’on s’évertue à vendre l’image d’un Business As Usual, avec le départ de Pravind Jugnauth pour l’Inde, hier, et son retour dans une dizaine de jours, ou dans le camp de l’Office of the DPP, l’on se garde de laisser paraître des signes susceptibles de faire l’objet d’interprétations. “Nous ne croyons pas que quiconque, même des légistes les plus avertis, soit en mesure de dire ce que les Law Lords vont écrire dans les attendus de leur jugement. La nature du délit de conflit d’intérêts est très complexe et donne lieu à des débats, que ce soit en France ou aux États-Unis. C’est un délit pénal. Mais au vu de ce qui a pu transparaître lors de l’audience de mardi, l’on n’aura pas tort de dire que les Law Lords ont compris la démarche initiée. Sans préjuger quoi que ce soit, ce jugement devra faire jurisprudence non seulement à Maurice mais également dans d’autres pays”, poursuit-on dans les milieux autorisés du judiciaire.

Sans s’engager implictement dans la controverse des submissions de l’ICAC et de la présence litigieuse de son directeur général, Navin Beekarry, dans la salle d’audience du Privy Council, mardi dernier, ces mêmes sources font état de deux observations préalables.

Une autre preuve

“Dans la conjoncture, il est bon de rappeler que l’initiative de ce recours au Privy Council en vue de recadrer le concept de Conflict of Interests revient au Bureau du DPP et de nulle autre instance. C’est une manière de réaffirmer l’indépendance constitutionnelle du DPP, indépendamment de la personnalité à la tête de cette institution. Cette interprétation du Privy Council se présentera comme un milestone pour le judiciaire à ce chapitre. Puis, en dépit de l’interprétation limitative de la Cour suprême sur cette question, il est important de mettre en exergue que c’est cette même Cour suprême qui a accordé Leave au Bureau du DPP pour aller au Privy Council. Même si la décision a été prise le 22 juin 2017 alors que la décision d’appel remonte au lendemain du jugement de la Cour d’Appel du 25 mai 2016, le feu vert de la Cour suprême constitue une autre preuve de cette même indépendance constitutionnelle des institutions” , rajoute-t-on en guise de réactions sur MedPoint The Day After.

Des points soulevés devant les Law Lords, deux — la Corporate Personality et le Good Faith évoqué par la Cour suprême pour justifier l’acquittement de la condamnation prononcée par les magistrats Ramsoondar et Neerooha de la Cour intermédiaire —méritent que l’in s’y attarde. “C’est sûr qu’il y aura des éclaircissements dans le verdict du Privy Council. Au vu des arguments développés par les deux parties et les observations Off the Cuf des Law Lords, nous ne devrons pas nous attendre à voir le jugement de la Cour suprême rester intact. Mais dans quel sens, nous n’allons pas nous aventurer pour préjuger du raisonnement des Law Lords”, conclut-on.

L’interprétation de la clause 13 (2) de laPrevention of Corruption Act (PoCA) portant sur le délit de conflit d’intérêts s’avère être plus que déterminante dans le cas de Pravind Jugnauth et dans une autre série de dossiers qui sont en suspens au Registrar de l’Office du DPP. En tout cas, la remarque de Lord Kerr en plein exposé de Me Clare Montgomery, QC, laisse la porte ouverte à des interprétations. “There are the drawings of the lines of the legislation (PoCA). Wouldn’t you agree that Pravind Jugnauth should have stayed away from the MedPoint case?”, questionnait Lord Kerr.

De son côté, intervenant dans le dernier quart d’heure de l’audience et après cette remarque du président du Board du Judicial Committee of the Privy Council, Me David Perry, QC, au nom du DPP, ne manquera pas de profiter pour exploiter cet argument. S’appuyant sur ses arguments liminaires par rapport à la clause 13 (2) du PoCA, dénuée de tout Exempting Power, à l’effet que “the prohibition here is not in taking the decision. It’s much broader. The Public Official is excluded from voting or taking part in any proceeding relating to such a decision”, il ne laissera aucune chance à Pravind Jugnauth par rapport à sa signature du 23 décembre 2010 pour le paiement des Rs 140 millions dans le rachat de la clinique MedPoint.

“He (Pravind Jugnauth) should not have engaged in that direction. Once he is there, he is infected. That’s the purpose of the legislation”, s’appesantit le QC au nom du DPP alors qu’auparavant, il avait soutenu qu’au terme de cette clause, “you should not have crossed that line. He (Pravind Jugnauth) did cross that line”. Revenant sur la thèse de la clause 13 (2) comme “a public confidence provision” dans la lutte contre la fraude et la corruption, il ajoutera, en guise de flèche du Parthe, que “a Public Official cannot avoid liability. You have a conflict of interest provision. It’s the problem to prove corruption. There must be a qui pro quo. There must be something for something.”

Et comme pour soutenir le jugement de la Cour intermédiaire condamnant Pravind Jugnauth dans le scandale MedPoint, Me Perry, QC, s’attaquera à la crédibilité du Pm. “Your lordships have been addressed on the basis that there should be deference to the Supreme Court. With respect, the Supreme Court was not the Court of Trial. Il a déposé devant les magistrats de la Cour intermédiaire. And the Intermediate Court found that Pravind Jugnauth lied. He lied when he said that he hadn’t seen minutes 5 and 5 A of the file on the 23rd December. They rejected his evidence. The Intermediate Court said we disbelieved you when you said you did not see the minutes”, déclare en substance le QC.

Accounting treatment

Désormais, tout est entre les mains des Law Lords qui, lors de la première partie de l’audience, soit avant le break pour le déjeuner, avaient donné la perception, de par leurs interventions, d’être “plus sympathiques à la cause du Respondent (Pravind Jugnauth)”, même si après il y a eu un redressement de la barre. La plaidoirie, moins longue que les deux heures allouées initialement, de Me Clare Montgomery, QC, avait pour principal message que “the question of reallocation of funds is question of accounting treatment… The transaction was completed. It was a matter to be got paid.”

Pour exonérer Pravind Jugnauth de toute accusation de conflit d’intérêts, Me Montgomery fait comprendre au Bench du Privy Council que “the decision was to approve the reallocation of funds. The respondent had nothing to do in any of the process. The first engagement was when the memo came to him.” Plus tard, elle poursuivra sur cette même ligne, rappelant que “it is crystal clear that the decision was for reallocation, not identifying the funds. If that is the decision, what was the evidence that the respondent knew that his sister had a personal interest?”

En conclusion, Me Montgomery mettra en avant le fait que “the evidence before the Supreme Court fully justifies that the case has not been made out either in relation to the interest or mens rea. There was no evidence of a crime committed here.”

Intégrité des institutions

Alors que les Law Lords pèseront le poids des points argumentés oralement et dans les Written Submmissions avant de tirer les conclusions dans le dossier MedPoint, qui a dominé l’actualité au cours des huit dernières années, des conséquences d’envergure sur l’échiquier politique font partie du Order of the Day. Dans certains milieux politiques, l’on n’écarte nullement un coup fourré de Lakwizinn du PMO au calendrier électoral, peu importe la configuration du Ruling du Privy Council. “Avec un scénario favorable à Pravind Jugnauth, ce dernier ne sera-t-il pas tenté d’essayer un Forcing sur le Feelgood Factor pour enclencher les procédures en vue des Snap Elections? Dans le Worst Case Scenario, le gouvernement MSM/Muvman Liberater sera soumis à d’intenses pressions pour débarrasser le plancher à l’Hôtel du gouvernement au nom de l’intégrité des institutions démocratiques”, concèdent ces observateurs politiques.

Dans la configuration d’élections générales anticipées, l’Hôtel du gouvernement devra tenir en ligne de compte un premier impératif. Ces Snap Elections doivent être organisées avant la première semaine du mois de mai en raison du début du Ramadan avec les célébrations de la fête Eid-ul-Fitr annoncées pour le 5 juin. Avec le jugement du Privy Council tombant au début de mars prochain, le pouvoir politique en place disposera d’une fenêtre de deux mois, soit mars et avril, pour ces élections-surprises, sans compter l’adoption par l’Assemblée nationale des obligatoires Transitional Amendments à la Constitution, faute de réforme du système électoral.

En tout cas, à première vue, une gageure politique, qui devrait s’avérer tough à gérer dans l’urgence, même si du côté de la Commission électorale, les registres d’électeurs de l’année dernière seront de mise…

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