MÈRE D’UN TOXICOMANE EN RÉHABILITATION: Je compare ma souffrance à celle de l’enfantement, déclare Ghislaine Melisse

Ghislaine Melisse est une femme anonyme qui n’hésite pas, quand il le faut, à sortir de l’ombre pour partager son histoire. A 69 ans, elle revient volontiers en arrière, au temps où ses deux fils, l’aîné et le benjamin, sont tombés dans la drogue. Ils étaient collégiens quand ils ont eu leur premier contact avec le gandia et autres substances illicites. Pendant des années, elle a lutté à leurs côtés. L’un, la quarantaine, a connu une rechute difficile avant d’accepter le traîtement par la Méthadone, il y a trois ans. L’autre, la quarantaine également, ayant contracté l’Hépatite C, est décédé il y a un an. Il n’avait plus touché à la drogue depuis 22 ans. Ghislaine Melisse, qui est aussi une grand-mère (11 petits-enfants) a choisi de poursuivre son combat auprès des autres parents de toxicomanes. Ce mardi, avec d’autres mères de Solidarité Épanouissement Liberté (SEL), de l’organisation non-gouvernementale Lacaz A, dont elle fait partie, elle sera sur le parvis de l’église Immaculée Conception, à Port-Louis, pour passer des messages dans le cadre de la journée mondiale contre la drogue.    
Comment aviez-vous réagi quand vous aviez appris que vos fils se droguaient?
Les deux, l’aîné et le benjamin, ont eu quasiment le même parcours en toxicomanie. Donc, ils avaient commencé à se droguer en même temps. Ils avaient 15-16 ans et étaient au collège à l’époque. Des personnes m’en avaient parlé. J’avais des doutes, mais je n’acquiesçais jamais. Au fond de moi, quand j’en ai eu la certitude, j’ai éprouvé un immense chagrin. J’ai compris que quelque chose n’allait pas quand les effets personnels de mon fils aîné ont commencé à disparaître. Cela remonte à plus de 20 ans de cela. A cette époque, on ne parlait pas de la drogue. C’était un sujet tabou. Je croyais même que mes deux fils étaient les seuls à se droguer, dans notre entourage. Je ne savais pas que d’autres jeunes le faisaient aussi. A ce moment-là, j’éprouvais aussi le sentiment de la honte. Je voulais même quitter la cité où nous vivions, pensant que je les éloignerais du problème et de leurs fréquentations.
Quand est-ce qu’ils vous ont alors avoué qu’ils se droguaient?
Ils avaient la vingtaine. Pendant tout ce temps, ils ont nié. J’ai alors commencé à faire des recherches sur les soutiens existants. A l’époque, je n’habitais pas loin de l’église catholique de Cassis et je me suis tournée vers les prêtres qui exerçaient alors dans la paroisse, lesquels ont soutenu mes fils. Parallèlement, Cadress et Ragini Rungen avaient démarré le Groupe A. J’ai demandé leur aide. Heureusement que mes fils acceptaient de m’accompagner. Ce qui me confortait dans l’idée que les fils allaient s’en sortir. Mais je ne savais pas que cela n’allait pas se faire facilement.
Vous étiez la seule, chez vous, à mener ce combat?
Ma fille a été d’un soutien extraordinaire. Elle a souvent pris le relais quand je ne pouvais pas accompagner ses frères. Mais leur père a toujours refusé d’accepter le fait que ses fils soient tombés dans la toxicomanie. Il n’a pas voulu les aider à s’en sortir. Il a toujours pensé qu’il leur a tout donné et qu’il n’avait pas failli dans son devoir de père. Je dois reconnaître qu’il a travaillé dur pour que sa famille ne manque de rien. Mes enfants ont toujours mangé à leur faim, ils avaient un toit et ont été scolarisés. La situation le dépassait. Je me suis retrouvée seule, en tant que parent dans ce combat. Cela a crée des tensions entre leur père et moi, il disait que je les « soutirais ». Lui, il était plus autoritaire. Mais ces tensions ne m’ont pas découragée pour autant. Mon époux savait que je souffrais, mais il campait sur ses positions. Et puis, nous ne communiquions pas assez. Nous n’avons jamais vraiment parlé de l’addiction de nos fils à la drogue. Quand je pense à tout ce que j’ai fait pour mes fils, je me demande encore d’où j’ai pu puiser ma force pour lutter pour eux. Je me souviens que je rentrais tard chez moi à force de chercher des centres et des solutions pour la réhabilitation de mes enfants. Un soir en rentrant, le benjamin m’a demandé d’où je revenais. Et je ne sais pas pourquoi, je lui ai répondu : « Tu sais, je me drogue et reviens du centre de Terre Rouge. » Il était surpris. Quelques temps après, il m’a dit : « Maman, j’irai là où tu vas, dans ce centre. » Mais, les deux sont devenus des patients du Centre de Solidarité pour une Nouvelle Vie.
Il est difficile de résumer 25 ans de combat contre la drogue aux côtés de ses enfants. Mais quel a été le moment le plus difficile que vous ayez vécu durant cette période?
Lorsque j’ai pris conscience qu’ils se droguaient et les soirs où je rentrais du centre de réhabilitation, tard dans la soirée. J’y allais tous les matins avec eux. Il fallait que je les accompagne. J’ai dû abandonner le projet de garderie que j’avais démarré. Je ne travaillais plus et je devais trouver de l’argent pour payer nos transports.
Vous avez connu des moments d’espoir?
Mon premier contact avec le Groupe A de Cassis m’a insufflé du courage. Tout au long de mon combat aux côtés de mes fils, je n’ai à aucun moment baissé les bras. J’ai eu des accès de colère. Mais j’ai persévéré dans la lutte.
Les mères de toxicomanes parlent de souffrance. Peut-on décrire la souffrance d’une mère?
La mienne, je la compare à la souffrance de l’enfantement. Cette souffrance me fait revivre cet instant. Aussi, je me dis que j’ai mis mes enfants au monde sans la drogue et dans la joie. Et j’ai voulu tout ce qu’il y a de meilleur pour eux. J’ai fait de mon mieux pour qu’ils ne connaissent pas ce que j’ai vécu durant mon enfance.
Votre benjamin ne se drogue plus. Il mène une vie normale auprès de sa famille. Pourquoi est-ce que vous continuer à consacrer du temps aux torts que provoque la drogue?
Il y a 25 ans j’étais seule. Si seulement à l’époque il y avait un regroupement de parents, je me serais sentie épaulée, comprise… Aujourd’hui, je suis certes heureuse… J’ai l’esprit tranquille. Mais je sens que je dois être là pour les autres parents, les écouter, leur transmettre du courage et de l’espoir. Je rencontre des toxicomanes rejetés par leurs mères et cela me fend le coeur. Moi je n’ai jamais abandonné mes enfants et je ne peux concevoir l’idée qu’une mère puisse le faire. Quand des parents me remercient pour mon témoignage et le courage que je leur apporte, je me dis que j’ai raison de poursuivre ce que j’ai commencé pour mes enfants.

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