Mettons fin au « Jaidéisme » (II) !

Avinash Ramessur

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Glissement du fabianisme vers le Jaidéisme

Le fabianisme s’est retrouvé dégénéré en Jaidéisme chez nous car il ne s’est pas contenté de son but de politique macro-économique et sociale mais a infiltré les microsphères de notre société en ayant été interprété comme un passe-droit pour du laisser-aller. Le but n’est pas de refaire l’histoire car Dieu seul sait les contraintes et les problèmes auxquels ont été confrontés nos premiers gouvernants pour faire aboutir une nation après l’indépendance, et ce dans un contexte de divisions et de tensions communautaires.

Mais il est fort probable que dans des moments de grande faiblesse humaine, la « realpolitik » ait pris le dessus sur 1.) les considérations séculaires et 2.) l’application des règles de l’état de droit afin de pouvoir durer et que donc le fabianisme dégénéré en Jaidéisme ait été un outil précieux pour autoriser les diables nommés incompétence, médiocrité et malhonnêteté à s’incruster dans notre société. D’où notre lente dégradation vers une culture de l’à-peu-près et vers ce que j’ai appelé « le royaume des médiocres » dans un article précédent.

Lee Yuan Kew, initialement adepte du fabianisme également, disait y avoir renoncé car irréaliste dans son application par rapport aux besoins de son pays. Ceci donne assurément matière à réfléchir.

L’exemple de Singapour est d’ailleurs intéressant à plus d’un titre car, pour justifier le sectarisme, on nous dit souvent que Maurice est un cas multiculturel unique et qu’il nous faut donc accepter le sectarisme comme « réalité » – comprenez par là « Jaidé », il n’y a rien à voir ou à faire si le réflexe sectaire est utilisé pour se défendre en cas de transgression.

Quelle baliverne! Figurez-vous que Singapour a la composition religieuse suivante : 33.2% « Buddhism », 18.8% « Christianity », 18.5% « No religion », 14.0% « Islam », 10.0% « Taoism and folk religion », 5.0% « Hinduism », 0.6% « Others ». Et ce pays se classe parmi les meilleurs mondiaux en termes de « law enforcement » sans n’avoir rien à nous envier en termes de tolérance. Il y a donc, ailleurs, moyen de faire autre chose que le « Jaidé » en cas de transgression tout en respectant les composantes multiculturelles et tout en étant tolérant.

Ensuite il m’appartient de démolir la tentation facile que certains auraient eue en ayant lu ce texte jusqu’à cette ligne. Non, le Jaidéisme n’est pas l’apanage d’une communauté en particulier malgré l’origine du mot que j’ai choisi pour définir le concept en question. J’ai bien utilisé le terme « nous Mauriciens » très tôt dans le texte pour signifier que le Jaidéisme touche toutes les communautés, les tranches d’âges, les classes, les catégories socio-professionnelles etc …
Le baron d’Unienville disait dans son ouvrage, datant de 1838, la chose suivante :

« Ce que M. de Ternay et autres administrateurs auraient pu remarquer et reprocher avec raison aux habitans planteurs de l’île de France, c’était le peu de prévoyance dans l’aménagement de leurs forêts, l’insouciance pour la conservation de leurs meilleures terres ; la négligence dans le soin, ou l’éducation de leurs troupeaux, le défaut d’engrais, le peu de suite et de constance dans le genre de culture, qui était pour ainsi dire une affaire de mode, sans égard à la qualité du sol et du climat propre, ou non, à telle ou telle espèce de production, enfin le peu d’attention à empêcher la reproduction des mauvaises herbes , de celles même reconnues les plus contraires au succès des plantations.

D’où provenaient ces dispositions qui présentaient autant d’obstacles au perfectionnement de l’agriculture , dans une île qui semblait promettre au cultivateur un ample dédommagement de ses travaux ? Etait-ce purement ignorance, ou paresse ? ni l’une, ni l’autre. Il s’est toujours trouvé ici de très bons agriculteurs et des hommes très actifs, dont l’exemple pouvait diriger les efforts de ceux qui se vouaient à l’état de planteurs ; mais le mal provenait de ce que chaque habitant ne regardant cette colonie que comme un lieu de passage, ne s’attachait qu’aux moyens de faire une fortune rapide par toutes sortes de voies … » (Statistiques de l’île Maurice et de ses dépendances)

Tiens, tiens ! Le baron décrivait et décriait déjà le Jaidéisme presque 200 ans de cela. Depuis, le Jaidéisme a bien évidemment évolué pour prendre d’autres formes.

Mieux encore, le baron nous indique la raison de ce mal profond qui perdure toujours dans :

la conscience de certains – on les distingue facilement dans la répugnance de leurs propos ou de leurs actes et ;

l’inconscience de beaucoup, ce qui a amené de fait le Jaidéisme à être une seconde nature en nous.

Il s’agit du manque d’attachement à cette patrie, notre patrie, dont nous sommes tous des fils et des filles issus de gens importés d’ailleurs au cours des générations précédentes et qui ont accédé au rang d’élite soit politique, soit économique ou soit intellectuel. Nous avons, pour beaucoup, du mal à nous défaire de la raison initiale de la venue de ces ancêtres sur cette terre, qui consistait à faire fortune rapide, car notre inconscience en est imprégnée.

Ainsi, se termine cet essai. Comme conclusion, je dirais que nous devons certainement regarder avec fierté le chemin parcouru depuis les 50 ans de l’Indépendance de notre pays – il n’est pas question de ne voir que le verre à demi-vide. Mais nous devons également rester lucides sur ce qui ne va pas et les aborder en profondeur pour les 50 ans à venir. Trop souvent nous nous contentons de traiter les problèmes en surface, un peu comme les nids de poule qu’on vient colmater à répétition sur les mêmes chemins sans se demander s’il n’y a pas lieu de réaliser un traitement plus radical du fait de problèmes sous-jacents, plus difficiles à cerner, demandant courage, intégrité, vision et excellence. Le Jaidéisme est un problème, même un mal, majeur.

Suite et fin

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