MORIS DIME – FINN ARIVE YER – 1967 : Mgr Liston, les Relief Workers et SSR

Moins de deux mois après les élections générales d’août 1967, la conférence de presse de Sir Seewoosagur Ramgoolam – répercutée dans Le Mauricien du 29 septembre 1967 – fait grand bruit. Le « Premier » annonce la décision du gouvernement d’alors de licencier plusieurs milliers de « Relief Workers » (travailleurs de relève), employés auparavant dans un souci de lutter contre le chômage.
Parmi les points avancés pour justifier cette prise de position du gouvernement d’alors : les difficultés économiques découlant d’une baisse du prix du sucre sur le marché mondial, de l’accroissement démographique ainsi que « les abus, la fraude et la corruption » de la part de ceux, qui, bien que ne disposant pas des compétences requises, se sont inscrits comme « Relief Workers ». SSR soutient par là même que « ces subterfuges enlèvent le pain de la bouche de nos frères qui en ont le plus besoin. De nos frères qui doivent travailler pour nourrir les familles dont ils ont (la) charge ». Dans cette démarche de restructuration, un appel est donc lancé à la « collaboration » du secteur privé, de toute la presse et des travailleurs. La situation économique est grave en effet, Le Mauricien titrant en une : « EN STRUCTURE CAPITALISTE, la caisse est vide ».
Dans ce contexte, une information publiée en caractères gras dans l’édition du 29 septembre 1967 ne peut que sauter aux yeux du lecteur : les Relief Workers « qui se sont fait inscrire en juillet seront les premiers à être renvoyés ». Ces inscriptions ont eu lieu le mois précédant la tenue des élections générales le 7 août 1967. La critique formulée par André Masson, doublée d’une gifle éditoriale, ne s’est pas fait attendre: « un chef responsable qui affronte ses responsabilités et le dit au pays : la confession publique d’une irresponsabilité qui, à la veille même des élections, laissait embaucher aux frais du pays saigné à blanc des ‘Relief Workers’ qu’on savait inutiles, sinon sur le plan purement électoral…».
Pour sa part, Yves Ravat, rédacteur littéraire du Mauricien, ne serait-ce que quelques jours plus tard, soit le 2 octobre 1967, reprend le volet de la « collaboration » des journalistes recherchée par SSR lors de sa conférence de presse dans cette conjoncture de crise économique. Une double interrogation critique sous sa plume acérée se lit en ces termes: « Mais comment demander aux journalistes de collaborer alors que le gouvernement leur a toujours caché la vérité et, qui plus est, le Premier n’a jamais laissé passer l’occasion d’affirmer que ‘le pays est prospère’ ? Comment demander la collaboration de journalistes qui n’ont jamais réussi à faire comprendre au gouvernement qu’il conduisait le pays à la ruine ? »
Entre-temps, les journalistes et photographes du Mauricien couvrent des faits et gestes de la rue, qui ne cesse de gronder à la face de la Riot Unit suite à l’annonce du licenciement de plus de 2000 Relief Workers. Le vendredi 29 septembre, la capitale devient le théâtre d’une « revendication populaire ». Le quotidien publie le lendemain la version officielle de la police, qui communique que le ministre des Administrations régionales, Sookdeo Bissoondoyal, a subi des blessures légères et que 29 personnes ont été arrêtées pour avoir pris part à une émeute. La situation se corse pour le gouvernement de SSR (lui-même placé « sous protection de la Riot Unit »), avec l’annonce de la décision du syndicaliste S.Jugdambi d’entamer une grève de la faim en compagnie de 200 autres Relief Workers…
    Deux jours plus tard, le dimanche 1er octobre 1967, dans une situation sociale et politique instable, un sermon prononcé allait résonner par delà les murs et vitraux de la Cathédrale St-Louis. A tel point que cet autre son de cloche de l’évêque de Port-Louis, Mgr Daniel Liston, fait l’objet, lundi, d’un stop press du Mauricien : « Mes chers frères, le moment présent est dominé pour nous par le licenciement des Relief Workers qui a été annoncé il y a quelques jours. Il nous déchire le coeur. Ces Relief Workers ne sont pas des chiffres, ne sont pas des abstractions – ils sont nos frères : ils sont telle personne concrète, enfant de Dieu comme nous, et responsable, aujourd’hui, peut-être de femme et d’enfants, ‘sans rien à manger à la maison’. Que feront-ils pour vivre et faire vivre les leurs ? Où trouveront-ils les moyens de leur donner à manger ? ». Le prélat ajoutera plus loin qu’il croit « devoir mettre en doute la prudence de cette décision prise par le gouvernement » bien qu’il soit un « ami personnel » du Premier ministre, précisant qu’il ne souhaite pas là embarrasser ce dernier et le gouvernement. Un sermon que Mgr Liston terminera en encourageant à la fois le gouvernement et l’opposition à mettre à contribution leurs compétences en vue d’une solution équitable. Ce discours d’apaisement et d’unité aurait eu un impact certain sur la conscience populaire de l’époque si l’on tient compte également de la diffusion d’un appel au calme de l’évêque de Port-Louis le 2 octobre 1967 à la télévision.
Qui plus est, ce n’est que le 3 octobre que les violences à Port-Louis baissent en intensité, avec « un blessé et quelques arrestations » alors que pour la veille on évoquait l’arrestation de 73 personnes, le commandant de la SMF blessé, et la présence de Cocktail Molotov…
Cependant, Le Mauricien archivera d’autres traces de violences de la part des « hommes qui ont faim et pas de travail » contre des bureaux de l’Etat à Curepipe et le domicile de l’ancien ministre du travail du Ptr Harold Walter qui, tel que rapporté dans l’édition du mardi 10 octobre 1967, « s’empare alors de son fusil, un calibre 16, et tire deux coups par une fenêtre de son bureau »…

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