Musée de l’Esclavage ou la démagogie patrimoniale

PADMA MOULIN-UTCHANAH

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Haïti, première République noire, a inauguré en 1983 le musée du Panthéon national haïtien. Cet espace est dédié à l’histoire de la traite négrière transatlantique. Ce pan de l’Histoire haïtienne, empreinte de grande fierté nationale, n’est laissé à l’abandon ni par l’usure du temps, ni par les travers de la modernité, et encore moins par des leurres démagogiques. Autre sphère, cap sur l’océan Indien, au musée historique de Villèle à l’île de la Réunion. Inauguré en 1976, ce lieu de mémoire tisse un lien épidermique indissociable entre le passé, le présent et le futur. 

Et à Maurice, où en sommes-nous avec notre Musée de l’Esclavage ? 50 ans après l’indépendance, 12 ans après l’inscription de l’Aapravasi Ghat au Patrimoine mondial de l’Unesco, notre Musée de l’Esclavage peine toujours à se faire une place dans la destinée mauricienne. Cette nonchalance affligeante est tout simplement une honte pour notre pays. Combien de temps faudra-t-il encore attendre ? À quand une reconnaissance nationale ? Il est grand temps de briser cette chaîne de l’injustice patrimoniale.

Les gouvernements successifs ont à chaque fois prétendu vouloir s’intéresser à ce projet. Des partis politiques ont accaparé ce sujet, sans apporter de réels résultats tangibles. Notre Musée de l’Esclavage s’est retrouvé malgré lui à jouer à la chaise musicale de la démagogie. Les propositions des lieux changent constamment, rendant ainsi l’élaboration de notre musée caduque. Des subterfuges de langage, aussi ronflants les uns que les autres (consultant ; étude préliminaire ; faisabilité ; experts ; UNESCO ; buffer zone…) sont utilisés afin d’embrumer les yeux des citoyens. Les actes sont invisibles, seuls la fumisterie et les discours grandiloquents trouvent écho dans la brise tropicale. Par ailleurs, la lenteur administrative a bon dos. En serait-il de même si les descendants d’esclaves avaient un pouvoir électoral majeur dans notre pays ? Cronos, le dieu du temps a été témoin de l’indolence gouvernementale.

Le président de la République du Mozambique sera l’invité d’honneur pour la commémoration du 184e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. N’est-ce pas là une manière très subtile et déguisée de faire faux bond au projet ? Ne serait-ce pas plus judicieux de s’atteler d’abord au Musée de l’Esclavage et ensuite d’inviter le président ? Nul n’a besoin de savoir tirer les cartes ou d’être diseuse de bonne aventure pour savoir qu’à l’issue de la commémoration du 1er février, nous aurons droit de nouveau aux sempiternelles promesses. Ces espérances sans lendemain sont aussi légères qu’éphémères. En invitant le Président de la République du Mozambique, l’État, le plus grand prestidigitateur, va ainsi créer une illusion parfaite d’avoir accompli son devoir patrimonial.

L’attente éhontée et outrageuse de la mise sur pied du Musée de l’Esclavage est tout simplement un acte irrévérencieux à l’égard du devoir de mémoire de nos aïeux enchaînés. À l’approche des élections, la démagogie patrimoniale, parée de ses plus beaux atours, s’évertuera à faire la danse de la séduction électoraliste…et hélas au prochain changement du gouvernement, le projet du Musée de l’Esclavage, un boulet au dossier, risque d’être enfermé, muselé, enchaîné, cadenassé à double tour et jeté par-dessus bord jusqu’à atteindre le tréfonds de l’oubli…

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