Musique locale : Les vétérans parlent du séga moderne

Ils ont construit le socle sur lequel le séga local continue son parcours et demeurent attentifs à ce que la nouvelle génération fait de leur héritage. Ils ne sont pas contre l’évolution mais souhaiteraient des créations mieux réfléchies et plus de créativité. C’est ce que disent quatre vétérans, à qui nous avons posé les mêmes questions : Serge Lebrasse et son inimitable déhanché, par qui le séga a fait son entrée dans les salons; Cyril Ramdoo et ses ségas humoristiques; ainsi que la touche féminine à la façon de Josiane Cassambo et Catherine Velienne. Ces auteurs, compositeurs et interprètes de 45 tours, cassettes et disques ont pour la plupart pris leur retraite de la scène.

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Quel morceau local récent écoutez-vous en ce moment ?

Serge Lebrasse : À mon âge (89 ans), j’ai du mal à retenir les noms des artistes et de leurs morceaux. Mais il y a bien un qui a retenu mon attention : le titre Laglwar de The Prophecy, qui passait en boucle à la radio. J’avoue cependant que je prends plus de plaisir à écouter un bon vieux séga à la radio, comme celui de mon ami Cyril Ramdoo.

Josiane Cassambo : J’écoute la radio tous les jours. Ces derniers temps, j’ai une préférence pour la chanteuse Nikita (Mo zip desire). So lavwa mari zoli, ek li sant bon parol. C’est une artiste qui, à mon avis, est bien partie pour reprendre le flambeau.

Cyril Ramdoo : J’essaie d’écouter les radios pour m’informer de ce qui se fait au niveau de la musicale locale. Le morceau Rann Mwa Fou de Mr Love m’a permis de redécouvrir cet artiste. Il est très doué et j’aime bien son timbre de voix. L’arrangement musical m’a marqué par sa simplicité; il ne noie pas le texte et la voix.

Catherine Velienne : Il y en a tellement, mais il est impossible de tous les retenir, car cela change de semaine en semaine. Je n’ai cependant aucune difficulté à reconnaître un morceau de Nikita pour son style et son texte qui cadrent bien avec les ségas d’antan. C’est le cas de son tout dernier morceau, Mo zip desire. Il est dommage que tous les nouveaux ségatiers et jeunes artistes ne se donnent pas vraiment le temps de composer et de proposer de jolis morceaux.

Quelle est votre opinion sur la musique locale d’aujourd’hui ?

Serge Lebrasse : Je ne peux pas dire que c’est bon ou pas. Chacun est libre de faire ce qu’il veut. Mais si nous écoutons un programme de deux heures avec uniquement des artistes mauriciens, on constate que certains sortent du lot. Chez ceux qui débutent, il m’arrive souvent de repérer certaines lacunes, surtout du côté des textes qui n’ont pas de sens. Avec un peu plus de travail et d’expérience, ils pourront certainement s’améliorer. En termes de sonorités, je constate un réel travail de recherche, avec des arrangements musicaux bien maîtrisés, grâce à de très bons musiciens.

Catherine Velienne : La plupart des morceaux s’éloignent du vrai séga. Les jeunes ont tendance à le mélanger au dancehall et à d’autres sonorités venus d’ailleurs. A fors pe dilie sega dan tou kalite zafer, li riske disparet net. On ne peut pas compter sur les radios ou la télévision nationale, qui n’accordent pas vraiment d’importance à la musique locale. Les animateurs n’ont pas une grande connaissance de l’histoire de la musique et balancent n’importe quoi à l’antenne. Les vrais ségatiers de mon époque n’ont plus envie de faire de la musique, car ils risquent de voir leurs chansons finir au fond d’un tiroir, surtout avec les problèmes de piratage.

Cyril Ramdoo : J’ai peur de dire que c’est en peu en décadence. Les artistes sont plus enclins à faire de la musique commerciale. Ils ne portent aucune attention à l’écriture des textes. Ils balancent quatre paroles et le morceau devient un tube. La nouvelle génération imite trop les étrangers. Ce n’est plus de la musique locale. À notre époque, nous ne lésinions pas sur les moyens et le dur labeur pour sortir un bon morceau qui racontait une histoire ou une anecdote. C’était du vrai séga mauricien.

Josiane Cassambo : La nouvelle génération a envie de faire du bon travail. Les nouveaux venus sont peut-être mal encadrés et ils se laissent influencer par des gens qui se font passer pour des professionnels. Les choses ont beaucoup évolué et cela ne peut qu’être bénéfique pour le sega tipik comme pour tous les autres styles de séga et de musique locale. Il y a de la place pour tout le monde. Il faut savoir évoluer avec son temps, respecter et apprécier le travail des autres.

Comment souhaiteriez-vous voir évoluer la musique mauricienne ?

Serge Lebrasse : Le séga a toujours été apprécié par les Mauriciens et les étrangers. Il est sur la bonne voie et ne cesse de grandir, d’évoluer et de s’améliorer. Nous les anciens, nous avons fait notre part du travail. C’est au tour de la nouvelle génération de reprendre le flambeau. Les jeunes doivent veiller à préserver l’héritage, tout en y apportant leur touche.

Cyril Ramdoo : La musique mauricienne évolue dans le bon sens grâce à de bons chanteurs et musiciens. Surtout ceux qui jouent dans les hôtels et qui ont vraiment de l’expérience. Mais les radios locales devraient jouer leur rôle. En France par exemple, on ne laisse jamais tomber les artistes locaux. Ici, la programmation n’inclut pas les anciens, car ce sont souvent de jeunes animateurs qui proposent uniquement ce qu’ils aiment. Pour que notre séga puisse avoir la place qu’il mérite, il faudrait cesser de le considérer comme enn bous-trou ki zis fer bouz lerin.

Josiane Cassambo : Zordi sega tipik fini gagn so sertifika. Cela n’aurait pas été possible sans la détermination et la persévérance de plusieurs artistes qui, malgré peu de moyens, ont fait connaître cette musique. Le plus important est de savoir la préserver et la transmettre à la nouvelle génération. Sinon, les enfants ne connaîtront uniquement que les chansons modernes et internationales. Li pa zis responsabilite bann segatie. Tout le monde doit se sentir concerné par notre patrimoine musical.

Catherine Velienne : Sans lieu approprié pour faire des concerts et sans la volonté d’organiser des événements pour permettre aux artistes – anciens et nouveaux – de présenter leur travail, la musique mauricienne continuera à stagner. Il y a vraiment urgence de revoir notre manière de promouvoir notre musique à Maurice avant d’essayer de le faire à l’étranger.

Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes ?

Serge Lebrasse : Il ne faut surtout pas avoir la grosse tête. La musique est un domaine imprévisible. Vous pouvez aujourd’hui être au sommet et vous retrouver demain aux oubliettes. Tout ce qui est dans l’exagération ne dure jamais. Il faut être très patient et méticuleux dans son travail. Toujours prendre le temps d’analyser et de décortiquer une composition avant de la proposer au public. Si vous sentez que vous n’êtes pas doué pour l’écriture, n’ayez pas honte de faire appel à des personnes compétentes. Faire de la musique, c’est avant tout un travail d’équipe.

Cyril Ramdoo : Ne pas hésiter à prendre des cours de musique pour mieux cerner les harmonies, comprendre comment construire une musique, et ensuite placer un texte. C’est un métier à exercer avec amour et passion. Il faut toujours rester soi-même, prendre ses marques progressivement et ne pas baisser les bras, car c’est une route qui sera toujours semée d’obstacles.

Josiane Cassambo : Fode pa zot renie zot lidantite. C’est notre héritage. Sega li dan nou sa. Il ne faut surtout pas se laisser tenter par la facilité en se lançant uniquement pour faire du business. Le séga est une musique qui se fait avec les tripes. Fode kone ki pe dir ek sante divan dimounn. Le rythme est aussi important que les instruments traditionnels. Pour que le résultat soit parfait, il faut apprendre à tout maîtriser. Pa ezite pou al demann led ek konsey bann ansien. Nou la pou gid zot dan bon direksion”.

Catherine Velienne : Arrêter de copier et d’imiter ce qui se fait ailleurs dans le monde. Pa zis met dialsa ki konte. Il faut s’appliquer à écrire des textes propres avec votre cœur, un morceau qui a du sens et ne blesse personne. La musique est une bonne thérapie que l’on partage avec joie. C’est un métier que je conseille aux jeunes afin d’éviter de gâcher leur vie dans des fléaux comme la drogue et l’alcool.

Quels sont les défis auxquels vous étiez confrontés à vos débuts ?

Serge Lebrasse : En tant qu’instituteur, j’ai dû faire face à pas mal de critiques. À cette époque, la société ne voyait pas d’un bon œil que je puisse chanter en kreol. Pour certaines personnes, je devais donner l’exemple en m’exprimant en anglais ou en français. Mais ma passion a été plus forte, et cela m’a encouragé à me donner à fond dans l’écriture de mes morceaux. Parmi d’autres difficultés rencontrées, il y avait aussi le souci de convaincre les studios pour enregistrer des titres. Comme nous étions des débutants, ils ne nous faisaient pas toujours confiance et avaient peur que le public vienne les critiquer en cas d’échec.

Catherine Velienne : C’est surtout la mentalité des gens, qui pensaient qu’une femme n’était pas capable de chanter du séga. Zot ti plis aksepte ki enn fam dans sega. À mes débuts, nous n’étions pas nombreuses et on ne faisait pas vraiment appel à nous. Mais j’étais bien décidée à persévérer et je ne me suis jamais laissé décourager. À 72 ans et 51 ans de carrière, je suis fière de mon parcours et de ma contribution à la musique locale.

Cyril Ramdoo : La tâche la plus difficile a été d’écrire des chansons. Ce n’est pas venu aussi facilement que cela. Pour mon premier morceau, Baptême létan margoz, j’ai pu compter sur un texte écrit par Jocelyn Siou. Mais après le succès de ce titre, je me suis lancé le défi d’écrire mes propres compositions, et c’est ainsi que j’ai sorti Froder maryaz. Je venais avec un style différent et ce n’était pas évident de faire entrer un séga humoristique dans le salon des gens. Mais en le faisant par petites doses, j’ai pu trouver ma place.

Josiane Cassambo : J’ai eu de la chance de venir d’une famille de ségatiers et j’ai toujours été respectée. Le séga m’a permis de voyager, mais j’avoue que ce n’est pas un métier facile. Aujourd’hui encore, il n’est pas reconnu et bien rémunéré. Je n’ai pas hésité à faire d’énormes sacrifices en acceptant de petits cachets. Me an 60 an karyer, zame mo finn regrete.

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