Mythes et faits liés à l’Indépendance

SSR avait-il réellement voulu faire coïncider la date du 12 mars avec le Dandi Walk de Gandhi ?

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Qui furent les vrais initiateurs de l’alliance vainqueur des élections de 1967 ?

Sir Seewoosagur Ramgoolam, chef du Parti de l’Indépendance, vainqueur des élections générales décisives de 1967, avait-il intentionnellement choisi la date du 12 mars pour l’accession de Maurice à l’indépendance afin que celle-ci coïncide symboliquement avec le lancement en Inde de la Marche du Sel par le Mahatma Gandhi ? Cette célèbre marche, connue comme le “Dandi Walk”, engagée le 12 mars 1930, est, en fait, considérée comme le vrai coup d’envoi de la lutte des Indiens contre la tutelle britannique. Raouf Bundhun, l’ancien vice-président de la République, soutient que SSR l’avait ainsi voulu et lui en avait fait la confidence lors d’une rencontre privée en compagnie du défunt Bismadev Seebalack.

Narainduth Sookhoo, opposé à l’indépendance en 1967 — il fut d’ailleurs candidat malheureux du PMSD à Port-Louis-Nord/Montagne-Longue contre le même Raouf Bundhun aux élections générales de cette année — n’en croit rien. Universitaire et chercheur exerçant en Grande-Bretagne, Narainduth Sookhoo, qui a été longtemps responsable du département d’Histoire au Mahatma Gandhi Institute (MGI), maintient « que ce n’est qu’un mythe créé par de pseudo-historiens mauriciens » .

Une lettre de George Thomson, alors Foreign Minister du gouvernement travailliste anglais, adressée le 16 octobre 1967 à son Premier ministre, Harold Wilson, démontre qu’à un moment donné, après que l’Assemblée législative de Maurice eut acté par un vote majoritaire (le 22 août) le choix de l’électorat pour l’indépendance, le gouvernement colonial britannique s’impatientait du retard que mettait Sir Seewoosagur pour en préciser une date.

George Thomson déclara que, initialement, SSR avait lui-même « insisté » auprès du gouvernement colonial pour une date durant la même année, soit 1967. Puis, écrivit-il, SSR, qui portait encore le titre constitutionnel de “Premier”, était allé voir le gouverneur (Sir John Shaw-Rennie) au Réduit pour savoir qu’elle serait la date possible à la lumière de l’expérience du gouvernement britannique. ( « The Premier has now asked through the Governor to know what date for independence appears possible in the light of the British Government’s experience of the necessary requirements »).

Valse hésitation de SSR

Le ministre Thomson était convaincu que SSR et ses ministres étaient en train de faire traîner les choses à cause de la situation économique très difficile dans laquelle se trouvait Maurice. Ainsi, d’emblée sous le chapitre « Recommendation », il martela que « même s’il fallait accorder une période de transition de six mois vers l’indépendance totale à travers un gouvernement autonome (internal self-government), il fallait quand même, sans délai, amener les ministres mauriciens à faire face aux réalités de leur situation économique et financière » . (Dans un autre paragraphe de la lettre, Thomson affirmait que les élections générales eurent lieu le 7 août 1967, mais après plusieurs renvois, “primarily due to the Premier of Mauritius”).

Le même mois d’octobre 1967, SSR devait être en visite à Londres. Le ministre Thomson informa Harold Wilson qu’il se proposait de dire à SSR que la Grande-Bretagne était prête à appliquer l’engagement pris par le Secrétaire colonial Anthony Greenwood à la Conférence constitutionnelle de Lancaster House (septembre 1965) et que l’île Maurice deviendrait indépendante le 12 févrièr 1968. « It may be necessary to accept a slightly later date but I consider that we should insist on a date as near mid-February as possible and should certainly resist any attempts by Mauritius Government to defer independence beyond one or two months after end of February », écrivit-il.

Le ministre Thomson signala à l’intention de son Premier ministre qu’il y avait trois « relevant factors » à prendre en considération avant de fixer la date de l’indépendance de Maurice :
— « Maurice fait face à une crise financière majeure. Le déficit du compte courant jusqu’à juin 1968 était estimé à 3 millions de livres sterling, celui du budget capital de 3 à 4 millions. Les ministres mauriciens demandent que le gouvernement de Sa Majesté comble ces déficits, bien qu’ils aient été avertis qu’une aide d’une telle ampleur ne serait pas possible et cela pourrait bien envenimer les relations ».
— « Il y a, à Maurice, un grand centre naval de communications et des facilités aériennes (l’ex-HMS Mauritius) que la Grande-Bretagne souhaite conserver pour une période indéfinie ».
— « Il n’y avait pas eu une majorité populaire écrasante en faveur de l’Indépendance aux élections générales. Bien que les partis de l’indépendance disposaient d’une majorité de 15 députés au sein d’une Assemblée législative de 70 membres, la majorité des électeurs en faveur de l’indépendance était, elle, approximativement de 30 000 sur un registre électoral de 307 000. Mais, comme il avait été convenu que la résolution en faveur de l’indépendance ne nécessiterait (à l’Assemblée législative) que d’une simple majorité et que l’opposition à Maurice avait accepté le verdict, il fallait aller de l’avant ».
Le ministre Thomson fit remarquer que, quoique la résolution de l’Assemblée législative avait exigé que l’indépendance « as early as practicable in 1967 » et que SSR lui-même avait demandé quelle serait la date la plus pratique, il (SSR) a maintenant confié à Lord Shepperd (ministre d’Etat britannique aux Affaires du Commonwealth) qu’il « pense qu’une date en avril ou en mai 1968 serait meilleure, car la saison cyclonique à Maurice dure de janvier à mars » .

Devant la valse hésitation de Sir Seewoosagur Ramgoolam, Thomson écrivit que le temps programmé pour l’accession de Maurice à l’indépendance « has already slipped very badly due to procrastination by the Premier and I consider it important that the date should not be unduly delayed. I also consider it important to reach early agreement on the date, and to announce it quikly so that Mauritius ministers are committed to it and unable to retract without loss of prestige ».

Le ministre Thomson sollicita donc le 16 octobre l’assentiment de ses collègues pour soulever la question sérieusement avec SSR, ce qu’il reçut effectivement. Et l’on peut croire que Thomsom sut trouver des arguments convaincants, puisque seulement huit jours plus tard, lors d’une intervention dans le cadre des débats à la Chambre des communes autour du Mauritius Independence Bill, il eut le plaisir d’annoncer qu’il avait discuté avec Sir Seewoosagur et qu’un accord avait finalement été trouvé : Maurice deviendra indépendante le 12 mars 1968.

Est-ce imaginable que, en dépit de sa propre ambition dévorante qu’il affichait ouvertement de devenir, à 65 ans, le tout premier Premier ministre de son pays, Sir Seewoosagur Ramgoolam — par ailleurs de mauvaise santé à l’époque — fût-elle à faire languir les anciens maîtres coloniaux de son pays, rien que pour s’accrocher au symbolisme d’une action gandhienne, fusse-t-elle la plus prestigieuse qui soit ? Ce n’est pas à écarter complètement. Toutefois, de son côté, Narainduth Sookhoo maintient qu’il n’y a, d’abord, « jamais eu à Maurice de lutte pour l’Indépendance, mais simplement un transfert de pouvoir constitutionnel d’une puissance coloniale et un de ses anciens territoires ». Ensuite, ce sont les Britanniques eux-mêmes qui ont mis la pression sur SSR pour fixer une date, tant la Grande-Bretagne voulait rapidement se débarrasser de l’île Maurice une fois ses intérêts de défense préservés. « La Marche du Sel de Gandhi n’a rien eu à faire dans tout ça », dit clairement l’historien.

Pour Narainduth Sookhoo, c’est Ian Fairclough, un haut officier du Bureau colonial britannique, qui s’occupait du dossier de Maurice qui, apparemment, avait choisi la date du 12 mars, parce que, six ans plus tôt, en 1964, c’était à cette même date qu’un gouvernement de Tous Les Partis (All Party Government) de Maurice (PTr, IFB, PMSD et CAM) fut installé à Port-Louis sur l’insistance du gouvernement britannique avec pour objectif de préparer, dans l’unité nationale, la prochaine étape constitutionnelle de notre pays. Laquelle étape était, bien entendu, l’indépendance inévitable.
Il faut noter que dans son intervention devant la Chambre des communes, le ministre Thomson n’avait ne crut pas utile de préciser que c’est SSR qui avait suggéré la date du 12 mars. Il se contenta de déclarer : « I have agreed with him (SSR) that Mauritius would become independant on 12th March 1968. »

Véritables initiateurs du Parti de l’Indépendance

Parce que c’est Sir Seewoosagur Ramgoolam qui était le leader du Parti de l’Indépendance (qui se composait du PTr, du CAM et de l’IFB) aux élections de 1967, beaucoup de personnes, y compris ses contemporains, croient qu’il en fut le créateur. C’est inexact. En réalité, les véritables acteurs de ce rassemblement furent Sookdeo Bissoondoyal, le leader de l’Independant Forward Bloc (IFB), créé pour les élections générales de 1953, et M. Premchand Dabee, animateur du All Mauritius Hindu Congress (AMHC).

M. Bissoondoyal, adversaire politique acharné de SSR depuis les années 1940, ne fut pas lui-même un très chaud partisan de l’indépendance complète de l’île Maurice. A l’ouverture de la Conférence constitutionnelle de Lancaster House, certes, il plaida en faveur de l’émancipation de notre pays, mais il fit également l’étonnante requête que la Grande-Bretagne garde le contrôle des affaires intérieures (entre autres, la Police), ainsi que des relations internationales. Une étrange position qui provoqua l’hilarité générale des participants à la Conférence, mais que Sookdeo Bissoondoyal justifia par la crainte que SSR, une fois au pouvoir, n’installât une dictature à Maurice. Toutefois, l’IFB se ravisa lors du summing up des délibérations de la conférence et, en l’absence de Sookdeo Bissoondoyal, ce fut son adjoint, Anerood Jugnauth, qui eut pour tâche de corriger la bourde. Jugnauth demanda à la délégation britannique, dirigée de Lord Hilton Poynton, de prendre note que l’IFB s’était ravisé et réclamait, cette fois, une « indépendance totale ».

A son retour au pays, Sookdeo Bissoondoyal prit de court tout le monde et s’activa à mettre sur pied le Parti de l’Indépendance afin de rassembler toutes les forces en faveur du changement. Le premier meeting du parti eut lieu le dimanche 7 novembre 1965, à Bon-Accueil, mais il ne réunit que l’IFB et l’All Mauritius Hindu Congress, un mouvement radical aux revendications sectaires, dont Anerood Jugnauth (qui portait deux bérets à l’époque) était également un des meneurs avec l’avocat Premchand Dabee. Le PTr ne s’y joignit que bien plus tard, et seulement après que SSR en eut arraché le leadership. Sir Abdool Razack Mohamed et son Comité d’Action Musulman (CAM) vinrent grossir les rangs plus tardivement. Il est indéniable d’ailleurs que Sir Razack non plus ne fut pas un militant de l’indépendance premier de cordée. A Lancaster House, il avait réclamé que les Anglais apprennent d’abord aux Mauriciens comment faire du commerce international avant de penser à leur d’accorder l’indépendance, peut-être dans dix ans, avait-il dit. Ce qui aurait alors reculé l’indépendance du pays au 12 mars 1978 ! Tout comme Bissoondoyal, Sir Razack également revit sa copie, mais non sans avoir eu la garantie de SSR que les candidats musulmans du CAM auront des investitures réservées dans la liste du Parti travailliste, comme en 1969, en sus de la garantie du système des Best Losers.

A la fin de la journée, le Parti de l’Indépendance triompha aux élections de 1967. Cependant, ce fut sans l’All Mauritius Hindu Congress qui fut exclu en raison de son radicalisme. Ce parti connut une débâcle et Premchand Dabee perdit son siège de député de Savanne acquis en 1963, tandis qu’Anerood Jugnauth avait, lui, déjà abandonné la politique active entre-temps.

Sookdeo Bissoondoyal et l’IFB ne firent pas long feu au pouvoir et à cause de la coalition gouvernementale contractée entre le Parti travailliste et son ennemi d’hier, le Parti Mauricien Social Démocrate (PMSD) en 1969, ils durent rejoindre l’opposition pour ensuite disparaître après les élections de 1976.

Pope Hennessy, le gouverneur pionnier
Nombre de documents datant de l’Empire britannique de nos jours déclassifiés attestent que le désir des Mauriciens de s’affranchir du colonialisme n’a pas attendu la formation du Parti travailliste en 1936 pour commencer à se manifester. Lors de la deuxième lecture du Mauritius Independence Bill, George Thomson ne manqua de faire référence au fameux cri du coeur « Mauritius for the Mauritians», lancé par le gouverneur Sir John Pope Hennessy aussi loin qu’en 1885, année de l’introduction d’une forme embryonnaire de démocratie à Maurice (le vote censitaire).

Gouverneur catholique irlandais atypique, Sir John Pope Hennessy fut en quelque sorte un pionnier qui sut, de manière précoce, appréhender la soif de liberté des sujets qu’il administrait. Le ministre Thomson déclara: « Sir John was in the great tradition of colonial administrators in believing that his duty was to the people over whom he ruled, though, perhaps in tune with another English tradition, he was a great excentric. »

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