NADEEM NAZURALLY (chercheur et Environment Engineer & Consultant) : « L’économie océanique, un tremplin pour notre industrie touristique »

« C’est dans notre capacité à réinventer notre système de gestion, en adoptant par exemple des “Community-based active restoration plans”, que réside le salut de notre environnement marin ; cela pourrait même devenir l’un des piliers du succès du concept Etat-Océan ». A 27 ans, l’Environment Engineer & Consultant Nadeem Nazurally n’a pas attendu les débuts timides de ce vaste chantier pour éprouver sa vision personnelle du concept économie océanique. En témoignent ses recherches en milieu marin, depuis 2011, sur des retombées de l’aménagement de Permeable Submerged Breakwaters dans le lagon de Balaclava. Un projet dont les résultats probants laissent entrevoir une lueur d’espoir pour le repeuplement de nos lagons et qui lui ont valu d’obtenir, en juin dernier, le parrainage financier du Mauritius Research Council. Rencontre avec un jeune chercheur qui livre également sa vision de l’orientation écotouristique que devrait prendre notre destination, appelant celle-ci à saisir pleinement les opportunités de relance qu’offre l’économie océanique.
Comment êtes-vous venu à la recherche scientifique ?
Je suis un esprit curieux de nature. J’aime comprendre le comment et le pourquoi des choses. A l’adolescence, m’est venu le goût de la nouveauté, de l’inexploré, du défi aussi, d’où je pense mon choix de filière d’études tertiaires à l’Université de Maurice.
Quels étaient vos champs d’études et en quoi consistait la nouveauté ?
La nouveauté pour moi était de figurer parmi le premier batch d’étudiants à intégrer les tous nouveaux cours de Marine Sciences, une discipline encore non enseignée au niveau tertiaire à Maurice et qu’offrait pour la première fois l’UoM. Une autre nouveauté est arrivée plus tard lorsque j’ai décidé de combiner mon Bachelor en Marine Sciences avec un Master en Solid Waste & Resource Management, soit une combinaison des deux études environnementales marine et terrestre.
Et le défi ?
Le défi était d’opter pour la filière marine alors que je ne savais pas nager ! En fait, c’était un peu une manière pour moi d’exorciser ma peur en étant obligé, c’est le cas de le dire, de me jeter à l’eau ! (Rires) Mais je dois dire qu’enfant, déjà, j’aimais aménager des bassins de poissons et les regarder évoluer dans cet environnement qui, bien que miniaturisé, m’attirait par sa beauté. Toutefois le véritable déclic pour la recherche m’est venu, durant mes années d’études en Solid Waste & Resource Management, de ce modèle de dynamisme et de passion qu’est pour moi le Professeur Romeela Mohee, alors Dean de la Faculté d’Ingénierie (Ndlr : National Research Chair et Acting Pro Vice Chancellor (Academia) de l’UoM) et à qui je tiens à rendre hommage pour son intelligence, sa capacité de travail qui privilégie la pratique à la théorie – une disposition encore trop rare parmi nos universitaires –, et pour l’esprit novateur dont témoignent ses travaux de recherche.
Pourquoi ce choix de combinaison et qu’en résulte-t-il concrètement ?
Tout est lié dans notre environnement, comme il en va dans le cosmos. Il était important d’avoir une approche holistique du sujet qui m’intéressait. Mon projet de BSc était axé sur l’aquaculture corallienne. Il s’agit de l’implantation et du développement de fermes de coraux dans le lagon, pour faire pousser des espèces corallienes menacées de disparition à un endroit donné. Comme à Trou-aux-Biches par exemple où un projet communautaire similaire initié par ELI Africa (Ndlr : notre interlocuteur en est le Lead Project Manager) est en cours et donne des résultats positifs. D’autre part, mon choix de la gestion des déchets solides pour le diplôme de MSc était guidé par la nécessité de trouver des solutions au problème de déchets générés par les fermes aquacoles. Car contrairement à sa dénomination, le Fish Waste n’est pas qu’un déchet mais peut, comme les ordures ménagères à terre, être transformé en biogaz pour la production de méthane comme combustible. Et c’est tout naturellement que mon PhD en cours est axé sur l’Integrated Aquaculture.
Selon les observations de vos recherches, outre de protéger la zone côtière de l’érosion, l’aménagement de Permeable Submerged Breakwaters, consistant à briser la dynamique des vagues, peut aussi bénéficier à l’aquaculture ; expliquez-nous comment.
C’est en travaillant sur un projet de ces Permeable Submerged Breakwaters (PSB) dans le lagon de Balaclava que j’ai découvert le lien entre ce dispositif et la culture corallienne et celle de poissons. Les PSB ce sont ces énormes pierres, ou Boulders en anglais, que l’on place à l’intérieur du lagon pour casser l’action des marées et en atténuer les effets, notamment d’érosion, sur l’écosystème côtier et ainsi protéger la plage. J’ai constaté que ces pierres attiraient les coraux. Ceux-ci ont besoin de substrats appropriés pour leur pousse, mais du fait des activités humaines dans le lagon et des effets des changements climatiques, ces substrats sont en train d’être recouverts par des macro-algues, d’où la mort des coraux et la disparition des habitats de poissons. Or, on peut constater que les coraux ont pris ces Boulders comme supports pour coloniser le lieu. Depuis deux ans que je mène cette étude, quoiqu’à l’époque encore au stade de simples observations, je peux vous dire qu’à ce jour la population corallienne est telle que dans quelques années, avec davantage de restoration active, ces rochers pourraient devenir des sortes de barrières récifales naturelles. Valeur du jour il y a autant de coraux dit Brain Corals ou coraux-cerveaux que d’espèces rares. Ce phénomène de la nature qui reprend ses droits en amène un autre : on peut constater maintenant un retour des poissons, dont beaucoup de juvéniles, qui colonisent à leur tour ce “récif corallien” d’un nouveau genre. Mon propos donc, en initiant le présent projet, est de voir les possibilités de développer ces PSB pour en faire des barrières coralliennes. Cela à travers une approche scientifique du sujet, une méthodologie qui viendrait donner un coup de pouce à la nature tout en respectant bien sûr l’écosystème marin.
L’espoir est donc permis de repeupler nos lagons non seulement en coraux mais aussi en poissons ?
Oui, je crois qu’il est tout à fait possible de le faire. C’est la preuve s’il en fallait qu’il ne suffit pas d’invoquer la fatalité des changements climatiques ; il nous faut aider la nature par ce que l’on appelle de l’Active Restoration. Agir pour restaurer, être proactifs même. Par exemple, il serait possible d’imaginer une deuxième phase du projet qui consisterait à mener des études sur la transplantation de ces coraux vers des fermes coralliennes où ils seraient cultivés en quantité suffisante pour permettre ensuite la colonisation d’autres lagons ; je pense ici à celui de Flic-en-Flac dont le fond est devenu quasiment désert. Bref, reconstruire la barrière récifale autour de l’île et repeupler le lagon, sans compter la fonction anti-érosion de ces rochers qui protégeront nos plages.
En tant que jeune chercheur en sciences marines, quelle est votre appréciation du projet gouvernemental de faire de Maurice un Etat-Océan ?
Je crois que c’est un concept très prometteur pour l’avenir de notre économie et là je dois saluer la vision du Bureau du Premier Ministre. C’est un ambitieux projet, certes, mais dont le succès ne devrait pas se mesurer uniquement en termes de revenus mais également à notre capacité à implémenter cette industrie océanique dans la stratégie nationale de faire de Maurice une île durable. Maurice ne peut plus continuer à se complaire dans le discours, la théorie. Si on se donne un encadrement et une réglementation stricte pour le faire, alors ce concept devrait changer la face de notre pays en ce qu’il pourrait générer en termes d’investissements, d’emplois.
Avec 1,9 million de km2 de Zone Economique Exclusive et près de 400 km2 de plateau continental en cogestion avec les Seychelles, le potentiel est énorme, mais par où commencer ?
Il y a déjà l’initiative de la firme Sotravic qui a annoncé un projet de Rs 4 milliards dans le pompage de l’eau océanique profonde pour la climatisation des bâtiments. Les riches propriétés nutritives de l’eau de mer profonde vont aussi servir dans les industries de l’eau de table, des produits cosmétiques et pharmaceutiques, la culture perlière, celle des algues, des huîtres… Cependant tous à Maurice n’ont pas un tel niveau d’expertise et, entretemps, il nous faut parer au plus pressé, soit créer des emplois. Je pense que l’on pourrait commencer par construire sur ce que l’on sait faire déjà. Nous avons à Maurice une industrie touristique encore très viable en dépit de la crise. Certes nos villages côtiers envahis de béton mettent à mal notre image d’île paradisiaque, sans compter leur impact sur l’environnement, mais nous ne pouvons nous permettre de cesser tout développement. Il faut donc trouver un compromis environnemental qui permettrait de réduire la pression du béton sur le littoral tout en continuant à donner du travail. Le concept d’économie océanique devrait être un tremplin pour l’industrie touristique dans le sens où il serait possible de construire sur la mer, dans le lagon et hors lagon…
Cela semble totalement anti-écologique…
Paradoxalement cette idée, qui paraît à première vue anti-environmental friendly, pourrait permettre de développer le segment écotourisme. Je m’explique : il s’agit de définir des zones côtières et marines strictement protégées et d’autres zones qui seraient constructibles. En délimitant des telles zones nous pouvons réduire considérablement la pression sur les zones côtières à protéger tout en maintenant un équilibre entre développement et conservation. Ce travail doit comporter des règles définies, des cahiers des charges à respecter, qui empêcheraient que ces zones constructibles deviennent des eyesores pour l’environnement. Elles devront faire l’objet d’études géologiques et d’impacts environnementaux sérieuses avant l’aval à tout projet. Ces zones pourraient accueillir des restaurants et des hôtels sur pilotis, voire des underwater restaurants, comme aménagés par nos voisins des Maldives et des Seychelles et qui sont des modèles d’écotourisme. Par exemple, mettre en place, sur un banc de sable dans le lagon, un Coral Garden qui servirait également d’habitats pour poissons ; ne pas le faire pour des considérations dites écologiques serait comme laisser un terrain en friche alors qu’il pourrait accueillir une plantation qui donnerait à la fois du travail et à manger. Ce concept de Coral Gardening a été développé avec succès un peu partout dans le monde par l’éminent Prof. Baruch Rinkevich et Maurice gagnerait à tenter l’expérience. Mais je dis bien, la clé du succès demeure dans le respect strict des règles environnementales.
Quelles doivent être les caractéristiques de ces régions côtières qui pourraient accueillir de telles zones d’écotourisme ?
Le Sud-Est est une région qui semble appropriée et qui ne bénéficie pas du tout du tourisme ; je pense ici à la côte allant de Bambous-Virieux à Trou-d’Eau-Douce en passant par Quatre-Soeurs, etc. Des endroits ayant le substrat approprié pour la pousse des coraux, la profondeur voulue et la qualité de l’eau, qui doit être propre.
Comment veiller à ce que cela soit fait dans les règles alors que l’on connaît la propension, à Maurice, à contourner la loi ?
L’on pourrait par exemple encourager les promoteurs touristiques et hôteliers à investir, en dehors du programme de Corporate Social Responsibility, un certain pourcentage des profits dans une unité de conservation de l’écosystème marin, une structure propre à chacun qui serait
une sorte de Marine Lab. Mieux, leur propre restaurant ou hôtel sur la mer pourrait être construit en des matériaux eco-friendly et susceptibles de convertir les pilotis, comme nos rochers PSB à Balaclava, en supports d’habitats pour abriter coraux et poissons. Mais la véritable innovation consisterait à en faire une expérience qui impliquerait également la communauté locale : villageois, pêcheurs, plaisanciers et autres opérateurs touristiques. Ceux-ci seraient appelés à développer une culture de la mer, qui fait encore défaut en dépit de notre condition d’insulaires, et par là même le sens de la préservation et du respect de leur environnement, tout en bénéficiant du vaste potentiel d’emplois qui pourraient être créés. L’un des piliers du succès de l’Ocean Economy dépendra de notre capacité à réinventer notre manière de gérer notre environnement marin en développant des “Community-based active restoration plans”, des projets communautaires de pêcheries, d’écotourisme, de culture et commercialisation de coraux… Soit de développer dans une zone identifiée comme constructible du littoral un système complètement intégré et autonome semblable à ce qui se pratique chez nos voisins dans la région. Cette méthode de gestion côtière est très populaire dans bien des pays et est basée sur le principe que la préservation de la biodiversité “should pay for itself” en générant des revenus pour les acteurs de la communauté locale en premier lieu.
Tout cela semble idyllique, mais est-ce réaliste en matière de technologies de construction qui seraient à la fois résistantes à la rouille, la force des vents et des marées tout en étant eco-friendly ?
Nous avons à Maurice un savoir-faire certain parmi nos constructeurs ; la roche basaltique ne manque pas chez nous alors que nos laboratoires d’usines de matériaux de construction possèdent des connaissances poussées de fabrication de béton non-toxique, entre autres produits, qui permettent de penser que c’est tout à fait réalisable, à condition que l’on se donne les moyens. Par ailleurs, ces nouveaux développements pourraient par exemple être complètement autonomes en énergie solaire en installant leurs propres systèmes photovoltaïques ; avoir un système de gestion adéquat des déchets solides et un système de renvoi des eaux usées via des conduits sous-marins vers le mainland pour être recyclées… Remarquez que ce concept s’il est appliqué chez nous permettrait non seulement à l’industrie touristique de rebondir eu égard aux exigences du marché qui recherche de plus en plus des destinations “vertes”, mais également au secteur de la construction de connaître un nouvel essor et au “green building” de s’affirmer.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -