National Youth Parliament : Les jeunes et la politique

Ils étaient 75 jeunes à être retenus pour la 2e édition du National Youth Parliament, une initiative de la Speaker, Maya Hanoomanjee. Cet événement, tenu du 8 au 9 août, est une première dans l’histoire de l’Assemblée nationale de Maurice, permettant aux jeunes de montrer leur talent et leur passion pour la politique. De ces 75 jeunes, trois étaient choisis pour être Premier ministre, leader de l’opposition et Speaker. Ces trois jeunes se sont distingués par la qualité de leur prestation et ont été félicités, non seulement par leurs amis et ceux qui étaient présents pour les voir en action, mais également par des politiciens chevronnés. Deepshikha Parmessur, qui se rendra bientôt en Afrique pour travailler, a été choisie comme Première ministre, et Khamlichi Florian Alexandre Hicham, comme leader de l’opposition. Le poste de Speaker était, lui, revenu à Mitradeva Rao Sydamah, un jeune de Tyack. Passionnés par la politique, tous trois espèrent pouvoir servir le pays.

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KHAMLICHI ALEXANDRE HICHAM : « L’importance du rôle critique de l’opposition »

KHAMLICHI ALEXANDRE HICHAM

Tu as pris le rôle du leader de l’opposition pendant deux jours. Quelles sont les leçons que tu as retenues ?
Avoir été élu par mes collègues comme leader de l’opposition m’a permis de mieux apprécier et saisir le rôle d’un contre-pouvoir dans une démocratie parlementaire comme la nôtre. J’ai réalisé que, diriger une équipe d’opposition, c’est participer dans un débat d’idées et mener une confrontation raisonnable de points de vue contradictoires. Sans une opposition solide et argumentée, un pouvoir élu démocratiquement peut se raidir dans les certitudes et, au nom de l’efficacité de l’action, être rapidement tenté d’oublier qu’il est en place par la volonté du peuple, et qu’il doit lui rendre des comptes régulièrement – d’où l’importance du rôle critique et interrogatoire du leader de l’opposition dans l’hémicycle. Un point additionnel, qui me marque, est l’importance de la critique constructive dans un débat contre un gouvernement. Il est certes immensément facile de critiquer et faire des reproches, mais si cela n’aboutit qu’à marquer des scores politiques, au final, aucun progrès n’aura été fait et le statu quo primera. Un contre-pouvoir n’est constructif que s’il est accompagné de contre-propositions.

La politique a-t-elle une importance particulière pour toi ?
Selon moi, le regard que portent les jeunes vers la politique à Maurice est, à bien des égards, négatif. Il n’y a pas de surprise ici. Pour les plus jeunes générations, la politique est souvent synonyme d’abus en tout genre, d’élitisme et de déconnexion avec le monde réel. Pourtant, il me semble que la politique ne devrait pas se résumer à une conquête de pouvoir, même si, je l’admets, il est dur de faire abstraction des réalités de notre système politique avec son flot incessant de fracas et de scandales. À mes yeux, la politique se doit d’être un moteur d’amélioration de la condition de vie de nos compatriotes. Une politique éthique et démocratique se doit d’être aux avant-postes dans la lutte contre l’injustice, la démagogie, le népotisme ou les inégalités socio-économiques. Regrettablement, ce portrait idéaliste est très loin d’être celui de Maurice, ce pour quoi mes valeurs et mon intérêt pour cette politique tant décriée pourront, je l’espère, me mener à faire partie d’un changement qui verra naître une politique plus saine, éthique et représentative de toutes les souches de notre société.

Penses-tu que nous manquons de jeunes dans la politique à Maurice ? Si oui, que faut-il faire pour attirer nos jeunes dans ce secteur ?
Oui, les jeunes sont les plus grands absents de la politique à Maurice ! L’image répulsive et non inclusive de la politique décourage les jeunes à s’y intéresser ou à y participer activement. Une moralisation des comportements et des discours des politiciens changerait sans doute l’image que les jeunes portent vers ceux qui nous dirigent. Néanmoins, changer la donne ne sera pas tâche facile, car, selon moi, plusieurs évolutions sont nécessaires. Par exemple, notre système éducatif joue un rôle primordial dans le façonnement des connaissances et compétences de nos jeunes. Malheureusement, quand il s’agit d’éducation civique et politique, le système public n’offre que très peu. Il n’y a quasiment aucune initiation sur le rôle de nos nombreuses institutions, voire sur nos droits constitutionnels. Quant à l’enseignement de notre riche histoire politique de notre pays, il n’est que très bref et se termine prématurément en Grade 9. Si les jeunes n’ouvrent pas les portes de la politique, c’est aussi parce que celles-ci sont dures à franchir. Le renouvellement politique à Maurice est rare, et ceux à la tête des hiérarchies politiques sont bien déterminés à garder leurs places, n’offrant que très peu de rôles majeurs aux jeunes.

Contrairement au nombre de femmes que nous voyons en ce moment au Parlement, les filles choisies pour le Youth National Parliament étaient beaucoup plus nombreuses. Quelle est ton opinion sur le Parlement trop « masculin » ?
Il est dur d’accepter que le sexe majoritaire – c’est-à-dire les femmes – ne soit plus que minoritaire à l’Assemblée nationale. Fait notoire : la proportion des femmes dans notre auguste Assemblée est au plus bas depuis 2005 (17,1% en 2005, contre 11,6% en 2019) ! Si le but de la démocratie est de représenter équitablement notre diversité, nous sommes alors très loin de l’avoir atteint. Même si les résultats électoraux et les aptitudes propres aux député(e)s doivent être les éléments les plus déterminants dans leur légitimité au Parlement, il va de soi que les choix et les décisions concernant la vie quotidienne des gens se font en prenant en compte leurs opinions, y compris celles des femmes.

En tant que jeune, que penses-tu des nouveaux partis politiques qui émergent ? Crois-tu qu’ils aient vraiment la chance de conquérir l’électorat face aux partis qui existent depuis plusieurs décennies ?
À travers le monde, les “outsiders” politiques rencontrent leur part de succès. La victoire d’Emmanuel Macron ou encore celle de Donald Trump ont démontré que des décennies passées dans l’arène politique ne sont plus un prérequis dans une campagne pour remporter une élection. À Maurice, les choses sont à la traîne. Le renouvellement politique au plus haut niveau se fait encore attendre – une longue attente justement imposée par nos familiers dinosaures de la scène politique mauricienne. C’est avec un désir si caractéristique d’une jeunesse assoiffée de changement que j’ai foi en de nouveaux candidats et de nouveaux partis politiques. Ma circonscription (No 20 Beau-Bassin/Petite-Rivière) a d’ailleurs vu l’annonce d’un jeune candidat assez particulier aux élections législatives, un dénommé Oliver Thomas. À seulement 26 ans et, avec plus de 10 000 abonnés sur YouTube, il incarne un renouvellement jeune et dynamique de la classe politique. Mais de manière réaliste, je me rends surtout à l’évidence : l’électorat reste largement confortable dans un paysage politique dominé par les partis dits “mainstream”. Se lancer en politique sans plateforme préexistante et dépourvue de réputation est une rude et dure épreuve. Cela étant dit, je reste positif, et je laisse à l’avenir juger de la réussite de ceux sortant des sentiers battus de la politique mauricienne.

DEEPSHIKHA PARMESSUR : « Nous n’avons pas une représentation adéquate  sur le plan politique »

Tu es une fille brillante avec une expérience académique à l’étranger. Quel était ton but en participant au National Youth Parliament ?
La politique est, pour moi, une passion depuis mon enfance. Je trouvais ce monde de la politique très fascinant. Du coup, pour mes études supérieures, je me suis tournée vers les relations internationales, confirmant ainsi cette passion. Malheureusement, étant donné que j’étais à l’étranger pendant sept ans, je me suis sentie très déconnectée de la politique locale. Malgré cet éloignement, l’envie de servir mon pays était toujours présente en moi. Et lorsque la deuxième édition du National Youth Parliament fut lancée, je me suis dit que l’opportunité se présente et qu’il ne fallait pas la rater sous aucun prétexte. J’ai vu cette initiative comme une opportunité pour apprendre encore plus sur la politique. Bien sûr, je m’étais dit que le rôle du leader de l’opposition allait bien me convenir pour que je puisse poser des questions au gouvernement mais on avait déjà un autre plan pour moi.

Tu étais dans la peau d’une Première ministre pendant deux jours. Qu’as-tu appris ?
Je peux dire que le poste de Premier ministre n’est pas aussi facile qu’on le pense. J’étais, pendant deux jours, responsable du pays ainsi que de 45 ministres de mon gouvernement. Honnêtement, je ne dirais pas que je comprends ce que ressentent les parlementaires lorsqu’ils sont dans l’exercice de leur fonction à l’Assemblée nationale. Mais je peux déduire que c’est une pression vraiment lourde qu’ils doivent porter et je crois qu’ils font de leur mieux.

La représentativité féminine laisse à désirer au Parlement. En tant que jeune professionnelle, quel est ton message aux politiciens, étant donné que les élections générales sont pour bientôt ?
Je pense que si nous voulons réellement apporter du changement dans notre pays, il faut qu’on veille à ce qu’il y ait une vraie représentation équitable dans tous les secteurs possibles. Il faut que les jeunes, les âgés, les femmes et d’autres personnes soient égaux. Je ne voudrais pas qu’un homme de 60 ans prenne des décisions concernant mes problèmes ou ceux des autres femmes. Nous savons déjà qu’il y a des problèmes qui affectent les gens de différentes façons. Mais si nous n’avons pas une représentation adéquate, personne ne saura comment trouver des solutions à nos problèmes.

Le sujet de la réforme électorale revient à chaque fois sur le tapis. Toutefois, nous observons que, souvent, les changements que l’on souhaite n’ont pas réellement lieu. À quand une bonne réforme selon toi ?
Je crois personnellement que notre gouvernement est là pour servir et travailler pour le peuple mauricien. Il faut que tous les changements que l’on souhaite proposer soient pris en compte, et ce en considérant les aspirations des Mauriciens. Si on peut faire un retour en arrière, il semblerait que les changements que l’on voulait voir auparavant n’ont pas été réalisés, car il y avait une rupture entre le désir du peuple et la proposition du gouvernement. Pour moi, je pense que ce qu’il faut, c’est un référendum qui est une pratique courante à l’étranger, comme en France. Donc, avoir une opinion publique donnera la chance aux gens de présenter leurs solutions et idées. Je pense que, si on veut être un pays soudé, il faut qu’on avance dans une direction où l’on travaille avec le peuple mauricien et comme nous le voulons.

Souhaites-tu revenir à Maurice pour te joindre à la politique ?
Je pense que oui et je veux travailler pour le peuple mauricien un jour. Pouvoir travailler pour le peuple sera la réalisation d’un rêve qui vit en moi. Mais de l’autre côté, je suis consciente que j’ai encore du chemin à parcourir, surtout au niveau de mes connaissances. Je suis prête à avoir toutes les compétences nécessaires pour travailler un jour pour mon pays.

MITRADEVA RAO SYDAMAH : « J’apprécie le fait d’être qualifié d’impartial »

Aspirais-tu à ce poste de Speaker lorsque tu avais postulé au National Youth Parliament ? Quel était ton but en participant à une telle initiative ?
En premier lieu, lorsque j’ai envoyé ma candidature pour le NYP, je croyais que ceux sélectionnés ne seraient que des parlementaires. Je n’étais pas au courant que même les postes de Speaker, Serjeant-at-Arms, ou de Clerks de l’Assemblée nationale seraient assumés par nous. Donc, au moment où cela nous est parvenu, j’ai saisi l’opportunité, car je savais que cela serait une occasion à ne pas rater. Je dois aussi dire que j’ai toujours rêvé d’être parlementaire depuis mon enfance. J’ai pu, au fil des années, regarder plusieurs Speaker dans l’exercice de leur fonction et je dois dire qu’ils m’ont inspiré. En passant, le rôle m’a toujours attiré. Le but de la participation au National Youth Parliament (NYP) était de faire un pas décisif et se rapprocher de ce que j’aspire à devenir. En quelque sorte, le NYP a réaffirmé ma passion pour la politique et m’a aussi donné cette confirmation personnelle qui me dit que c’est ce que j’ai envie de faire.

Tu as fait preuve d’impartialité et, à plusieurs reprises, tu as appelé les parlementaires à l’ordre. Est-ce difficile d’être neutre même si on appartient à un parti politique au pouvoir ?
En premier lieu, j’aimerais dire que j’apprécie le fait d’être qualifié d’impartial. Je le prends comme un compliment. Revenant sur la question, je dirais qu’il faut d’abord établir quelque chose. Le National Youth Parliament se composait uniquement de jeunes. Au fil des sessions de formation, qui nous étaient destinées, on a commencé à se connaître et une amitié a surgi. Donc, à la fin de la journée, on était tous devenus des amis. Cependant, dans l’exercice de mon rôle de Speaker, toute cette amitié doit être mise de côté pour que je puisse accomplir ma fonction comme il se doit. Nous devons mettre de côté toutes les relations que nous avons tissées. Même si je connais un des parlementaires ou que nous soyons des amis de longue date, le travail dépasse toute chose. Je crois que ce n’est pas impossible d’être impartial même si je viens d’un certain parti politique. J’ajouterais que cela dépend aussi de la personnalité qu’adopte le Speaker. Si les parlementaires connaissent le caractère de la personne en fonction, ils sauront que cette personne fera sa tâche correctement. Au fil des années, nous avons de différents Speakers à l’Assemblée nationale et ceux qui m’ont le plus marqué sont Kailash Purryag, Maya Hanoomanjee et Razack Peeroo. Petite parenthèse, j’ai eu l’opportunité de côtoyer Me Razack Peeroo a de maintes reprises quand j’étais en “mini pupillage” dans son étude. Il m’a prodigué plusieurs conseils sur ce rôle si important de notre démocratie.

Quelles sont les leçons que tu as apprises pendant ces deux jours ? Penses-tu qu’elles pourront t’aider à l’avenir ?
Comme je l’ai dit, la politique m’a toujours inspiré et cette expérience m’a donné un avant-goût de ce qui m’attend à l’avenir. Je crois que l’expérience reçue a réaffirmé ma passion pour la politique. Cependant, j’ai appris une grande leçon pendant ces deux jours. Il est facile de critiquer quelqu’un sur ses compétences ou sur ses capacités mais ce n’est que lorsqu’on a l’occasion d’être à la place de cette personne, que l’on réalise la difficulté et les implications des responsabilités que cette personne assume. Comme on dit en Kreol “fode trap pwalon-la pou kone kouma li so”.

Penses-tu que les jeunes ont de la chance dans la politique, particulièrement dans les partis où des membres ont juré fidélité depuis plusieurs années ?
On ne peut pas se passer de ceux qui ont été dans l’arène politique depuis longtemps. En effet, ils présentent une sagesse, une expérience et des connaissances inégalables. Ce sont des éléments qui peuvent être utilisés et parfois, même si un jeune n’est pas d’accord avec les décisions d’un “vieux politicien”, je pense que cela peut être dans l’intérêt de tout le monde. Quant aux jeunes, ils peuvent se frayer un chemin dans la politique mais beaucoup préfèrent construire leur carrière professionnelle. Ils préfèrent être d’abord accomplis et puis se tourner vers la politique. Il demeure, néanmoins, un certain nombre de jeunes qui ont intégré divers partis politiques et ils gravissent les échelons lentement. Mais c’est aussi un fait que, quelques fois, au sein des partis politiques établis, ce jeune, qui a pu gravir les échelons au fil du temps, ne se trouve plus jeune. Je constate que nos jeunes sont brillants. Nous ne devons pas les qualifier de “useless”. Je crois qu’ils ne sont que “used less”. Nous avons notre chance et je suis sûr que nos jeunes auront leur place dans un très proche avenir.

En tant que jeune, quels sont les enjeux socio-économiques auxquels nous devons nous intéresser ?
La santé, le sport, l’éducation, l’emploi et l’égalité des genres. Ce sont ces enjeux auxquels nous devons nous intéresser. Il ne faut pas oublier que nous avons une population vieillissante et que le sport aidera à préserver notre santé. Un autre fait notable, c’est qu’au fil des années, notre espérance de vie a augmenté. Ceci se traduit automatiquement par une plus longue carrière au service de notre pays. Cependant, tous les jeunes ne se focalisent pas sur l’importance de leur santé. Je pense que les jeunes doivent aussi se pencher un tout petit peu vers le futur au lieu de se concentrer uniquement sur le présent. Le système d’éducation est en train de changer dans le but d’assurer le développement personnel de nos jeunes. Et moi, je crois que c’est une chose très importante que nous ayons des personnes qui ont connu un bon développement. Ceci nous permettra d’avoir une société saine et épanouie. L’enjeu socio-économique qui est l’égalité des genres est, à mon avis, le plus important. Avec une société égale, nous avancerons de manière exponentielle, car tout le monde aura l’opportunité de travailler et de servir son pays à sa façon. L’approche ne serait pas de donner aux femmes plus de droits ou d’avantages mais plutôt de ramener les hommes et les femmes au même niveau de considération, de respect, d’opportunité et dans la façon dont on se voit les uns et les autres. Sinon, on risque de voir la tendance se renverser. Si on pouvait regarder les deux genres dans la même manière, nous aurions réussi dans notre mission pour avoir une société égale.

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