NICOLAS MANBODE, (coordonnateur Aids Candlelight Memorial) : “S’unir pour faire entendre la voix des personnes vivant avec le VIH”

Qui mieux qu’une personne vivant avec le VIH (PVVIH) pour interpeller sur les dégâts que causent encore la stigmatisation et la discrimination dans ce domaine qui demeure sensible. Nicolas Manbode, 35 ans, vit avec le VIH depuis quelques années. Cet ancien usager de drogues par voie intraveineuse, qui a connu la prison, ne veut pas renier son passé pour se fondre dans une société qui s’adonne encore aux préjugés faciles. En déclarant publiquement sa séropositivité pour sensibiliser l’opinion, il a perdu le confort que lui procurait son emploi. Mais ce n’est pas pour autant que Nicolas Manbode s’est avoué vaincu. Aujourd’hui, il s’est donné pour mission de faire entendre et défendre la voix et la situation des PVVIH. Désormais Outreach Team Leader auprès du Collectif Urgence Toxida, Nicolas Manbode est aussi le nouveau coordonnateur du Aids Candlelight Memorial pour Maurice.
En quoi l’édition d’Aids Candlelight Memorial, qui aura lieu ce soir, sera-t-elle différente des précédentes ?
C’est la première fois en onze ans qu’une personne séropositive à Maurice assure la coordination de Candlelight. Je prends le relais à Dany Philippe. Je peux dire que cette initiative est une première ici. Puis, contrairement aux précédentes éditions où nous demandions à la population d’allumer une lumière en mémoire des PVVIH, cette année, nous avons un thème qui est “angaze, edike e dibout lor to lipye”. À travers ce thème, nous demandons aux PVVIH aussi bien qu’aux décideurs de s’engager pour qu’ensemble nous atteignions l’objectif de 2030 qui est zéro discrimination. L’éducation a toute sa pertinence quand nous parlons de soin, entre autres. Avec la récente décentralisation des centres de traitement, nous voyons que l’éducation de tous a plus que jamais sa place dans le processus de déstigmatisation. La décentralisation peut faire du tort à la confidentialité si la population n’est pas suffisamment éduquée sur la question du VIH. Aux PVVIH, nous leur demandons de prendre leurs responsabilités, de s’unir, de réfléchir ensemble pour renforcer la solidarité et donner leur avis sur des décisions qui les concernent.
 
Vous parlez d’éducation, à quel point la société mauricienne a-t-elle encore besoin d’être sensibilisée et éduquée sur la question du VIH ?
Il y a environ 6 000 Mauriciens séropositifs. De ce nombre, il n’y a que quatre personnes qui en parlent ouvertement. Pourquoi n’y a-t-il pas davantage qui feraient pareil ? Parce que la stigmatisation et les répercussions sont des conséquences trop lourdes. Quand je parle d’éducation, je pense automatiquement à ce qui se passe actuellement avec la décentralisation des centres de traitement. L’idéal serait qu’une PVVIH puisse se rendre au dispensaire ou un centre de santé de sa région sans qu’elle ne s’inquiète du regard curieux de ceux qui la connaissent dans l’endroit et qui la préjugeront après l’avoir vue entrer ou sortir du centre. On ne peut demander à une PVVIH de déclarer son statut ouvertement, par contre, on peut et doit éduquer tous les autres. Qui plus est, notre crainte est que la décentralisation éloigne les PVVIH des traitements. Il faut rappeler que si une PVVIH décide de suivre son traitement à Port-Louis ou Candos plutôt que dans un centre de sa région, son ticket d’autobus ne sera pas remboursé. Pour la PVVIH qui n’a pas les moyens de se rendre à Port-Louis ou Candos, il n’ira pas non plus dans un centre de sa localité pour ne pas subir de stigmatisation et s’enfoncera davantage dans la vulnérabilité. Ce serait dommage car, non seulement nous allons vers l’augmentation des PVVIH, mais nous allons aussi priver un grand nombre de personnes de soins plus efficaces et moins lourds.
 
L’éducation doit aussi s’adresser à ceux qui sont directement concernés par le traitement des PVVIH, n’est-ce pas ?

À la Aids Unit, il y a plusieurs personnes qui ont déjà compris notre cause. Zot deza konpran bann dimounn ki seropizitif. Toutefois, elles sont contraintes d’adhérer et de mettre en pratique des mauvaises décisions qui viennent d’en haut et n’ont pas voix au chapitre. Par exemple, il est inadmissible que les autorités envoient à une PVVIH un courrier dans lequel figure son nom et où il est question de son traitement ! A-t-on pensé à la PVVIH qui ne sait pas lire et qui aura à demander de l’aide à une personne qui ignore sa séropositivité ? Quand j’en ai parlé à la Aids Unit, on m’a témoigné de la compréhension, mais on m’a dit que les ordres venaient d’en haut !
 
Dans ce cas, comment éduquer ceux d’en haut ?
Le meilleur moyen dont nous disposons pour l’instant est de faire passer nos messages à travers les médias. C’est aussi pour cela que notre thème dibout lor to lipye a tout son sens. Si les PVVIH arrivent à s’unir pour créer une force, leurs voix comptera. Nous serons en mesure de dire ce qui est juste pour elles. Je reviens à la décentralisation des soins. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose. Mais cette décision aurait dû avoir été prise en concertation avec les PVVIH pour voir ensemble comment procéder pour que cela ne nous cause pas de tort.
 
Quel est le mode de transmission le plus courant à Maurice ?
Il y a dix ans, la transmission du VIH se faisait principalement à travers le partage de matériel d’injection par les usagers de drogues. Suite à l’arrivée de différents programmes de prévention et de réduction de risques, la tendance avait quelque peu changé. Mais actuellement, nous devons décupler nos efforts pour assurer la réduction des risques, d’autant qu’il y a un rajeunissement des populations à risques, dont des usagers de drogues. En 2016, on peut parler autant de la transmission du VIH par voie sexuelle. Les jeunes ont des rapports sexuels de plus en plus tôt et sans protection.
 
L’introduction de l’éducation sexuelle à l’école — qui se fait toujours attendre — serait-elle une stratégie préventive non négligeable ?
Forcément. Elle serait un moyen qui suscitera la réflexion chez les jeunes. Ils seront mieux avertis. Je crois qu’en tant que structure, l’école favorise et incite à l’écoute. Les jeunes ne sont pas toujours réceptifs quand ils sont en dehors d’un cadre. Une fois que l’éducation sexuelle entre dans le cursus scolaire, elle aura une attention particulière par les jeunes. C’est certain que malgré les informations, des jeunes auront des rapports au moment où ils le choisiront. Mais au moins, ils sauront que cette histoire de pa manz bonbon dan plastik ne tient pas quand il s’agit de sa santé et de sa vie.

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