NICOLAS RITTER: « Une structure VIH et drogue sous le PMO »

Une fois encore c’est dans l’émotion que PILS (Prévention, Information et Lutte contre le Sida) a tenu son AIDS Candlelight Memorial hier à son siège à Port-Louis. L’occasion pour son directeur, Nicolas Ritter, de lancer un appel direct au Premier ministre Navin Ramgoolam : « Tant qu’on n’accordera pas une égale importance à la toxicomanie qu’au sida, nous continuerons à enregistrer des décès et cela ira en augmentant. » Il suggère, « tout comme le National AIDS Secretariat, l’institution d’une structure qui soit totalement consacrée à la drogue, soit combinée avec le NAS ».
« L’on ne peut résumer le sida à des statistiques, des rapports, des études, des projets ! » s’insurge, avec son naturel d’activiste, le directeur de PILS Nicolas Ritter. « Le sida touche des êtres humains. Ce virus vient nous voler notre dignité. Notre droit à la vie. Notre vie, carrément. On ne peut donc pas le résumer à simplement une maladie qui a un impact social, qui affecte les sphères de la vie. » Le premier Mauricien à avoir évoqué publiquement sa séropositivité est depuis quelques années membre du Global Network of People Living with HIV & AIDS (GNP+). Un organisme international qui est derrière l’organisation du AIDS Candlelight Memorial dans le monde entier.
« La particularité de Maurice c’est la problématique du sida lié à la toxicomanie. Tant que l’État n’accorde pas une attention aussi conséquente à cet aspect du problème, les PVVIH continueront à mourir », soutient Nicolas Ritter continue. Yolette Vyapooree, responsable de l’unité de soutien de PILS et qui a oeuvré ces dernières années pour que le réseau Vivre+ soit structurée, note que « nous avons enregistré 13 décès de nos bénéficiaires. Ce sont principalement des ex-toxicomanes qui suivaient le traitement à base de méthadone ». Âgés de 18 à 65 ans, ces PVVIH ont pour la plupart, succombé à « des infections opportunistes », précise-t-elle.
Sur ces deux dernières années, souligne Nicolas Ritter, « nous avons eu 110 décès rien que chez PILS, soit un décès par semaine en moyenne. Combien d’autres dans le pays sont décédés et que l’on ignore ? » Le directeur de PILS lance ainsi un appel au Premier ministre. « Dans le même esprit qu’il a institué le National AIDS Secretariat (NAS) directement sous son autorité, au niveau du Prime Minister’s Office (PMO), il serait grand temps de soit annexer un département s’occupant de la toxicomanie soit instituer carrément une structure égale au NAS et qui serait dédié à la toxicomanie. Ce n’est qu’à partir de là qu’on pourra avancer dans la lutte, encore plus efficacement, et réduire le nombre de morts… »
Dans le cadre du AIDS Candlelight Memorial hier soir, l’heure était aussi au souvenir. Émile (prénom fictif), les cheveux grisonnants, est catégorique : « Avant j’étais très méprisant, voire même irrespectueux envers ceux que j’appelais les drogués et les prostitués. Depuis trois ans, cela a changé. » Cet homme d’âge mûr a appris à cette époque qu’il était porteur du sida. « Au départ, j’ai pas pris cela au sérieux. Ti enn badinaz pou mwa… Mo pa finn pran kont. » Une chose en amenant une autre, il néglige évidemment son traitement. « On m’avait donné des médicaments à prendre régulièrement. On m’avait fait comprendre que c’était très important de les prendre. Mais comme je n’accordais aucune importance à cela, je ne les avais pas pris… »
Jeunes victimes
Résultat : son CD4* était descendu à… 13 ! « Normalement quand le CD4 d’un porteur du virus atteint ce niveau, on le donne pour mort. Mais j’avais résisté. J’avais survécu. Les médecins n’ont pas pu expliquer comment j’étais encore en vie… », explique Émile. Une deuxième chance, probablement, qu’il a saisi. « C’est à partir de là que j’ai fait la connaissance de la famille de PILS. » Émile a été pris en charge et rejoint l’ONG. « Monn compran lerla ki pena zis mwa kumsa », confie-t-il. Et quand il découvre la réalité des séropositifs, « monn realize komie suffrans bann sex workers ek bann toxicomanes viv. J’ai compris que ce n’est pas par plaisir qu’ils sont ce qu’ils sont. J’avais tout faux sur eux ».
Désormais, avoue Émile, « je veux continuer mon combat pour aider d’autres comme moi à sortir de l’isolement ». Il est surtout touché par le fait que « les jeunes, des filles comme des garçons âgés de 13 ou 15 ans, vont en boîte. Je vois les garçons “couillonner” les filles, mettre des comprimés dans leurs verres ou leur faire boire d’autres trucs. Puis, ils les invitent à aller faire un tour “pour prendre l’air”. Mais ce n’est qu’un subterfuge ! Au lieu d’aller faire un tour, ils abusent sexuellement de ces filles ».
Émile est « révolté ». Ces rapports sont sans protections. De nombreuses filles tombent enceinte et attrapent le sida. Mais la plupart restent silencieuses. « Elles n’ont pas le courage d’aller de l’avant pour se faire soigner… » C’est « pour toutes ces personnes que je me suis engagé dans cette lutte ». Il a été l’un des bénéficiaires de PILS à avoir apporté son témoignage hier soir pour marquer le AIDS Candlelight Memorial. D’autres, également membres de Vivre+, réseau uniquement constitué de Personnes Vivant avec le VIH (PVVIH) et unique structure existant à ce jour à Maurice, étaient aussi présents et ont ponctué la commémoration de leurs mots traduisant tantôt leurs maux, tantôt leurs retours à la vie.
Après la projection de Zetwal Marie-Claire, tourné à l’initiative de l’ONG Kinouété, Nicolas Ritter a souligné que « dans le film, Marie-Claire évoque l’idée qu’un médicament soit trouvé pour changer le regard des autres. Ce médicament, eh bien, il existe ! C’est l’amour ! C’est l’éducation, l’information… Mais surtout et avant tout, l’amour ». Dans le même souffle, le directeur de PILS a évoqué son propre parcours et le soutien « indéfectible et le non-jugement de mes parents et de mes frères depuis qu’ils ont appris que j’étais séropositif ».
Réagissant au film et aux propos de son fils, Jacques Ritter a à son tour rappelé que « je me suis aussi retrouvé il y a 15 ans avec un “bébé” qui portait le virus du VIH. Son espérance de vie n’était que de cinq à sept ans. Grâce à tout le monde, ce “bébé” a grandi et est devenu aujourd’hui un leader dans la lutte contre le sida. » M. Ritter a souhaité que « Zetwal Marie Claire soit vu par chaque Mauricien. Que tous les médias soient mis à profit, internet, youtube, facebook… et tous les autres supports, sans oublier la télévision nationale, pour que le plus grand nombre de Mauriciens puissent découvrir la souffrance que vit un enfant atteint du sida ».
Audrey d’Hotman, actuelle directrice du CSR de Rogers et ancienne directrice de PILS et du Centre de Solidarité (CDS) a également rappelé que « nombre d’enfants Mauriciens vivent les mêmes souffrances dont témoigne Marie Claire dans ce film. Il convient de le souligner et d’amener le plus grand nombre de personnes à réaliser cela ».

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