OPHTALMOLOGIE : La saga de l’Avastin

Le directeur médical du laboratoire Roche, Patrick Bonduelle, fabricant de l’Avastin, l’avait dit lui-même en 2013 au journal Le Monde : « L’Avastin n’est pas formulé pour une utilisation intravitréenne. » Ce médicament, qui avait obtenu une autorisation de mise sur le marché pour traiter certains cancers, est proche de par son mode d’action d’un autre produit, le Lucentis, utilisé en ophtalmologie chez des patients souffrant de dégénérescence maculaire liées à l’âge (DMLA). Or la prescription de l’Avastin pour les maladies oculaires n’est pas autorisée en Europe et aux États-Unis en raison de ses effets secondaires signalés en ophtalmologie, principalement des infections oculaires et des kératites liés aux reconditionnements du produit. Néanmoins « le développement rapide dans le monde des usages détournés de l’Avastin, c’est-à-dire hors de son indication officielle, ont pris de court l’industrie pharmaceutique », indiquait déjà le journal français Le Monde dans son édition du 13 octobre 2013 en parlant dans ses colonnes de ce qu’elle appelait « la saga Avastin ». Cette publication avait notamment démontré que ce médicament anticancéreux était utilisé « officieusement » et « de manière détournée » dans des services d’ophtalmologie dans le monde en raison de son moindre coût. L’Avastin est en effet 40 fois moins cher que d’autres molécules similaires pour traiter notamment des oedèmes maculaires diabétiques.
Alors que le ministre de la Santé Lormus Bundhoo annonçait au Parlement mardi dernier que les conclusions du comité d’enquête sur la perte de vue de quatre patients ayant reçu des injections d’Avastin à l’hôpital de Moka seront connues d’ici à la fin d’août, ce médicament fait l’objet de polémique dans les milieux scientifiques et dans l’industrie pharmaceutique européenne.
La raison est économique : l’Avastin est utilisé « officieusement » dans des services d’ophtalmologie à travers le monde en raison de son coût : il est 40 fois moins cher que son cousin germain, le Lucentis des laboratoires Novatis, utilisé pour les atteintes rétiniennes. L’Avastin (bevacizumab) coûte 30 à 35 euros la dose alors que le Lucentis (ranibizumab) coûte 800 euros la dose pour un traitement mensuel. Très proches chimiquement les deux molécules ont une efficacité égale. L’Agence française de Sécurité du Médicament avait constitué un groupe d’études « Avastin versus Lucenti ». Bien que l’Avastin ne soit pas autorisé en France pour traiter les maladies oculaires, le porte-parole de l’équipe de recherche, Pr. Laurent Kodjikian, avait déclaré au Monde : « les résultats sont comparables sur le plan de l’acuité visuelle mais Lucentis est supérieur à Avastin sur des critères anatomiques. Avastin est associé à une augmentation des effets secondaires ». Le laboratoire Novartis, fabricant de Lucentis, a émis des réserves à propos de l’usage d’Avastin en ophtalmologie. Selon cette multinationale pharmaceutique « le fractionnement d’un flacon d’Avastin en plusieurs doses et son reconditionnement, c’est-à-dire la mise en seringue, nécessaire pour l’injection intravitréenne, augmentent les risques de contamination ». Le président de la Haute Autorité de Santé en France avait déclaré pour sa part que pour traiter la DMLA « la question de tolérance locale de l’Avastin ne se pose pas si les précautions de préparation sont respectées ». Il conclut que l’efficacité et les effets secondaires d’Avastin et de Lucentis sont similaires.
L’Avastin et le Lucentis sont deux molécules similaires développées par la firme américaine Genentech et cédées ensuite respectivement à deux géants de l’industrie pharmaceutiques suisses, Roche et Novartis. Ils sont des anti-VEGT (vasculor endothelial growth factor ». Injectés dans l’oeil ils freinent la prolifération des néo-vaisseaux responsables des symptômes. Selon le directeur de l’Institut de la Vision de Paris, le Pr. José Alain Sahel, ils stabilisent la vision chez 20 % à 30 % des patients et l’améliorent chez 90 % d’entre eux. Ces anti-VEGT constituent une avancée thérapeutique majeure pour des personnes qui étaient condamnées à devenir aveugles. Mais à l’hôpital de Moka quatre patients ont perdu leur oeil de façon irréversible… Auront-ils des réponses à leurs interrogations ?

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