Ces P…qui nous choquent

À sept ans d’intervalle, après ce fameux coup de gueule d’un premier mai, «  Ce P… de micro ! » de l’ex-Premier ministre, Navin Ramgoolam, nous avons eu droit à ce retentissant « Mo P…. ar zot ! » d’un également ex-Premier ministre, mais devenu Ministre Mentor, Anerood Jugnauth.
Le pouvoir, la volonté de puissance aliènent-ils tellement la personne humaine que toute convention de langage n’existe plus ? Les frustrations exacerbées accompagnant la volonté de puissance, la mégalomanie et la déconnexion avec la réalité (la sienne propre et celle des autres), puisent dans le langage de nombreuses sources de défoulement. Et SAJ malheureusement nous a sans doute un peu habitués à ces écarts. Même si sur ce registre, il continue à nous surprendre. Au départ, perçu sur le registre de la bonhomie, glissant ensuite sur le registre du non-conformisme (son fameux franc-parler, « pa fer kata kata » ), représentations toujours sur le pôle plutôt positif, la vulgarité de ce «  Mo P….ar zot » ne peut aujourd’hui rien masquer.
Nous ne sommes plus dans le cadre de l’indulgence, celle adoptée vis-à-vis d’adolescents, mal dans leur peau, voulant jouer dans la cour des grands, mais se retrouvant toujours accrochés aux basques de la mère pour être gratifiés. Et pour compenser, utilisent un langage grossier, provocateur pour donner le change dans le faire croire et le faire paraître. Oui, nous connaissons tous la gamme de jurons et de grossièretés de certains ados, pour démontrer qu’ils sont virils. Mes propres recherches auprès d’ados à Rodrigues et à Maurice, parmi ceux qui ont échoué au CPE, révélaient l’importance des jurons dans le passage à l’adolescence. Durant une très brève période, ces garçons passent de l’enfance à l’adolescence et de celle-ci au statut d’adulte. On démarre avec les jurons (premier signe de virilité, ensuite comportements machos, alcools, dragues…). Pour être viril, il faut surtout le langage qui choque, l’insulte, la grossièreté. C’est toute une conception de la virilité qui soutient cette expression de soi par le langage. Par ailleurs, mépris suprême, mettant en jeu une fonction vitale, celle d’uriner, on n’est plus dans les « pissing competitions », des ados, « mo P… ar zot », c’est l’adulte qui refuse la contestation en dénigrant l’autre.
On peut en rire, on peut en minimiser l’impact chez les ados, en pensant que « jeunesse passera ». Mais c’est toute une culture qui se met en place, de violence, de non-respect des autres, de mépris pour ce qui ne nous arrange pas. Chez l’adulte, l’humour (gras) ou l’ironie (noire) ne peuvent avoir de place dans cette représentation méprisante des auditeurs et spectateurs. De surcroît, l’insulte remet dans une juste perspective son auteur et son seuil de tolérance à la frustration/contradiction. Car celui qui est sûr de lui, sûr de sa probité et de sa crédibilité n’a aucun besoin d’utiliser ces marqueurs de langage outrancier et de virilité. 
« Ce P…. de micro », de Navin Ramgoolam, finalement est de l’ordre de « La Guerre des Boutons ». Un leader, à la charge d’un combat entre deux clans de gamins de village, lâche sous pression un juron sans visée personnelle. Nous le disions déjà à l’époque : « La fonction même du juron est la décharge émotionnelle… Le juron va puiser dans nos pulsions les plus primaires, les plus archaïques pour soulager le trop-plein de l’émotion qui nous envahit. Il va chercher loin dans les pulsions refoulées. »
Ce « Mo P… ar zot » passe à un registre autre qu’émotionnel: c’est le déni de la réalité qui n’est pas à notre convenance, qui échappe à notre contrôle et sous couvert de l’indifférence, de la maîtrise des situations, inverse les données. Il est autrement plus grave car il ne s’agit pas de transition dans un cycle de vie vers l’acquisition de la maturité. Plutôt le contraire.
Car avec la baisse des facultés liée à l’âge, on peut assister à une hypertrophie du moi caractérisée par une psychorigidité, avec entêtement obstiné, incapacité à remettre en cause des potentialités irréalistes, narcissisme démesuré marqué par un sens grandiose de sa propre importance, un besoin de s’entourer d’un environnement servile qui renforce les illusions sur soi.
Quelle tristesse ! Le drame au-delà du personnel maintient une île dans l’impuissance.

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