PATRIMOINE : La renaissance de l’église St Clément

Ce dimanche l’église anglicane de St Clément sera officiellement rouverte, lors d’une célébration solennelle. Cette cérémonie est organisée pour marquer la renaissance de cette église qui, après 133 ans d’existence, vient d’être totalement restaurée. Nous saisissons l’occasion pour résumer l’histoire de l’unique église entièrement construite en bois du patrimoine mauricien.
C’est après 1810, après la prise de l’île par les Anglais que l’Église anglicane, religion d’État de l’Empire britannique, s’implante à Maurice. Des prêtres sont envoyés dans la nouvelle colonie « pour pourvoir aux besoins de l’âme et à l’édification spirituelle et morale de la communauté anglicane naissante », mais également à celle des soldats et des civils britanniques travaillant dans l’administration coloniale. Rapidement le projet de transformer la poudrière de Port-Louis en une église anglicane est approuvé, financé par les autorités et les travaux et sont achevés en 1825. Le nombre d’anglicans habitant diverses régions de l’île étant en augmentation, plusieurs autres églises et chapelles sont construites et Maurice devient un diocèse en 1854, quatre ans après la consécration de la cathédrale St James.
L’épidémie de fièvre à la fin des années 1860 va créer un mouvement d’émigration de la côte vers le plateau central, plus salubre, plus particulièrement les régions de Curepipe et de Vacoas. Ce mouvement est également suivi par les militaires qui quittent Port-Louis et Mahébourg pour s’installer sur une portion de 110 arpents à Curepipe où ils construisent des logements et un sanatorium pour soldats malades plus connu sous le nom « Les Casernes ».
Tous les dimanches les soldats des Casernes et les fidèles de la région effectuaient un long trajet pour se rendre dans une des salles du collège Royal où était célébré le culte anglican. Une pétition, signée par les responsables militaires et les habitants de la région, demandant un terrain moins éloigné pour y faire construire une église est envoyée au gouverneur, en 1876. Après deux ans de négociations, un terrain de la Couronne est attribué et les travaux financés en partie par le gouvernement, les paroissiens et le diocèse, débutent et la première église de St Clément ouvre ses portes en 1878.
En 1883, en prévision d’un transfert massif des militaires aux Casernes, le curé de St Clément écrit à l’évêque. Il fait ressortir qu’avec le prochain transfert des troupes à Curepipe, il était nécessaire d’agrandir l’église en y faisant construire deux ailes et de faire de St Clément, jusqu’à l’heure rattachée à celle de Vacoas, une paroisse autonome. Des démarches furent entreprises auprès des autorités civiles et militaires, les fonds nécessaires furent trouvés et en décembre 1844 les travaux d’agrandissement, dirigés par le lieutenant Boyce et utilisant du bois de teck, furent achevés, et la nouvelle église consacrée. Ce fut la deuxième naissance de l’église St Clément. Plus de soixante ans plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, des réfugiés juifs fuyant la répression nazie en Europe et détenus à Maurice, ont sculpté dans le bois l’arche qui sépare la salle de l’autel de l’église apportant un élément déterminant à la décoration sobre du bâtiment.
Depuis plus de cent trente ans, St Clément, unique église du patrimoine mauricien construite entièrement en bois de teck avec un toit en bardeaux, défie le temps, mais fut aussi, victime collatérale des épidémies. Au cours des années 1890, la garnison militaire et la population curepipienne furent décimées par une épidémie de typhoïde. Les autorités militaires décidèrent alors d’abandonner Les Casernes pour aller loger les militaires dans de nouveaux baraquements construits à Vacoas. St Clément perdit un nombre important de paroissiens britanniques, mais avec le concours des prêtres qui se succédèrent à sa direction, les anglicans mauriciens surent construire une communauté soudée autour de leur église. Mais au fil des ans, des rigueurs du climat — celui, particulièrement rigoureux, de Curepipe — et des cyclones, le bâtiment conçu comme toutes les églises de l’époque comme une coque de bateau inversé subit les outrages du temps. En dépit des réparations, les cyclones de la deuxième moitié du siècle dernier ont laissé des traces de leur passage sur le bâtiment. En 1974, la toiture était dans un tel état que l’on pouvait voir le ciel à travers les trous du plafond que certains paroissiens décrivaient comme un « panier percé ». Des fonds sont alors levés pour remplacer les bardeaux, mais non seulement ils sont chers — Rs 200 000 en seconde main —, mais ils ne durent que dix ans. A l’occasion du centenaire de l’église des appels sont lancés, un comité de restauration créé et des réparations mineures faites. Le même exercice est effectué lors de la célébration du 125e anniversaire de l’église, en 2009.
En 2016, l’état de délabrement de l’église ayant atteint un niveau alarmant, les paroissiens ont décidé de sauver leur église à travers une restauration complète. Plusieurs levées de fonds sont organisées pour compléter le don de l’évêché anglican pour les travaux. Une fois la somme réunie, un comité est mis sur pied pour superviser les travaux qui commencent en octobre de l’année dernière, après de longs mois de préparation. Ils sont confiés aux entreprises Feel Home et Skill Roofing et dureront plusieurs mois. Les bardeaux du toit ont cédé la place à de la tôle, les bois pourris de la charpente, du plafond, du toit et du sol ont été remplacés, un système électrique mettant en valeur les volumes et reliefs de l’architecture installée pour offrir à la vieille église une brillante troisième renaissance.
Les photos qui illustrent ce texte ne donnent qu’une idée partielle de la réussite de la restauration de l’église St Clément. C’est pour cette raison que les lecteurs sont invités à aller admirer cette petite merveille du patrimoine mauricien restaurée, dans les règles de l’art. Une restauration qui, selon l’architecte Gilles Moorghen, « a permis, architecturalement, de donner à cette vieille dame victorienne une allure de jeune et jolie créole mauricienne ».
Jean-Claude Antoine

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