Paul Vergès – à la fois combattant et sage

Décédé le 12 novembre 2016 à Saint-Denis de La Réunion, Paul Vergès est une grande figure réunionnaise dont le rayonnement a dépassé les frontières de son île.

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Il est né le 5 mars 1925 à Oubone (Siam, aujourd’hui Thaïlande) où son père, Raymond Vergès était consul de France. Sa mère, Pham Thi Kang, institutrice vietnamienne, est décédée 3 ans plus tard du paludisme. Paul Vergès, qui a grandi à Saint-Denis de La Réunion avec son frère Jacques, a été très sensible à l’influence de son père. Médecin, passionné de sciences, il décrivait à ses enfants le ciel étoilé, leur lisait ses poèmes, les emmenait encore tout jeunes dans les manifestations à l’époque du Front Populaire. « Il nous a mûris très tôt et je lui en suis reconnaissant », confiait Paul Vergès (disque DVD Paul Vergès, Le nom du père, l’engagement, la pensée, Mémoires vives, 2007).

Un engagement précoce

Avec en poche le baccalauréat de philosophie et celui de mathématiques, il commence des études de droit, mais l’appel de l’Histoire est irrésistible : après la libération de La Réunion par le contre-torpilleur Le Léopard le 28 novembre 1942, alors qu’ils n’ont pas 18 ans, les deux frères partent au début de l’année 1943 vers l’Angleterre pour entrer dans les Forces Françaises Libres. Après une formation militaire à Ribbesford, à l’École des Cadets de la France Libre, Paul Vergès est parachuté dans le Poitou comme lieutenant. À la fin de la guerre, on lui propose de rester dans l’armée pour participer à la guerre coloniale d’Indochine. Pas question pour lui qui admire Hô Chi Minh, qu’il a plusieurs fois rencontré ! et il démissionne de l’armée.

De retour à La Réunion, il se trouve accusé en mai 1946 du meurtre de l’homme politique conservateur Alexis de Villeneuve. Condamné à 5 ans de prison, mais avec sursis, il est amnistié.

Il passe alors plusieurs années à Paris en tant que permanent à la Section coloniale du Parti Communiste Français. Là, il rencontre les futurs dirigeants des pays d’Afrique, du Maghreb et les figures politiques de l’Outre-Mer français, en particulier Aimé Césaire, occasion de constituer un réseau de relations internationales. Il épouse Laurence Deroin, militante communiste particulièrement impliquée dans la lutte des femmes pour l’égalité et la liberté et engagée dans les activités culturelles. Elle décède le 3 novembre 2012 au Port.

Enracinement dans son île

1954 sonne le retour définitif à La Réunion. « J’estimais que mon destin se jouait à La Réunion » confia-t-il à Thierry Jean-Pierre (Vergès et Vergès de l’autre côté du miroir, JC Lattès, 2000). Un retour qui commence fort. Paul Vergès mène la “bataille de Quartier Français” où René Payet, propriétaire d’une usine sucrière de l’Est de l’île, et les planteurs de canne unissent leurs forces contre des concurrents menaçants. Politique de rassemblement déjà mise en œuvre par Raymond Vergès à travers le CRADS (Comité Républicain d’Action Démocratique et Sociale), un front qui avait permis de remporter les élections municipales de mars 1945, à la fin de la guerre. Marxiste fidèle, Paul Vergès a toujours prôné, à côté de la lutte des classes, le rassemblement quand il permet d’élargir le socle des forces du changement.

Paul Vergès, directeur du journal communiste Témoignages (“La voix des sans-voix” ), est élu conseiller général de Saint-Paul en 1955, puis député en janvier 1956, à l’âge de 31 ans. Les 17 et 18 mai 1959, à la mairie du Port, la Fédération du Parti communiste français est remplacée par le Parti Communiste Réunionnais qui revendique « l’autonomie démocratique et populaire », mot d’ordre maintenu jusqu’en mai 1981. Paul Vergès est secrétaire général du PCR, puis président de 1993 à 2003.

L’élection de l’ancien premier ministre du Général de Gaulle, Michel Debré, comme député de la 1ère circonscription en 1963 ouvre une période où La Réunion est un champ de bataille permanent entre les départementalistes s’appelant les « nationaux » et les autonomistes qualifiés de « séparatistes ». Dans un contexte international de Guerre froide et des Indépendances des anciennes colonies, les Départements d’Outre-Mer, soumis à divers abus (fraude électorale généralisée, limitation des naissances par avortements forcés, enfants séparés de leur famille d’origine et envoyés en exil dans des régions françaises dépeuplées, etc.), étaient un enjeu stratégique pour l’État français.

‘Maronage’

Poursuivi pour des articles de Témoignages jugés séditieux (articles sur la Guerre d’Algérie par exemple), Paul Vergès refuse de répondre à une quelconque convocation tant que les coupables de fraude électorale ne seront pas jugés et… il disparaît ! de mars 1964 à juillet 1966, 28 mois de clandestinité qu’il met à profit pour s’immerger dans les milieux populaires. Il découvre entre autres le sens sacré du maloya, héritage des ancêtres transmis dans la clandestinité, sinon la répression. Considérant que la culture – ou une contre-culture – est une forme de résistance essentielle et de développement des ressources d’un peuple, Paul Vergès s’attacha à soutenir cette expression. Alors qu’il était Président de la Région Réunion, le maloya fut inscrit le 1er octobre 2009 au Patrimoine immatériel de l’Humanité. Cette période de clandestinité active apparaît comme un mythe historique qui rappelle le ‘maronage’ pratiqué par les esclaves qui, refusant leur domination et exploitation inhumaines, se réfugiaient dans les cirques de l’île. Ainsi les ravines remplaçaient le Maquis de la Résistance ! Paul Vergès avait toujours, depuis Le Port, un regard ému vers le piton Cimandef du cirque de Mafate (Tsimandefitra : celui qui refuse).

Développeur

Clandestinité, ‘maronage’ politique, mais aussi occupation de postes électifs, non pour le plaisir du pouvoir, mais comme instruments de développement. Élu maire du Port en 1971, jusqu’en 1989, il met en œuvre un plan d’aménagement urbain, de végétalisation et des structures sportives, socio-culturelles innovantes. En 1983, il constituera la première intercommunalité réunionnaise (SIVOMR, Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple de La Réunion). Élu député au parlement européen en 1979, il contribue à mettre en place le statut de RUP (Région Ultra Périphérique) visant à compenser divers handicaps géographiques et économiques.

A la Présidence du Conseil Régional de 1998 à 2010, il a cherché à lancer des programmes de développement durable, en favorisant les énergies renouvelables qu’une île tropicale peut fournir (soleil, vent, volcan, mer). Dans ce cadre, en mars 2008, Paul Vergès avait été invité à l’île Maurice par la Chambre de commerce et d’industrie. En écho à Joël de Rosnay, il proposait un co-développement entre les deux îles, “Maurice, Réunion 2030”. Notons que les contacts entre les îles qu’on dit sœurs n’ont pas manqué. Outre les amitiés politiques de Paul Vergès avec les responsables du Mouvement Militant Mauricien dans les années 70 et le soutien constant au long combat des Chagossiens, il y eut aussi en janvier 2005 la Conférence internationale des Petits États insulaires en développement. À chaque fois ce fut l’occasion d’en appeler à une convergence commune qui puisse se concrétiser dans des projets. Avec des accents qui peuvent paraître utopiques, Paul Vergès souhaitait que les deux îles deviennent un exemple de développement durable pour le monde, inscrit dans le contexte régional. Utopie ? Peut-être, mais il considérait que l’utopie irrigue la politique. De plus, il faut penser ensemble le local et le global et leurs connexions.

Anticiper les changements

Cet homme politique qui avait inauguré son engagement au moment de la Seconde Guerre mondiale a été témoin des transformations : augmentation impressionnante de la démographie mondiale, nombreuses innovations technologiques, mondialisation économique, changement climatique. Il s’agissait d’analyser ces changements pour en maîtriser les conséquences : question de responsabilité pour l’humanité présente et future. Paul Vergès alliait en lui l’importance de la réflexion et la détermination dans l’action. Il avait créé la surprise lors d’une conférence de presse (4 septembre 1996) où il devait évoquer les  législatives de la 2ème circonscription. Or, que dit-il ? « Des données scientifiques convergentes conduisent à considérer que le réchauffement de la planète va poser à l’humanité des problèmes très graves. » Depuis lors, les menaces climatiques sont quotidiennement évoquées, mais on ne peut nier sa capacité d’anticipation, sa volonté de faire prendre conscience des problèmes et d’en appeler à la responsabilité. Ainsi, il a été à l’initiative de la création de l’ONERC (Observatoire national des effets du réchauffement climatique) (Loi du 19 février 2001) qui propose une stratégie d’adaptation au réchauffement climatique. Il en fut président jusqu’à sa disparition.

Pour finir le parcours de ce sage et homme de combat resté attentif jusqu’au bout aux transformations de notre monde, rappelons son attachement à la culture réunionnaise qu’il désignait par un néologisme : l’intraculturel, héritage d’une histoire douloureuse, mais qui a mis en contact des hommes et des femmes d’origines et de cultures tellement diverses. Il symbolisait ces échanges par l’arbre que nos deux îles ont en commun, le banian : « Quand je prends l’image du peuple-banian, c’est pour signifier la multiplicité de ses racines et son unité. » Un arbre qui inspira également Édouard J. Maunick.

Cette importance de la culture avait nourri le rêve vergésien d’une Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise, projet supprimé en 2010 lors du changement politique à la Région Réunion.

Curieux, Paul Vergès s’interrogeait constamment sur ce que serait l’à venir. Il a ouvert des pistes qui sont à explorer.

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