Philippe Jaunet (NetLab) : « Maurice possède le plus gros potentiel de développement foncier en Afrique »

Philippe Jaunet est cofondateur et CEO de NetLab, qui gère les sites C2C weshare.mu et molakaz.mu. Le premier compte plus de 800 000 visiteurs uniques par an et plus de 300 000 membres sur Facebook tandis que le deuxième vient d’être lancé et se spécialise dans les transactions immobilières. À ce jour, Netlab a investi plus de 500 000 euros à Maurice et emploie 15 salariés. L’objectif de ces sites Internet ciblant les transactions de « particulier à particulier » vise à permettre à tous les Mauriciens « de gagner en pouvoir d’achat », explique Philippe Jaunet. Cet ingénieur de formation, diplômé de l’École centrale Paris, avec spécialisation en intelligence artificielle et recherche cognitive, possède également un doctorat en informatique quantique.

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Vous venez de lancer une plateforme C2C spécialisée dans les biens immobiliers. Ce n’est pas la première plateforme de ce type. Pourquoi vous lancez-vous dans ce projet ?
Molakaz.mu n’est certes pas la première plateforme, mais elle diffère des autres de par son modèle. Nous proposons en effet des biens immobiliers à petits budgets, accessibles à tous, jusqu’aux biens immobiliers de prestige. Nous mettons ainsi à disposition des Mauriciens l’ensemble des annonces immobilières du pays, sans frais d’agence – car nous n’en sommes pas une – ni commissions. Nous accentuons particulièrement nos efforts sur le service et la qualité. C’est la raison pour laquelle les annonces déposées sur molakaz.mu ont une durée de vie de 60 jours si elles ne sont pas renouvelées par les propriétaires, et sont toutes modérées et traduites par nos équipes Qualité. Nous n’acceptons aucune annonce sans prix ni photo, mais nous disposons d’un « User Service » joignable tous les jours de 8h à 22h afin d’accompagner notre communauté d’utilisateurs. Il est important de noter que le dépôt d’annonces ainsi que les services associés sont et resteront toujours gratuits pour les particuliers.
Molakaz.mu s’inscrit dans une vision plus globale, celle qui consiste à permettre à tous les Mauriciens de gagner en pouvoir d’achat et d’améliorer leur qualité de vie au sein du projet NetLab. Notre projet va plus loin que la mise à disposition de ces plateformes, il contribue aujourd’hui à l’émergence d’un nouvel écosystème à Maurice, celui de l’économie circulaire.
Enfin, pour finir de répondre à votre question, nous lançons cette plateforme de location/achat/vente axée sur l’immobilier car les études et les données recueillies par tous les organismes ainsi que par notre département Data tendent à démontrer qu’il existe un réel besoin d’optimiser l’expérience de recherche immobilière pour les Mauriciens. Facebook et les sites regroupant essentiellement des annonces de programmes résidentiels neufs ou destinées à des budgets élevés ne suffisent pas à répondre correctement et concrètement à la demande.

Quel est le bilan de weshare.mu à ce jour ?
Weshare.mu est une véritable réussite. Ce site a été lancé en septembre 2016, après plus d’une année d’études et de développement. Nous sommes partis, mon associé Ludovic Balloux et moi, d’une page blanche afin de pouvoir contrôler l’ensemble de nos flux. Nos « data scientists » s’attachent à s’enrichir quotidiennement de l’expérience utilisateur pour proposer les offres les mieux adaptées aux besoins de chacun. L’intelligence artificielle fait partie intégrante de nos développements et la donnée fait notre force.
Weshare.mu est aujourd’hui le No 1 de la vente de produits de seconde main entre individuels, avec plus de 800 000 visiteurs uniques par an. Il est par ailleurs le site Internet sur lequel les Mauriciens passent le plus de temps. Il était très important pour nous de réveiller les consciences en encourageant une consommation nouvelle et plus responsable.
Au travers de nos plateformes, nous contribuons à la création d’un écosystème dont le rôle social et sociétal est majeur. Associée à la notion évidente de développement durable, notre offre prend tout son sens. Nous n’avons pas encore atteint le seuil de rentabilité mais, en tant que start-up, nous devons accepter de ne pas être soumis à cet impératif.

Comment se fait le paiement sur weshare.mu et quel contrôle avez-vous sur les transactions ?
Nous proposons un service de mise en relation, nous n’intervenons en aucun cas dans la transaction. Via notre site, les utilisateurs peuvent communiquer entre eux par téléphone, mail ou sms. Notre rôle est d’agir en tant que facilitateur entre particuliers ; l’échange de biens et le paiement se déroulent entre nos utilisateurs. Nous verrons par la suite, en fonction des tendances et comportements, les fonctionnalités prioritaires à déployer.
Nous assurons d’ores et déjà une expérience de recherche optimale pour tous, la meilleure du marché. Nous avons une équipe formidable qui travaille en « back-end » pour s’assurer que les informations importantes sur le produit sont communiquées en toute transparence, pour un achat avisé. Nous proposons un site Web gratuit, performant et efficace qui permet de chercher, trier et comparer des milliers de produits. Les internautes passent en moyenne 12 minutes par visite sur le site et plus de 350 nouveaux produits sont postés chaque jour.

Vous dites que NetLab a pour mission d’améliorer le pouvoir d’achat et la qualité de vie des Mauriciens. Le gouvernement a déjà beaucoup fait en ce sens avec l’introduction du salaire minimum, de l’impôt négatif et de la hausse de la pension. N’est-ce pas dangereux pour l’économie de mettre autant d’argent dans la main du consommateur dans un délai si court ?
Les décisions gouvernementales en faveur du pouvoir d’achat et de l’amélioration de la qualité de vie des Mauriciens ne peuvent être que louables. Je pense que la question n’est pas de mesurer la quantité d’argent mise entre les mains des Mauriciens mais davantage la façon dont cet argent est employé. Et c’est là que NetLab devient utile, voire nécessaire, à tous les Mauriciens. Cet argent peut être dépensé judicieusement tout en permettant de remettre en circulation des objets de seconde main. C’est un cercle vertueux qui n’est plus à prouver. Nous permettons aux Mauriciens de dépenser mieux.

Certainement, mais une consommation à outrance avec une base industrielle qui s’effrite depuis ces dernières années, couplée à une faible productivité, est-ce vraiment ce dont le pays a besoin ?
Il est extrêmement rare qu’un pays soit autosuffisant, Maurice ne l’est pas non plus. Les produits manufacturés viennent pour la plupart de fournisseurs étrangers, dont l’outil industriel est loin de s’éroder. Nous sommes aujourd’hui devant un fait accompli. Le panier moyen du Mauricien augmente, il est le reflet de son pouvoir d’achat. La consommation est donc sujette à une croissance organique inexorable.
En revanche, la surconsommation est un réel problème ; le Black Friday a récemment engendré une importante levée de boucliers. Elle est un problème car elle s’accompagne très souvent de surendettement et parce qu’elle est en totale opposition avec toute idée que l’on puisse se faire du développement durable. Le bilan carbone est indécent et le gâchis terrifiant.
Les achats impulsifs, les promotions perpétuelles, les stratégies particulières permettant d’encourager les consommateurs à acheter à crédit sont autant d’éléments à ne pas négliger. Nous sommes dans un système libéral où la règlementation des prix est extrêmement complexe, d’une part à mettre en œuvre, d’autre part à contrôler. La vocation de NetLab est en parfaite cohérence avec mon propos. Nous mettons à disposition des plateformes permettant de réinjecter dans l’économie des objets de seconde main. Notre modèle permet à ceux qui le souhaitent de vendre ces objets pour en acquérir d’autres, ou non. Il permet enfin d’être un vecteur d’équilibre et une source de régulation à une surconsommation excessive.

Comptez-vous investir dans d’autres projets à Maurice ?
Nous avons une équipe de « Data Intelligence », dirigée par Ludovic Balloux, cofondateur et COO de NetLab. Nous arrivons aujourd’hui à analyser et à interpréter les besoins des Mauriciens, et prévoyons effectivement de lancer de nouveaux projets cette année dans le but de répondre à une demande sans cesse renouvelée, toujours avec cette même philosophie écoresponsable. L’économie circulaire est vaste et les Mauriciens doivent pouvoir en bénéficier avec les meilleurs outils et dans les meilleures conditions. La compagnie NetLab est aujourd’hui positionnée dans le service, mais nous n’excluons pas à moyen terme de nous développer dans le « retail », le marketing ou le SaaS («Software as a service »).

Revenons à l’immobilier. Il y a quelques années il y a eu un débat comme quoi l’immobilier n’était pas un investissement productif pour le pays. D’ailleurs, l’ancien Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, était d’accord à ce propos. Quel est votre avis ?
Les investissements RES/IRS captent 50 % du marché immobilier mauricien et Maurice possède le plus gros potentiel de développement foncier en Afrique. L’immobilier est certainement la plus grosse source d’investissements pour Maurice et est probablement un important pourvoyeur d’emplois. Il me semble que le gouvernement prévoit la création de milliers d’emplois dans la construction et le développement immobilier. Et il y a fort à parier que ces investisseurs auront un fort impact capitalistique sur le secteur manufacturier et celui des services. Alors certes l’investissement en lui-même n’est peut-être pas le plus productif, mais il faut en considérer tous les contours.
Pour ce qui est de molakaz.mu, nous concentrons les biens immobiliers en un seul et même endroit afin de permettre aux Mauriciens d’effectuer leurs transactions entre eux, sans frais complémentaires. Nous ne participons pas à la commercialisation de programmes neufs, et si tel devait être le cas dans le futur, alors nous adapterions notre modèle pour que les individuels soient toujours mis en avant.

De manière générale, Maurice peine à attirer des investissements étrangers. Où se situe réellement le problème selon vous ?
L’exode des investisseurs étrangers est indéniable. Ils se dirigent vers d’autres destinations, je suppose, par crainte de fluctuations non considérées. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, la volatilité des marchés financiers et l’appréciation des devises sont autant d’éléments qui sèment le doute. Au niveau national, l’activité touristique se dégrade, les indicateurs économiques ne sont pas au mieux et la dette publique est suivie de près. Les opérateurs financiers y sont forcément sensibles. Il faut ajouter la décision stratégique internationale des investisseurs de réduire leur facteur de risque dans les pays émergents et pré-émergents. Le désinvestissement n’est donc pas systématiquement le reflet de l’état des marchés financiers, il est peut-être aussi lié à une prise de profits au moment opportun.
La situation est selon moi loin d’être désespérée. En effet, l’achat de titres par les étrangers démontre leur confiance et ces titres sont certainement à leur cours le plus bas. Qui plus est, les poids lourds de l’économie mauricienne sont en bonne santé ; ils se restructurent, se diversifient et se renforcent pour accroitre leurs performances. L’un des rôles de ces compagnies doit être d’accompagner, d’une façon ou d’une autre, les investisseurs étrangers à se développer via des partenariats fructueux. En tant qu’investisseur, je suis moi-même très optimiste.

Pourquoi un ingénieur spécialisé dans l’intelligence artificielle est-il venu investir dans des sites Internet à Maurice ?
Je suis arrivé à Maurice en janvier 2015 sans idée préconçue. Je suis d’origine française mais Maurice est mon pays d’adoption. Je me comporte humblement et mets un point d’honneur à essayer de rendre aux Mauriciens tout ce qu’ils m’apportent. Je suis arrivé avec un bagage professionnel qui m’a permis d’envisager plusieurs possibilités. Différents éléments m’ont amené à me lancer sans hésitation dans ce projet.
Je connais le potentiel de l’Afrique pour y avoir évolué durant quelques années. J’ai notamment créé une Ong pour venir en aide aux enfants nécessiteux au Bénin et au Togo. Nous avons construit, rénové, informatisé plus de 30 écoles et hôpitaux. Cette expérience m’a indéniablement rapproché de ce continent, dont Maurice est une excellente porte d’entrée. Ensuite, Maurice, dont le lien avec la France reste étroit, est en passe d’atteindre une réelle maturité technologique. Les usages se généralisent et la demande est croissante. Initier la mise en place d’une économie circulaire me semblait être ce que je pouvais faire de plus salutaire pour mon pays d’adoption. Avoir fait des études d’ingénieur est une chose, les mettre à profit du plus grand nombre en est une autre. Ma tête et mon cœur sont indissociables.

Mais le pays reste en retard dans le domaine de l’intelligence artificielle…
L’IA se retrouve dans nos téléphones, nos laptops, nos téléviseurs, les objets connectés… elle est partout. Maurice, comme de très nombreux autres pays, n’a pas encore pris le virage de l’IA en tant qu’acteur mais est l’un des premiers pays africains en tant qu’utilisateur. Nous n’avons et n’aurons pas besoin d’intégrer l’IA dans nos modes de vie, cela se fera naturellement, parfois insidieusement. Il n’en reste pas moins que la principale problématique s’articule autour des ressources humaines. Les besoins en formation sont nombreux, les travailleurs qualifiés rares et les investissements spécifiques pour l’instant sporadiques. Apporter les qualifications requises à nos jeunes ne peut se faire qu’en incorporant des formations diplômantes au cœur des programmes actuels. Il est essentiel que Maurice ne dépende pas de ressources externes mais qu’elle développe ses propres richesses. Nous ne pouvons ni nous en dispenser ni en faire l’économie. Il en va du rayonnement du pays.

Quels sont les secteurs porteurs pour l’économie mauricienne ?
Je ne vous surprendrai pas en évoquant l’économie collaborative… Elle est source de progrès pour tous les pans de notre société. L’économie océanique, le développement du numérique, les énergies renouvelables et les sciences de la vie me semblent également être des secteurs très porteurs, sans oublier l’immobilier de bureau et la construction.

On parle aujourd’hui de plus en plus de développement durable. Les entreprises locales sont-elles sur la bonne voie dans ce domaine et le gouvernement joue-t-il pleinement son rôle, sachant que l’initiative Maurice Île Durable est du domaine du passé ?
Maurice est un état insulaire dont la survie dépend de notre constante attention. Nous devons tous nous sentir concernés par le changement climatique et le développement durable. Nous avons tous un rôle à jouer. Concernant les entreprises locales, certains projets sont matures et de nombreuses initiatives sont à saluer. La prise de conscience est globale, il nous faut agir au niveau local. Il est important de sensibiliser tous les acteurs dans les secteurs de l’éducation, de la recherche et de l’innovation. Il est tout aussi important de promouvoir les compagnies qui contribuent à améliorer notre qualité de vie. NetLab en fait partie et nous y mettons un point d’honneur.

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