Piratage d’oeuvres artistiques – la ronce qui cache la forêt (I)

Le champ de bataille est un espace qui échappe à la civilisation dans la mesure où l’on y survit au détriment de ceux qui y laissent la vie. C’est un espace d’exception où les règles de comportement sont connues et observées par les forces en présence. Le commerce d’oeuvres artistiques piratées est une barbarie tolérée. La non-application des règles stipulées par la loi la rend possible. L’impunité notoire qui profite au malfaiteur encourage son enracinement dans les moeurs et instaure un risque moral qui compromet l’avenir de l’activité créatrice.   
Incitation sociale à la contrefaçon
Le champ d’intervention réactive qui s’ouvre aux autorités demeure balisé par des impératifs de base tels la formulation des mesures d’application de la loi, et la mise en place ainsi que la mobilisation des structures administratives d’incitation au respect des règles énoncées. Un préalable essentiel à la mise en oeuvre d’un dispositif anti-piratage demeure l’instauration de protocoles de coopération et d’assistance mutuelle entre les agences, de l’état et du privé, affectées aux missions de contrôle, de surveillance des marchés et de la répression des fraudes. À défaut d’une véritable inscription de la vertu dans la loi, une rectification de la posture mentale de l’acheteur vis-à-vis du produit contrefait s’érige en coeur de cible. Le triptyque d’ancrage de cette pratique somme toute frauduleuse combine incitation économique, opportunité de commercer librement, et légitimation morale au point de vente où le vendeur et l’acheteur, cédant à l’incitation économique mutuelle dans une enclave commerciale d’opportunité et de tolérance par omission, font du détenteur des droits une victime in absentia.  Une fois ancrée dans les moeurs, la pratique coupable s’installe, arrogante, à la faveur de l’impunité qui la caractérise pour autoriser certains à gagner leur vie au détriment de celle des autres.
Structures d’application
Le piratage, ses victimes, et ceux qui en portent la responsabilité tant individuelle que collective voire corporatiste, sont dans l’air du temps. Aux Pays-Bas l’état serait, semble-t-il, confronté à une accusation d’avoir favorisé l’émergence et le maintien des conditions propices au piratage de films. C’est une première historique. À Maurice nous n’en sommes pas encore là mais le sujet ressemble beaucoup à ce qui nous préoccupe en ce moment. Le Copyright Act mauricien pourra toujours être réactualisé pour répondre aux spécificités différenciées devant nécessairement émerger au fil des ans. La priorité de l’heure c’est de mettre en place les structures d’application de la loi et les dispositifs pouvant infléchir l’attitude des acheteurs vers une approche responsable qui concilierait motivation économique personnelle et responsabilité sociale en excluant toute tolérance de la contrefaçon au détriment des créateurs d’oeuvres originales.
Activité culturelle confinée à la marge
Marginalisé sur le plan économique et traditionnellement mal assumé sur le plan politique, le secteur culturel qui rêve de sa mutation en industrie créative, est aussi en quête d’une réhabilitation sociale dont l’aboutissement ferait valoir ses droits d’occupation légitime de l’espace-temps-loisir du mauricien. Il importe donc de sortir la RMS (Rights Management Society), principal organisme d’encadrement institutionnel de l’activité culturelle locale, de sa traversée du désert qui dure depuis bientôt cinq ans, et pour ce faire, le volontarisme minutieux d’un régime régulatoire résolument focalisé sur l’avenir devrait s’avérer providentiel. Il appartient à son conseil d’administration de se doter des compétences et de la vision qui semblent lui avoir trop longtemps fait défaut, d’enclencher une remise à jour de son agenda opérationnel, et de retrouver ses marques dans un paysage culturel qui donne l’impression d’avoir résolument avancé sur les fondamentaux.
De la culture dans les affaires
Un tour d’horizon des arts de la scène révèle, au premier degré, une évolution des structures d’accueil et des moyens de diffusion, de la fréquence des prestations proposées et de l’assiduité des publics cibles tant en termes de leur fréquentation des circuits qu’au niveau de leur croissance numérique et de la fluidité de leur représentativité démographique. Dans la mesure où il s’est construit sur un modèle de financement hybride largement dominé par le parrainage d’entreprise, ce frémissement sectoriel est quelque part assujetti à un monde des affaires dont la logique économique risque à terme d’entraver celle d’une industrie culturelle idéalement pérennisée par la pure rentabilité de son activité créative.
Un niveau international n’est pas négociable
La taille restreinte du marché mauricien consommateur d’oeuvres artistiques condamne cependant toute entreprise créative à dépendre pour sa survie d’un mix financier où le parrainage et le mécénat sont appelés à jouer un rôle de premier plan et ceci de manière durable. Un recours à l’exportation pour s’affranchir de cette contrainte de taille impose une obligation de qualité internationale qui à son tour requiert l’accès à toute la panoplie de moyens mobilisés dans le cadre de l’accompagnement de nos industries exportatrices traditionnelles dans leurs incursions extraterritoriales en Europe, en Afrique ou en Asie. Comme point de départ vers l’élaboration d’une stratégie de développement visant à dégager la mise en place d’une infrastructure industrielle adaptée à la création artistique professionnelle et à son exploitation rentabilisée, il s’agira donc de disposer d’un état des lieux exhaustif du secteur qui en répertorie tous les acquis. Partant de la structure du marché, de son fonctionnement et de son financement, jusqu’aux différents métiers qui en génèrent la chaîne de valeur, en passant par le corpus d’oeuvres ayant fait l’objet de diffusion, les têtes d’affiche, les facteurs qui en déclenchent l’émergence, la régression, et les processus de succession, l’inventaire prendra toute la mesure du pas qualitatif à franchir pour élever le niveau des oeuvres, en étendre la portée, et développer cette ressource humaine si indispensable à la réalisation des différentes phases de l’avancement vers la capacité d’exporter du produit culturel.
Le modèle économique au service de l’éclosion culturelle
Le caractère immatériel et éphémère des arts de la scène, dont la mise au monde et la transmission sont indissociables du véhicule humain qui les incarne, défie les méthodes employées au sein de l’économie réelle pour commercialiser des produits de grande consommation par-delà les frontières du pays producteur. Dès lors que le marché international intègre nos objectifs de croissance par la culture, une politique de ciblage en amont s’avère nécessaire d’abord au niveau du modèle de développement du produit et ensuite sur le plan de la différenciation de son marketing.
Vaste programme. En un mot, faire émerger une offre pérenne de produits culturels, exportables de surcroît, implique la mise en marche d’une génération de créateurs dans de multiples disciplines, la délivrance d’un corpus d’oeuvres destinées à un éventail de publics cibles, un encadrement institutionnel facilitateur, et des circuits de représentation capables de toucher le plus grand nombre pour que l’art puisse aspirer à vivre libre de son outrancière dépendance économique des milieux d’affaires.
Au sein d’une société qui dans son fonctionnement résiste mal aux assauts du modèle économique libéral et dont les réflexes mercantiles ont fait surgir un marché de fragmentation culturelle en prélude à un glissement prévisible vers une véritable culture de marché, l’affrontement de l’économique et du culturel se traduit dans le quotidien par un effacement insidieux des frontières entre l’art de faire des affaires et l’art tout court, à l’heure même où la valeur culturelle investit les fondements de la valeur économique.  Le concept confortable d’industrie culturelle engage à envisager un décollage planifié du secteur de l’activité culturelle selon les schémas de développement empruntés à la gestion de l’économie. Il convient par conséquent d’aligner des statistiques de production, la taille et la spécificité des marchés, le nombre d’emplois disponibles et leur déclinaison sur les différents métiers de la filière artistique afin de prendre toute la mesure de ce chantier en friche qui ne mobilise pas encore l’attention et l’effort nécessaires à sa prise en charge et à sa rationalisation.
Tutoyer les sommets ou se taire
Le devoir d’excellence dans l’exercice d’un métier est une exigence existentielle qui se manifeste de manière tangible, comme une norme de qualité, dans les multiples domaines des arts de la scène, et en particulier dans ceux de la chanson et du théâtre. L’imaginaire y règne en maître donnant libre cours à ces impondérables émotionnels que déclenchent les échanges en allers-retours inaudibles de ce non-dit qui passe et repasse la rampe au gré de la rencontre incarnée de la scène et de la salle.  La délivrance réitérée de la prestation unique est un impératif paradoxal qui habite le comédien et anime le chanteur. Elle trouve sa logique et sa force intérieure dans un dialogue permanent entre la hantise d’un éphémère dépassement de soi et l’angoisse de le porter jusqu’au tomber du rideau qui seul peut l’immortaliser en le confiant à la mémoire. À la lumière de ce qui précède, la pratique des métiers de la scène apparaît singulièrement contraignante dans la mesure où le niveau d’implication personnelle qui la caractérise mobilise l’intégralité des facultés intellectuelles et émotionnelles de l’artiste.  Il serait vain de vouloir concilier le développement d’un corps de métier capable de prestations de niveau international avec la pratique en amateur d’une activité artistique en marge d’une activité professionnelle principale qui permet de gagner sa vie. Les deux activités en souffriraient et les sommets de réalisation artistiques demeureraient hors d’atteinte.

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