PME: Politique de libéralisation, L’industrie locale de la chaussure menacée de disparition

Après l’industrie du sel local, c’est au tour de celle de la chaussure de crier à l’asphyxie des petites et moyennes entreprises mauriciennes à la suite de la libéralisation du marché l’année dernière. Une situation qui s’est aggravée ces derniers mois en conséquence de la morosité économique ambiante et de la crise financière en Europe. Après une première vague de licenciements l’année dernière, une deuxième s’annonce chez deux des plus anciens opérateurs du secteur, Young Bros Ltd et Banker Shoes, ce dernier n’écartant pas une éventuelle fermeture définitive.
Les usines de petite et moyenne taille de l’industrie locale du “footwear” sont doublement pénalisées avec la crise touristique d’autant que leur situation était déjà précaire après le dernier exercice budgétaire. Celui-ci a vu l’enlèvement de toutes les taxes douanières sur l’importation de chaussures, soit environ Rs 80 de moins sur chaque paire importée, une manne pour les importateurs, au détriment des fabricants. Au bord de l’asphyxie, l’entreprise Young Bros Ltd, par exemple, s’est résignée à se lancer dans l’importation de chaussures, tout en maintenant parallèlement sa production locale. Une situation des plus paradoxales pour cette moyenne entreprise familiale de Baie-du-Tombeau, fondée dans les années 50, qui se voit contrainte de concurrencer sa propre production par l’importation afin de maintenir un niveau respectable de profitabilité et d’éviter des licenciements. Pour ce faire, elle a dû revoir sa production à la baisse ; celle-ci a diminué de moitié, passant de 250 000 paires annuellement à 125 000 paires ces jours-ci. « La fabrication implique la recherche de modèles, dont le coût impacte sur la production alors que l’importation permet d’éviter cette dépense », déclare Laval Young, un des directeurs avec son frère Georges Young. Ce dernier est le président de l’Association mauricienne des fabricants de chaussures qui compte une vingtaine de membres, pour la majorité des micro-entreprises.
De taille moyenne, Young Bros Ltd qui employait une cinquantaine de personnes a dû licencier une vingtaine d’entre elles l’année dernière, tandis que le sort de la vingtaine restante est des plus incertain dans le contexte de la crise de l’euro et de notre industrie du tourisme déclinante. La baisse dans les arrivées touristiques a eu un impact direct sur les ventes de chaussures locales dans les magasins Young Bros, chutant de 15 à 20 %. Georges Young se désole de la lente perte d’un savoir-faire : « Parmi les ouvriers restants, nombreux comptent entre 20 et 25 ans de service ; beaucoup touchent entre Rs 7 000 et Rs 9 000 et sont issus de milieux pauvres. Nous étudions actuellement tous les moyens qui nous permettraient de préserver notre personnel d’un licenciement, mais ce n’est pas gagné d’avance », déclare-t-il. L’enseigne, qui possède également une “trading company” de produits en plastique, y a transféré des employés. Et, mesure de dernier recours, envisage de proposer à ses ouvriers de continuer à être des salariés en allant vendre des chaussures importées dans les rues, « mais c’est peu probable qu’ils acceptent et je les comprends ». « Si le gouvernement ne contrôle pas le marché à nouveau en réintroduisant les taxes nous n’aurons d’autre choix en 2013 que de renvoyer des employés. »
Dumping
La libéralisation du marché a donné lieu au dumping de chaussures de Chine, de qualité nettement inférieure et dont les semelles dans certains cas sont fabriquées à partir de matières recyclées, donc moins chères. La compétition s’avère rude, le marché mauricien étant déjà restreint à 1,3 million d’habitants. Laval Young déplore que Maurice ait fait le choix de l’ouverture à l’importation au détriment de l’emploi, alors que la tendance est au protectionnisme de l’industrie dans d’autres pays. Le Brésil, par exemple, impose une forte taxe de pas moins de US $ 5 sur chaque paire de chaussures importée, alors qu’en Afrique du Sud, si l’importation de pays voisins de la SADC n’est pas taxée, celle de Chine l’est.
Le directeur de Banker Shoes Ltd, sise à Ste-Croix, fustige lui aussi la politique de libéralisation. « Le marché local est noyé de chaussures importées au point où on peut en acheter sur la rue exposées à même le sol », lâche Rajoo Sinnapen. L’entreprise qui existe depuis 30 ans s’est spécialisée dans la fabrication de chaussures pour l’industrie de la construction, pour la force policière et les pompiers, entre autres. Sa production qui était autrefois de 100 000 paires par an a drastiquement baissé. « 85 % de notre production est destinée au marché local. Valeur du jour nous arrivons difficilement à écouler 2 000 paires par mois », affirme Rajoo Sinnapen.
La situation s’est davantage corsée pour Rajoo Sinnapen avec l’acquisition, juste avant le budget 2012, d’équipements qui lui ont coûté la bagatelle de Rs 6,2 M. Pour se maintenir à flot, Banker Shoes a dû procéder à des licenciements. Il y a encore quelques années elle donnait de l’emploi à 57 personnes directement, et à 25 autres indirectement en absorbant notamment d’anciens ouvriers de l’usine Bata à sa fermeture. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 27. Pour sa part, Judex Daby, trésorier de l’association, après avoir réussi à donner du travail à 18 personnes pendant quinze ans, se retrouve désormais l’unique survivant de son petit atelier de Ste-Croix. L’association a eu des rencontres avec le ministre des Finances et celui de l’Industrie, et pas plus tard que cette semaine avec les responsables de la SEHDA, indique M. Sinnapen. « Si rien n’est fait dans le prochain budget pour protéger l’industrie locale, alors on n’aura plus qu’à mettre la clé sous le paillasson ! » Dans une telle éventualité, les opérateurs s’accordent à dire que c’est tout un savoir-faire développé au cours des 50 dernières années qui sera irrémédiablement perdu.

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