POÉSIE – AMEERAH ARJANEE : Une forme de langage et une forme de vie

Difficile de parler de l’écriture poétique de la jeune Ameerah Arjanee (Prix de la poésie pour la jeunesse en 2013) sinon comme une métaphore progressive :”To be music, not its listener or creator but/ the unreachable idea of it!/ To be the snapshot of the dancer`s body,/ the flexibility of flesh./ To be lust, a burning wheel/ driving into the sands of time and the dark apathy of space./ I want to be a machine of poetry, the cannot name and cannot reach/ that is balanced on the edge of a scream by a terrible grace…”  Ainsi le flux de l’écriture de Ameerah s’installe-t-il lentement dans la tête de son lecteur, fait corps avec lui. L’oeil scrute dès lors chaque détail du quotidien, s’y incruste, y fusionne et finit par le transformer. On murmure chaque mot, écoute le silence, s’en nourrit pour trouver les mots à soi; le corps enfin, tout entier se rend au rythme du poème, au mieux on décidera de plonger de nouveau dans les pages de son deuxième recueil de poèmes Morning with my Twin sister and other poems (L’Atelier d’écriture 2014. Traduction en français de Sachita Samboo). Son premier livre de poèmes (To the universe) chez le même éditeur nous avait avertis : Ameerah est une poétesse atypique sachant à la fois traiter de l’abstraction et puiser dans une imagerie plus reliée à la terre. Elle a délaissé les choses abstraites pour une oeuvre plus construite qu’elle définit comme celle de la maturité. La poétesse s’inscrit avec son nouveau livre dans la banalité du monde, dans son présent, ses détails minutieux, dans sa simplicité, pour se lancer dans la quête de l’absolu. Il y a dans son recueil une vérité familière qui éclate dans la transcendance de tous les archétypes. L’abstraction des premiers textes a fait place à une poésie non dénuée de signification. L’inscription dans le monde se fait par le mouvement, la répétition et ce qui pourrait paraître comme un vide sur la page, mais révèle des potentialités à venir. Un surgissement toujours possible. Et cette nouvelle oeuvre fait état d’une quête permanente d’un absolu qu’on n’arrive qu’à frôler, suggère et voile à la fois la vision qui seule lui importe. Ce travail obstiné vise un perfectionnement du poème : la confrontation avec la matière, la relation à la terre, avec les mots dispersés sur la page, une recherche infinie dans la fulgurance épousée. Et l’écriture comme subjectivation du langage réalise ce mode où le rythme, la prosodie dominent. En transformant la banalité, Ameerah met en relation la poésie et l’attitude réflexive. Elle établit un rapport entre une forme de langage et une forme de vie. Il y a chez cette jeune poétesse une réflexivité intérieure et un regard particulier, spirituel sur le monde. Son écriture s’engage dans l’instauration d’un dialogue avec sa propre parole; dialogue parfois conflictuel, douloureux, né d’une confrontation malaisée avec une réalité qui se démarque par l’observation de détails. C’est une voix propre, un compagnonnage. Sa seule ambition est d’écrire, mais de manière structurée en puissant dans la vie familiale, dans la tradition islamique (Water, Poetry, Companionship, Menstruating, Isha, Temple, Mr Anonymous, Photography…). La page, les fragments poétiques sont animés de tensions. L’écriture est une sorte d’appel d’où cette composition rigoureuse. Or, à scruter les détails, à observer les gens, les mots, leur résonance, leur répartition, une trace apparaît ouverte à tous les sens. Poursuivre encore et encore sa quête à travers la métaphore et cette manière de fouiller la matière humaine. Le sujet présent dans une parole poétique revendique le détournement, les messages obliques. L’incision, l’éclatement éphémère et violent provoquent en nous un réveil. Le message implicite, les sensations éparpillées éclatent avec violence. La poésie de Ameerah Arjanee est un état d’expérience qui aboutit parfois à quelque chose de manière éphémère. Descriptions de lieux, de personnages, d’instants d’intimité ou en compagnie, métaphores filées qui se multiplient au fil des pages et provoquent transpositions et retours sur des mythes ou des périodes de l’histoire : tout semble possible avec Ameerah. Cependant, l’aisance avec laquelle elle parvient à passer d’un sujet à un autre, la qualité de son écriture et cet univers particulier qui se crée autour des pages, procurent de réels plaisirs de lecture et appellent à découvrir son nouveau texte.

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