Polémique à Tamarin : Le surf mauricien dans des eaux troubles

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Une houle de tension s’abat sur Tamarin après un énième incident entre surfeurs locaux et étrangers. Cette fois, l’affaire a une résonance internationale. Ce qui entache l’image de Maurice. Les deux versions que nous avons recueillies s’opposent dans cette affaire où les susceptibilités sont incisives.

Alors que deux versions s’opposent suivant l’agression d’un Sud-Africain et de son fils de 13 ans sur la plage de Tamarin, cette affaire met surtout en avant les tensions entre les surfeurs mauriciens et étrangers. Propos racistes et xénophobes couplés à des menaces venant des deux côtés gardent cet incident à flot après qu’une déposition a été faite à la police, le 22 juin.

Le malaise sur les vagues de Tamarin n’est pas nouveau. Cela fait quelque temps déjà que ce type de confrontation est signalé. Pour les surfeurs locaux, il s’agit de prévenir l’invasion par des étrangers d’un des sites les plus prisés du pays, voire du monde. Le partage s’avère difficile alors que la présence croissante d’expatriés dans cette partie du pays suscite de plus en plus de commentaires.

“You bunch of South African settlers should stay in South Africa (…) please stay in South Africa and deal with your n***”, balance un internaute suivant l’incident. Dans le flot de réponses qui suit des deux côtés, un Sud-Africain commente : “The minute one of these white guys arrive just drop in on them. If he reacts badly then double up on him (…) Personally I had carry a knife and a p11 gun.” Et le tsunami de propos violents ne se calme pas. Ils sont nombreux à prendre part à cette guerre de tranchées qui oppose les deux groupes. Tous les coups verbaux semblent permis.

À l’origine, un incident survenu à Tamarin le vendredi 22 juin vers 17h. Kyle Kahn, un Sud-Africain établi à Maurice depuis un an et demi, surfe avec son fils de 13 ans et son groupe d’amis, des adolescents. Ces derniers s’amusent au bas de la vague, à la droite, où se regroupent les surfeurs moins expérimentés. Kyle Kahn est remonté plus haut vers le début de la vague, à la gauche.

Le line-up de Dalle.

Celui que nous prénommons Samuel, la cinquantaine, leader d’un groupe de surfeurs locaux nommés White Shorts, se trouve près du line-up de Dalle, à l’extrême gauche. C’est là où la vague se forme à proximité du récif – un endroit réservé aux surfeurs les plus expérimentés en raison de sa dangerosité. “Il y a beaucoup de risques de se blesser sur le line-up”, confie Ti-Guy, coach de surf, en dévoilant les multiples cicatrices sur son dos. Car la vague à ce spot est particulièrement rapide et, lors de leurs chutes, les surfeurs atterrissent directement sur les coraux.

Samuel prend alors une vague depuis le line-up et la surfe jusqu’au bout. Il se retrouve près des surfeurs amateurs. En remontant vers Dalle, il s’aperçoit que le fils de Kyle Kahn filme avec une caméra qu’il tient entre les dents. “J’ai dit au garçon qu’il n’est pas autorisé à faire des vidéos ici”, raconte Samuel. Raison : les surfeurs locaux souhaitent garder le spot de Tamarin le plus secret possible et éviter que celui-ci ne soit promu par des vidéos ou des photos postées sur internet. “J’ai dit au garçon de partir d’une manière autoritaire. Je ne l’ai jamais tapé”, ajoute Samuel.

Mais Kyle Kahn affirme qu’il a vu un autre père parler “de manière virulente” à Samuel. En allant s’enquérir, le père l’informe que “Samuel a giflé un des gamins”, en montrant son enfant du doigt. Kyle Kahn remonte également vers Dalle pour confronter Samuel.
Tous deux se rejoignent avant le line-up. “Le Sud-Africain est venu directement vers moi et criait : Samuel is beating children of thirteen”, relate Samuel. Kyle Kahn confie : “Je l’ai empêché de se rendre jusqu’à Dalle et nous nous sommes envoyé de l’eau l’un et l’autre.”
Kyle Kahn avance que Samuel “a poussé sa planche sur moi”. D’autres surfeurs locaux, ajoute le Sud-Africain, l’ont entouré. “Une grosse vague nous a tous balayés. En remontant à la surface, on m’a plongé sous l’eau et j’ai reçu un coup. Quand je suis remonté, Samuel m’a donné des coups de poing au visage. Je n’ai pas répondu aux coups.”

Agression et soins.

Une version que rejette Samuel, qui dit avoir agi par légitime défense : “Le Sud-Africain a plongé sur moi et m’a coulé sous l’eau. Je ne pouvais pas respirer. Une vague nous a balayés et, sous l’eau, il m’a mordu le pied. Ça a activé mon instinct de défense. Je me sentais agressé et j’ai eu une poussée d’adrénaline. Quand on est remonté à la surface, je lui ai donné un coup de poing… Je lui ai envoyé deux coups de poing. Et les autres Mauriciens sont intervenus.”

Kyle Kahn a les yeux tuméfiés et une coupure au bas de l’œil gauche. Ramené sur la plage, il demande à son fils de le filmer et il revient sur son agression. “One of them smacked my son, who’s thirteen. They also smacked and punched some other kids as well”, déclare-t-il. Par la suite, il reçoit des soins hospitaliers et se rend au poste de police de Grand-Baie, où il enregistre deux dépositions pour agression sur sa personne et son fils.

Postée sur YouTube le 11 juillet, la vidéo de Kyle Kahn compte actuellement plus de 42,000 vues. Elle est reprise par plusieurs médias internationaux, qui dénoncent un énième cas d’agression de surfeurs étrangers à Maurice. Les surfeurs locaux nous indiquent que leurs amis surfeurs à l’extérieur réagissent à cet incident. Certains d’entre eux disent même qu’ils ne reviendront plus à Maurice.

“Cela affecte mon business”, nous confie Andy, un habitant de la localité qui travaille auprès des touristes. Les surfeurs étrangers se sentent frustrés par le comportement des surfeurs locaux, qui leur interdisent violemment l’accès aux eaux de Tamarin. “Il faut qu’on soit virulent dans notre approche”, dit Samuel, qui explique qu’au cas contraire, les surfeurs locaux seront repoussés de Dalle par les étrangers. Comme cela est actuellement le cas au spot du Morne qui, selon des surfeurs locaux, a été accaparé par les Russes. Là-bas, ce sont des Mauriciens qui auraient été agressés.

Virulence et violence.

“C’est comme si vous alliez jouer au foot sur le terrain de votre localité et que vous voyiez une équipe étrangère en train d’y jouer. Quand vous leur dites de partir, ils vous disent non. Pour les surfeurs, notre terrain de jeu, c’est la mer.” Les White Shorts s’assurent que les locaux gardent la priorité sur Dalle. Certains locaux les remercient pour cet acte. Alors que d’autres regrettent la virulence avec laquelle ce groupe repousse les étrangers.
Samuel est décrit par l’ensemble des surfeurs contactés comme “mari violan”. Andy indique qu’en repoussant les étrangers, le leader des White Shorts “a déjà fait pleurer des jeunes, mais il ne les avait pas tapés”. Cependant, nuance-t-il, les violences physiques envers les adultes arrivent “souvent”. “Je te jure que je n’ai jamais mis la main sur un ado de 10 à 18 ans”, affirme Samuel. Ce n’est pas qu’à Maurice que ce type de réactions est observé autour de sites de surf.

Quant à Kyle Kahn, il entame un crowd funding afin de financer les procédures légales initiées par les surfeurs étrangers pour agression par des locaux. “Les étrangers portent plainte et puis on n’entend rien”, soutient Andy. De son côté, Samuel continue à défendre sa position. Il a confectionné un t-shirt en lycra arborant le slogan Team Mauritius. “De nombreux locaux me le demandent pour que les étrangers puissent les identifier. Nous trouverons un moyen de financer les t-shirts et de les distribuer à tous, même aux plus démunis”, confie Samuel.

À Tamarin, la guerre des vagues n’est pas finie…