PORT-LOUIS—20 ANS DE L’ABRI DE NUIT: Au-delà du gîte, un pont avec la famille

Depuis l’ouverture de L’Abri de Nuit de Port-Louis en 1994, plus de  2000 personnes y ont transité. Un refuge sûr à la tombée de la nuit et au ton réconfortant.  Pendant ses premières années, le centre accueillait jusqu’à 80 “tontons” chaque soir, mais, au bout de 20 ans, leur nombre a beaucoup diminué. Une trentaine d’hommes y sont hébergés en ce moment. Le profil de ces nouveaux pensionnaires aussi a changé. Certains d’entre eux avaient une belle carrière professionnelle. Ils n’ont pas d’abri, mais ils ne sont pas des clochards, comme l’étaient la majorité des premiers résidents de ce centre d’accueil.  Dans cet abri, on les surnomme affectueusement “tontons”. Si certains sont des réguliers, d’autres, dépendant de leur humeur, font des allers-retours, mais tous sont accueillis chaleureusement par les animateurs et les collaborateurs chaque soir. Ces “tontons” sont très peu bavards avec les visiteurs,  mais ils se confient volontiers aux animateurs, avec qui ils prennent plaisir à jouer aux “dominos” . D’ailleurs, les collaborateurs de l’abri et leurs protégés s’affronteront lundi lors de tournois de “indoor games” dans le cadre des activités prévues pour marquer les 20 ans de cette maison d’accueil.
Parmi les premiers résidents des années 90, un bon nombre sont depuis décédés tandis que quelques-uns terminent leurs vieux jours dans des hospices. Il y en a aussi – même s’ils ne sont pas nombreux – qui sont retournés dans leur environnement familial après des recherches entreprises par les responsables de l’abri   pour retrouver leurs parents. Avec beaucoup de délicatesse et de patience, le coordonnateur de l’abri et ses proches collaborateurs ont rétabli les liens familiaux. « Ne croyez pas que tous les tontons qui viennent chez nous ont été abandonnés par leurs proches. Les parents sont contents d’avoir de leurs nouvelles et attendaient leur retour. Mais il y a aussi des cas très compliqués et qui ne retourneront peut-être jamais dans leur famille. On respecte la liberté de chacun », dit le coordonnateur de l’abri. Sur un ton heureux, ce dernier ajoute : « Si l’abri n’existait pas, il n’y aurait pas eu ce pont avec la famille. Et peut-être que beaucoup de tontons seraient retournés dans la rue. »
Le profil de ceux qui franchissent l’entrée de l’abri aujourd’hui, aux dires des responsables, n’est plus le même que ceux qui venaient frapper à la porte il y a dix ans. En effet, la majorité des premiers “tontons” étaient déjà réduits à l’état de clochards. Ils étaient sales de la tête aux pieds, sentaient mauvais et transportaient une collection de sacs aussi crasseux que leurs vêtements, remplis d’objets inutilisables qu’ils avaient ramassés au cours de leurs vagabondages. Dès qu’ils arrivaient au centre, les animateurs les dirigeaient alors illico vers la salle de bains et jetaient leurs vêtements à la poubelle. Il arrivait souvent que quelques-uns d’entre eux essayent de retarder leur passage sous la douche en inventant toutes sortes de prétextes, mais les animateurs se montraient sévères sur la question de l’hygiène et de la propreté, le premier règlement de la maison.
Aujourd’hui, les animateurs n’ont plus besoin d’insister auprès de la trentaine de pensionnaires pour qu’ils aillent se doucher avant d’entrer dans les dortoirs ou de s’installer dans la salle commune. À  leur arrivée, dans l’après-midi, il n’y a pas de signes visibles qu’ils soient sans-abri. Emploi fixe pour quelques-uns et petits boulots temporaires pour d’autres. « Même ceux qui sont dans la rue pendant la journée ne sont pas sales quand ils reviennent pour dormir. Il y a des possibilités pour eux aujourd’hui de se rafraîchir, soit dans les toilettes publiques ou chez des connaissances »,  explique Cursley.
Ce qui est nouveau aussi, dans le profil de ces sans-logis, c’est le statut social et professionnel que ceux-ci avaient. La majorité des pensionnaires de L’Abri de Nuit ont ainsi fréquenté l’école primaire et secondaire, et grâce à leurs qualifications académiques et autres aptitudes, ils ont décroché des jobs dans la fonction publique et dans les entreprises privées. « Nos “tontons” sont éduqués et, actuellement, il n’y en a que quatre ou cinq qui ont des difficultés pour lire », disent les animateurs. Les résidents, aujourd’hui, s’informent quotidiennement et sont au courant des sujets qui dominent l’actualité au niveau local et international.
Parmi les 2 000 hommes ayant transité par l’abri, un bon nombre vivotaient à cause de la pauvreté matérielle, mais il y en a aussi qui étaient des professionnels, à l’instar de policiers, enseignants du primaire et du secondaire, directeurs de compagnie, douaniers, Maîtres d’école, cadres dans des entreprises privées… Les raisons de leur dégringolade de l’échelle sociale du jour au lendemain, qui les a conduits jusqu’à la rue ? Des fléaux appelés endettement, séparation (divorce/mortalité/départ pour l’étranger), perte d’emploi, jeu de hasard, problèmes sentimentaux, alcool, drogue, et humiliation subie au sein de la famille ou dans le monde du travail. « Ce sont des accidents dans le parcours d’une vie et, du jour au lendemain, tout peut basculer. Le plus important, c’est de veiller que les sans-abri ne restent pas longtemps dehors. C’est beaucoup plus difficile de les faire renouer avec leur famille s’ils ont été longtemps dans la rue », explique le responsable de l’abri.  
Le comité de direction de l’abri a dû adapter son programme d’accompagnement aux nouvelles réalités. Si l’hygiène corporelle et la propreté étaient les thèmes dominants des causeries des premières années, à présent, on aborde les questions ayant bouleversé totalement la vie de ces personnes du jour au lendemain, en faisant appel aux spécialistes en la matière.  
Grâce aux donations et à l’aide des bénévoles,  l’environnement de l’abri, au fil des années, s’est beaucoup amélioré, et les résidents se retrouvent chaque soir dans un encadrement physique beaucoup plus agréable et confortable. Et avec l’ouverture d’une deuxième maison d’accueil à St-Jean, Quatre-Bornes, les sans-logis ne sont plus visibles sur la route la nuit.  En cette période hivernale, on les voit rarement, blottis sous des carrés de carton sur le siège des abribus ou posés à même le sol devant les devantures des centres commerciaux. L’augmentation de la violence et le manque de sécurité grandissant dans le pays ont eu raison aussi de ceux qui étaient réfractaires à l’idée de se diriger vers ces deux Abris de Nuit.

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