PORTRAIT—DEVIKA ROOPJHAND: Une chauffeuse de taxi à la force tranquille

La cinquantaine, avenante, Devika Roopjhand, originaire de l’Est et vivant depuis son mariage à Triolet, est chauffeuse de taxi. Un métier qu’elle a choisi d’exercer à la mort de son mari dans un accident de la route en 2002 à Solitude. Elle est la seule femme parmi vingt hommes à exercer ce métier au Maritim. Devika a su imposer le respect. La force du travail et son énergie au quotidien, elle les puise en son fils, sa raison de vivre.
Sa voiture est en stationnement à l’hôtel Maritim, lieu de son travail. Devika Roopjhand dans un radieux sourire lâche : « Mo ti kontan aprann kondir, lor sis mwa mo ti fini kalifie ». Elle se souvient encore des conseils de son mari, qui de son vivant l’encourageait à exercer un métier comme le sien. « Une semaine avant sa mort, je m’étais mise à véhiculer les clients du Maritim et je me souviens encore de ce touriste anglais qui voulait visiter Grand-Baie », relate Devika Roopjhand. « Kojack, surnom affectueux qu’on avait donné à mon mari, était très apprécié des clients de l’hôtel. Il est mort le 21 mai 2002, à Solitude. Il était à motocyclette lorsqu’il y a eu une grave collision entre lui, deux motocyclistes et un bus. Il est tombé immédiatement dans le coma avant de décéder deux jours après. Je ne me trouvais pas dans un état de le seconder dans son travail, vu que j’étais encore sous le choc ». Cette épreuve douloureuse a rendu Devika devenir plus fort pour son autre combat : élever son fils. « Il est ma fierté et travaille aujourd’hui comme photographe à bord d’un bateau de croisière. »
Benjamine d’une famille de dix enfants, Devika Roopjhand a fait ses études jusqu’à la Form 5. « Au décès de mon père avant mon mariage, ce sont deux de mes frères, Vijay et Anil, qui m’ont apporté tout le réconfort. Ils m’ont aussi soutenue au décès de mon mari, tout comme l’ont fait mes cinq sœurs. Je me suis retrouvée veuve après 13 ans de mariage ».
Les horaires de travail de Devika sont parfois longs du lundi au samedi et un dimanche sur deux. Sans compter « mo laprier ek mo louvraz gramatin ». « Je m’occupe aussi de mes chiens et je prépare mon “tifin”, car avec ce travail on doit s’organiser en avance ». Le plus dur, dit-elle, est de trouver des clients. « La semaine dernière, j’ai effectué deux courses : l’une à Port-Louis et l’autre à Grand-Baie. Mais cela n’est pas suffisant pour payer les factures. »
Concurrence déloyale
Devika Roopjhand évoque alors « la concurrence déloyale » et « le calvaire » des chauffeurs de taxi d’hôtel face aux taxis marrons, qui « prennent toute la clientèle ». Des défis qui persistent malgré qu’elle se soit jointe à un syndicat de chauffeurs de taxi d’hôtels. « Rentrer bredouille chez soi est un casse-tête familier. Leta bizin met enn bon lord dan travay sofer taxi. Ena tro boukou “canvasseurs” pass par derier e bess pri. Sa fer nou perdi kliantel ek sertin taxi kre bann “vouchers” pou zot pou kapav rant dan lotel. Li inaseptab ! Parfwa may zot, me li fer boukou ditor pou nou travayer ki pe azir onetman. »
Parlant des clients étrangers, notre interlocutrice indique qu’ils lui ont permis d’apprendre l’italien et l’allemand. « C’est un métier qui nous met en lien avec l’actualité de notre pays. Chaque jour, lorsque je sillonne les routes je pars à la découverte d’un site avec le client et lui aussi apprend une page de notre histoire ». Évoluant parmi une vingtaine d’hommes chauffeurs de taxi, Devika Roopjhand a su imposer le respect en étant la seule femme dans ce milieu au Maritim. Aujourd’hui, raconte-t-elle, les femmes chauffeurs de taxi sont nombreuses. « Je ne veux nullement changer de boulot, mais c’est décourageant de rester parfois une journée sans faire de course. » Un des sites les plus privilégiés en ce moment par les touristes est le National Park, ou les randonnées à Pétrin. En termes de voyage, Devika Roopjhand a visité La Réunion et la Chine. « Premye fwa ar bolom, et deuxième fois après sa mort avec ma sœur. »
Devika Roopjhand reçoit de nombreuses réactions positives pour sa conduite et sa personnalité, elle qui aime bien dialoguer avec les touristes. « Ils sont surpris, car dans leur pays ils n’ont pas l’habitude de voir des femmes chauffeurs de taxi ». Pour exercer le métier de chauffeur de taxi, ajoute-t-elle, il faut un mental très fort pour pouvoir passer la journée dans une voiture, dans les bouchons et s’adapter à chaque nouveau client. Mais Devika ne compte pas lever le pied sur la pédale ; son taxi lui permet de rencontrer des gens et de s’enrichir au gré des voyages.

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