PORTRAIT : Mario Percheron, un véritable « Jack of all trades »

On peut naître dans une famille ouvrière, débuter comme apprenti cueilleur de thé, continuer manoeuvre avant d’apprendre un métier et finir patron de son entreprise. À condition d’avoir de la conviction, de la volonté et de ne pas hésiter à se salir les mains. C’est ce que prouve le cheminement professionnel de Mario Percheron, un des deux actionnaires de Prosec, dont voici le portrait.
Mario Percheron naît en 1952 à L’Agrément, St-Pierre, dans une famille de neuf enfants. Une famille modeste, mais heureuse dans une île Maurice rurale où la solidarité entre villageois était naturelle. Son père était ouvrier sur la propriété sucrière de Mont Désert Alma et travaillait sur le moteur de l’usine. Mario fait ses études primaires à St-Pierre RCA, mais après avoir passé sa sixième — qui n’était pas encore devenu le CPE —, il quitte l’école pour chercher un travail lui permettant d’aider sa famille.
Alors qu’il est âgé de treize ans, il commence à travailler comme apprenti à la cueillette des feuilles de thé à l’usine de Bois Chéri. Il exercera ce premier métier pendant neuf mois, puis son père parvient à lui trouver un emploi sur la propriété comme apprenti, en 1963. Mario est en fait un petit homme à tout faire qui seconde les ouvriers. Il exercera le « métier » de manoeuvre, en apprenant les bases du métier de soudeur et de tôlier jusqu’en 1968.
Il quitte alors la propriété pour chercher un travail stable, fait plusieurs chantiers et beaucoup de métiers jusqu’en 1971, quand il est embauché, toujours comme apprenti, à Cassis Ltd, où il termine sa formation de soudeur et de tôlier, et est nommé ouvrier. En 1976, Cassis Ltd passe sous le contrôle du groupe Ireland Blyth Ltd dans une période politique et syndicaliste agitée. En effet, à la fin des années 1960, le PTr et le PMSD ont fait une l’alliance politique qui va déboucher sur un gouvernement de coalition.
Pour barrer la route au MMM, l’état d’urgence est voté, les élections renvoyées, la presse censurée et les syndicats interdits. Mario fait partie des milliers de travailleurs mauriciens qui militent pour un syndicalisme fort et devient rapidement un leader au sein de Cassis Ltd. Les années 1970 sont également une période socio-économique sombre avec un fort taux de chômage et la fermeture de plusieurs entreprises.
« C’est très difficile de sortir d’une culture où l’ouvrier se contente d’exécuter les ordres, d’obéir aux ordres du patron, pour devenir le propriétaire de son usine et agir comme un actionnaire responsable »
IBL liquide Cassis Ltd en 1982, mais galvanisé par leur syndicat, les employés luttent contre la fermeture de leur entreprise. Ils s’organisent, réunissent leurs économies, font des emprunts et parviennent à racheter Cassis Ltd, qui devient la première entreprise autogérée de Maurice et prend le nom de Litra Ltd. Mario Percheron est un des leaders du mouvement, fait partie du comité de direction de la nouvelle entreprise, en devient le directeur en 1985 mais démissionne deux ans après pour aller créer sa propre boîte. Litra fermera ses portes en 1990.
Pourquoi la première entreprise autogérée de Maurice n’a-t-elle pas pu durer dans le temps ? « Pour une raison simple : c’est très difficile de sortir d’une culture où l’ouvrier se contente d’exécuter les ordres, d’obéir aux ordres du patron, pour devenir le propriétaire de son usine et agir comme un actionnaire responsable. Les ouvriers n’avaient pas la formation nécessaire à l’époque pour passer du stade d’exécutant à celui de gestionnaire intéressé à faire tourner son entreprise. J’ai fait partie de ceux qui avaient cette culture et qui travaillaient jusqu’à 3h du matin pour faire tourner l’entreprise. Mais nous n’étions pas assez nombreux et j’ai dû abandonner. »
Avec le recul, quel sentiment inspire l’épisode Litra ? « C’est la grande amertume de ma vie. Nous avions une expérience, savions faire un travail de qualité, avions une clientèle — toutes les propriétés sucrières —, du matériel. Il fallait juste travailler et respecter les délais. J’ai été à un moment le directeur de Litra et quand je demandais aux travailleurs-actionnaires pourquoi ils venaient travailler à 10h au lieu d’être à 7h30 à l’atelier, ils me répondaient : nou ki proprieter Litra, nou vinn ler proprieter ! »
Face à cette situation, Mario Percheron démissionne de Litra et ouvre un petit business d’import-export d’un peu de tout. « Ça ne marchait pas très bien et j’ai dû faire beaucoup de petits boulots pour gagner ma vie. Comme j’avais une certaine expérience, j’ai eu de petits contrats pour certains travaux, j’ai sous-contracté pour leur exécution. Comme on dit aujourd’hui, j’ai bat-bate pendant quelques années en étant à la recherche d’un nouveau produit ou technique qui me permettrait de faire démarrer mon entreprise ».
Et puis, en 1997, Mario entreprend un voyage de prospection en Asie qui le mène en Chine, en Malaisie, à Hong-Kong et à Singapour. C’est dans ce dernier pays qu’il découvre la peinture thermoplastique utilisée pour le marquage des routes. C’est une technique nouvelle qui comprend une machine qui fait fondre une peinture en poudre à 200°C avant de l’appliquer, à chaud, sur l’asphalte et dure trois fois plus longtemps que la peinture normale appliquée au pinceau, comme cela se pratiquait encore à Maurice. Séduit, Mario décide d’importer cette nouvelle technique, prend contact avec ses fabricants singapouriens, obtient les droits pour Maurice et les pays de la région.
Rentré au pays, il trouve six actionnaires, rassemble un capital de Rs 1,2 million et crée la compagnie Prosec — la contraction des mots « professionnal » et « security ». Il lance la peinture thermoplastique à Maurice en 1997, mais le ministère des Infrastructures publiques, principal client potentiel de la nouvelle compagnie, qui avait ses produits et ses fournisseurs, décrète que le produit ne convient pas à Maurice parce qu’il n’est pas… tropical. Alors qu’il a été créé et utilisé en Malaisie, à Singapour et dans toute l’Asie, où la température moyenne dépasse facilement les les 30°C !
Pendant deux ans et en dépit d’avis favorables d’une partie de ses techniciens, le ministère des Infrastructures publiques ne veut pas entendre parler de thermoplastique et les routes mauriciennes continuent à être marquées manuellement. Mario Percheron en perd le sommeil ! Prosec devra attendre le remaniement ministériel de 1999, quand Deva Virahsawmy remplace Siddick Chady, pour que le produit de Prosec soit enfin accepté. Le premier contrat est attribué à Prosec pour le marquage de la route menant à Grand Bassin, juste avant le pèlerinage annuel. Suivront les contrats pour la route Flic en Flac — Beaux Songes, La Vigie — Nouvelle France, et après, tous les grands travaux routiers du pays.
Mais avant d’arriver à sa vitesse de croisière, Prosec connaît des problèmes internes : quatre des six actionnaires, découragés par le manque de contrats, se retirent. En 2008, le cinquième réclame son investissement de départ avant de quitter l’entreprise, ce qui met à sec les caisses. Mais les départs des actionnaires ont été compensés par l’arrivée de deux hommes qui vont contribuer à faire de Prosec ce qu’il est devenu : une entreprise rentable sachant diversifier ses produits.
En 2003, Videsh Aumdra, qui avait une solide expérience dans les travaux routiers, vient rejoindre l’entreprise. Il va rapidement devenir le deuxième actionnaire de la compagnie et un de ses directeurs et promouvoir la diversification des produits. La deuxième personne est Yogeswar Nuckchadee, le comptable qui a un rôle important dans le développement de l’entreprise.
« Nous sommes des directeurs qui vont non seulement sur le terrain, mais nous sommes aussi capables d’aller nettoyer la rue et de peindre nous-mêmes sur les chantiers jusqu’à 2-3h du matin »
C’est ainsi que Prosec a quitté ses locaux trop étroits et dispersés de Beau-Bassin pour un superbe bâtiment en tôle construit sur un terrain à Verdun. Le projet qui date de 2010 a été concrétisé en 2014 et, désormais, Prosec propose une one-stop shop où tous ses produits sont exposés. Rs 20 millions ont été nécessaires pour la construction du bâtiment de Prosec dont le chiffre d’affaires annuel tourne autour de Rs 70 millions et emploie plus de vingt personnes. Soit deux équipes pour l’application de la peinture thermoplastique et une troisième pour la peinture traditionnelle à la main, principalement pour la piste de l’aéroport. Comment Mario Percheron explique-t-il le succès de son entreprise ?
« Par le fait que nous fonctionnons en équipe et que les directeurs travaillent autant que les employés, sinon plus. Nous sommes des directeurs non seulement sur le terrain mais sommes aussi capables d’aller nettoyer la rue et peindre nous-mêmes sur les chantiers jusqu’à 2-3h du matin. Nous sommes avec l’équipe, nous ne sommes pas des directeurs qui gèrent l’entreprise depuis leurs bureaux. Nous sommes des Jack of all trades dans le bon sens du terme ».
Des entrepreneurs mauriciens qui sont présents à Madagascar depuis 2004 et qui ont bien l’intention d’aller voir du côté de l’Afrique, dans un proche futur, et rêvent d’un chiffre d’affaires qui tournerait autour de Rs 200 millions. Avec d’autres projets de développement, notamment Prosec Steel Products Ltd, la toute nouvelle compagnie qu’ils viennent de créer et qui se spécialisera dans la fourniture et le montage de structures métalliques.
Quand il cueillait les feuilles de thé ou qu’il était manoeuvre sur la propriété, Mario Percheron rêvait-il qu’il allait un jour devenir patron d’une entreprise pesant plusieurs dizaines de millions ?
« Je ne rêvais pas d’être patron, mais de pouvoir avoir un jour ma propre entreprise. Je crois que quand quelqu’un rêve de faire quelque chose, il ne faut pas se contenter de rêver, mais de se donner les moyens de réussir son rêve. Avec l’énergie, l’engagement et le travail nécessaires. »

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