PORTRAIT: Mougam Pereatumbee, le chef qui veut valoriser les cuisiniers

Permettre à ses élèves de passer de la théorie à la pratique, tout en offrant le résultat de ses trouvailles culinaires aux gastronomes : ce sont les objectifs que s’est fixé Mougam Pereatumbee en ouvrant son restaurant Le royaume des saveurs à Curepipe. Ce qui nous offre l’occasion de faire le portrait d’un chef mauricien pas tout à fait comme les autres.
Mougam Pereatumbee est né dans une famille d’enseignants à St-Julien, un petit village du district de Moka/Flacq. En 1977, après avoir pris part aux examens du SC, il décide de ne pas « rest lakaz pou atann rezilta » et se met à la recherche d’un petit boulot. « J’aurais pu être tombé chez un mécanicien, un maçon ou un commerçant, mais le destin m’a dirigé vers des cuisines. » Il s’agit de celles du St Géran, où on lui offre un job de plongeur, c’est-à-dire de laveur d’assiettes. L’échelon le plus bas dans le métier de cuisinier. C’est Barry Andrews, une référence de la gastronomie locale, qui dirige les cuisines du St Géran. Le travail est dur, mais il intéresse Mougam qui, après avoir obtenu ses résultats du SC, décide d’apprendre le métier de cuisinier. Et cela, malgré la forte opposition de ses parents, qui voulaient qu’il fasse des études de médecine et qui ne ratent aucune occasion pour lui dire « nou napa finn avoy twa colez pou to al lav lasiet sal. »
À l’époque, les enfants obéissaient encore à leurs parents et Mougam a dû faire beaucoup d’efforts pour pouvoir rester au St Géran. « J’ai dû travailler dur pour montrer à mes parents que j’avais pris la bonne décision. » Il apprend sur le tas, dans les cuisines du St Géran, avant d’aller suivre des cours à l’École Hôtelière, qui était alors installée aux Casernes, à Curepipe. Après son passage à l’École Hôtelière, il retourne au St Géran, où il va passer 18 ans et grimper les échelons dans les cuisines pour finir comme Executive Chef au Galawa, un hôtel que Sun International possédait alors aux Comores. De retour à Maurice, il décide de se joindre à l’équipe d’enseignants de l’École Hôtelière, qui s’était modernisée et où les premiers diplômés mauriciens en hôtellerie et en cuisine travaillaient. « Eux avaient les diplômes et moi l’expérience ; nous étions complémentaires. On peut acquérir la base théorique, mais il faut aussi l’expérience et la passion qui dépendent des enseignants, de leur capacité à partager leurs connaissances, leur touche personnelle, émotionnelle. Préparée sans émotion, la nourriture sera bonne mais il lui manquera cette petite touche qui fait la différence, comme on tombe sur une bonne mangue ou un letchi. La bonne cuisine, c’est pouvoir s’approcher le plus possible de la perfection. »
En 1994 Mougam décide de rendre son tablier au St Géran pour continuer ses études et parfaire ses connaissances. Pour quelle raison un chef démissionne-t-il de ce qui était alors un des plus grands hôtels de Maurice, de la cuisine où tous les apprentis rêvent d’aller travailler un jour ? « J’étais heureux au St Géran, mais il me manquait quelque chose : la liberté. Dans les grands groupes, on nous demande de refaire les mêmes choses, d’étaler notre savoir faire à partir de recettes éprouvées. On n’a pas beaucoup la possibilité d’inventer, d’expérimenter avec le volume de travail. Il y a des chefs qui sont satisfaits de faire leur routine ; moi je préfère la création, la satisfaction des sens. La cuisine est un des rares métiers où presque tous les sens, le toucher, le goûter, l’odorat, sont mis à contribution. Pour moi, la cuisine devient intéressante quand on sort de l’ordinaire. Je sentais que je devais acquérir encore des connaissances. À mon retour des Comores, j’ai fait huit mois à l’École Hôtelière, puis j’ai continué ma carrière à l’hôtel. Mais au St Géran, je me suis rendu compte qu’il ne suffit pas de savoir bien cuire pour être un chef. Il faut aussi savoir gérer une cuisine à tous les niveaux, savoir administrer. Et ça, les chefs étrangers le savaient. C’est pour cette raison que j’ai quitté le St Géran, où j’étais chef pâtissier, pour aller poursuivre mes études. C’est une des meilleures décisions que j’ai prises de ma vie. »
Mougam se rend alors à Nairobi où il va passer deux ans dans la filiale d’une grande école de Lausanne. De retour à Maurice, il essaie de lancer avec l’École Hôtelière une classe pour les jeunes qui n’avaient pas la base académique requise mais voulaient apprendre le métier. À l’époque, il n’y avait que quelques dizaines de places de disponibles dans cette école, pour plus de 3 000 candidatures annuelles. Le nouveau concept sera refusé par l’administration, ce qui poussera Mougam à ouvrir sa propre école de formation hôtelière à Flacq, le Hotel Catering and Training Centre (HCTC). « En rentrant, j’avais présenté une série de programmes à la télévision. Et de temps en temps, des parents me demandaient d’ouvrir une école pour leurs enfants, qui voulaient étudier la cuisine mais n’avaient pas les bases pour se faire admettre à l’École Hôtelière, et surtout, pas les moyens financiers. J’ai ouvert en 2000 une modeste école qui a formé des dizaines de jeunes, qui travaillent aujourd’hui dans les meilleurs hôtels du pays et de la région. »
Onze ans plus tard, Mougam délocalise son centre de formation de Flacq vers Curepipe. Pourquoi ce déménagement ? « Je voudrais utiliser le centre pour essayer de concrétiser une idée qui me trotte dans la tête depuis longtemps : travailler sur l’établissement d’un standard pour la cuisine mauricienne. Pour le moment, il n’existe aucune structure légale pour le métier de cuisinier, aucune définition des grades et des salaires. Par conséquent, le métier n’est pas valorisé. La gastronomie mauricienne fait partie des points forts de l’image touristique de l’île Maurice, mais on ne s’occupe pas de ceux qui la font. On veut que les cuisiniers travaillent le samedi, le dimanche, les jours de congés publics, le soir… mais on ne les paye pas suffisamment pour cela. Il faut que le métier soit structuré légalement pour qu’il puisse bien se développer, pour que les jeunes recommencent à s’y intéresser, car ils le sont de moins en moins. Aujourd’hui, un jeune préfère de loin travailler dans un call centre que dans un restaurant. Il fait également des odd hours mais il est mieux payé, et surtout valorisé dans les call centres, ce qui n’est pas le cas pour ceux qui travaillent en cuisine. Je compte demander aux chefs mauriciens de travailler avec moi sur cette standardisation, que nous soumettrons ensuite aux autorités concernées. »
Les chefs, qui ont la réputation d’être des individualistes forcenés avec un caractère bien trempé, vont-ils accepter de participer à ce travail collectif ? « Comme dans tous les métiers, il y a des gens qui préfèrent travailler seuls et d’autres qui sont à l’aise en groupe. Tous les chefs ne participeront pas, mais certains le feront et on travaillera avec ceux qui le voudront. Il faut faire un travail sérieux qui va aider la profession. Il faudrait, par exemple, savoir combien de ceux qui s’inscrivent à une école hôtelière ou un centre de formation finissent les cours, entrent dans la profession et y restent. Quand ce travail sera fait, il faudra aussi se pencher sur la préparation d’un livre de recettes nationales et des spécialités locales. » Le déménagement de l’HCTC de Flacq à Curepipe a également d’autre objectifs. Le centre est situé à la rue du Couvent de Lorette, dans une jolie maison avec jardin donnant sur un ruisseau. C’est dans cette partie que Mougam a ouvert Le royaume des saveurs, un restaurant dont le nom a été donné par les journalistes du Guide du routard. Quand ils viennent déjeuner ou dîner chez Mougam, au lieu de choisir un plat sur la carte, ils demandent au chef de leur proposer quelque chose d’original, et ils en sont satisfaits. « L’objectif du déménagement sur Curepipe est de monter en gamme en utilisant les produits mauriciens, les légumes et les fruits, pour inventer une nouvelle cuisine locale, un peu expérimentale. L’objectif est également de permettre aux élèves de passer de la théorie à la pratique à travers le restaurant. Nous disposons de trente couverts et proposons de la cuisine européenne, asiatique, chinoise et mauricienne expérimentale. Les clients seront invités à donner leur appréciation et à faire leur critique des plats qui leur auront été proposés. »
Quelques touristes ont inauguré le restaurant et se sont déclarés satisfaits, surtout par la cuisine expérimentale. Mougam espère que les Mauriciens leur emboîteront le pas, mais pense qu’ils seront plus tentés par les plats qu’ils connaissent déjà. « Les Mauriciens ne sont pas des aventureux en cuisine. Ils sont assez conservateurs, comme en politique d’ailleurs. Au restaurant ils reprennent les mêmes plats, comme ils votent à chaque fois pour les mêmes politiciens. »
Ceux qui veulent faire une incursion au Royaume des saveurs peuvent téléphoner au 674 5071 pour réserver leur table.

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