PORTRAIT : Le père Maximil Tambyapin, missionnaire catholique au Pakistan

Souriant, l’air timide, parlant d’une voix douce, Maximil Tambyapin n’a pas, physiquement, l’apparence d’un missionnaire installé dans un pays très difficile. Et pourtant, ce prêtre catholique mauricien vit et travaille depuis quelques années au Pakistan. Dans le portrait qui suit, il nous raconte son cheminement et son quotidien de prêtre catholique dans un pays majoritairement musulman.
Maximil Tambyapin est né en 1971 au Malawi, où son père faisait partie des Mauriciens travaillant dans l’industrie sucrière dans certains pays d’Afrique. La famille revient à Maurice en 1978 pour l’éducation de ses trois enfants et s’installe à Quatre-Bornes, avant de déménager à Beau-Bassin. Maximil fait ses études secondaires au collège du St-Esprit, étudie les lettres avant de choisir la filière scientifique pour les examens du SC et du HSC. Il fait partie d’une famille catholique, va à la messe, et commence à penser à son avenir professionnel quand en 1991 sa vie va basculer, tout en douceur, à l’écoute d’une voix. Il s’agit de celle de Marie-Michèle Étienne, animant à la radio une émission sur les vocations à Maurice, plus précisément sur leur rareté. « J’ai commencé à écouter l’émission, puis, ma mère m’ayant demandé d’aller au bazar, j’ai enregistré la suite pour pouvoir l’écouter plus tard. Je l’ai fait une fois, mais les questions abordées m’ont fait longuement réfléchir. »
L’éventualité de devenir prêtre commence à se faire sentir doucement, puis s’intensifie, poussant Maximil à demander conseil au père Jean-Maurice Labour, alors responsable des vocations au sein de l’Église catholique. Des rendez-vous sont pris, des discussions ont lieu, des questions sont posées et des livres lus, puis Maximil intègre un groupe de recherche pour vérifier et authentifier sa vocation. De retraites en méditations, il laisse mûrir en lui sa détermination avant de décider d’entamer le parcours menant à la prêtrise. « Ma vocation n’était pas un coup de coeur emportant tout sur son passage, mais un sentiment calme, un cheminement qui s’est construit lentement. Quand j’ai été sûr de moi, j’ai informé mes parents de mon choix. Ils m’ont soutenu et je suis parti pour le séminaire de La Réunion pour commencer mes études. Pour moi, devenir prêtre, c’est se mettre au service des autres, à leur écoute et, dans mon cas personnel, des plus pauvres, des plus faibles, de ceux à qui on ne prête pas beaucoup d’attention dans le monde d’aujourd’hui. Pour moi, être prêtre, c’est autant une option évangélique que sociale. »
Maximil va passer deux ans au séminaire de La Réunion, effectuer une année de noviciat à Maurice, puis une autre à Madagascar, suivie de quatre années d’études théologiques en France avant d’être ordonné prêtre. Que faut-il apprendre pour devenir prêtre ? « Ce sont des études générales, avec un accent particulier sur la religion et le fonctionnement de l’Église. Ce sont des études pour accumuler des connaissances générales permettant d’aborder la vie avec une rigueur intellectuelle, une capacité de réflexion, d’analyse, d’interprétation et de discernement. »
« Je vais rester au Pakistan aussi longtemps que je serai accepté »
Quand le choix de devenir missionnaire chez les spiritains, c’est-à-dire au sein de la congrégation du St-Esprit, s’est-il imposé ? « Dès le départ, quand j’ai su que je voulais devenir prêtre, j’ai voulu être missionnaire. J’ai toujours voulu me mettre au service des plus pauvres dans les endroits difficiles, et c’est la mission principale des spiritains. L’ordre du St-Esprit correspond parfaitement à ce que je veux faire comme prêtre. » De retour à Maurice après ses études, Maximil travaille dans la paroisse de St-Jean où il est ordonné prêtre en 2003. Il effectue ensuite un autre séjour à La Réunion avant d’aller entreprendre des études sur le dialogue interculturel en France, pendant trois ans. « Le dialogue interculturel m’intéresse du fait de la situation mauricienne, où coexistent de grandes cultures et de religions. Beaucoup d’idées circulent et il est important de s’intéresser à ce qu’est la religion de l’autre pour pouvoir mieux la comprendre et la respecter. Cette démarche permet de se décentrer, de sortir d’un tas d’idées préconçues, d’écouter l’autre et de s’enrichir de ses différences dans l’ouverture et le dialogue. »
C’est pendant ses études que le nouveau prêtre fait sa demande d’affectation et choisit le Pakistan, plutôt que le Papouasie Nouvelle-Guinée, lieux où sont envoyés les missionnaires spiritains de l’océan Indien. « Nous sommes envoyés dans des pays difficiles où l’Église ne trouve pas facilement de prêtres et où la vocation se vit plus comme un combat de tous les instants que comme une mission sans histoires. » Le missionnaire spiritain serait-il un moine guerrier allant à la conquêtes de nouvelles âmes ? « Le missionnaire spiritain n’est pas un guerrier, ni un conquérant, mais un prêtre qui va accompagner, partager la vie et la foi d’une communauté de chrétiens déjà établie dans un environnement difficile. Pas essayer de faire de la conversion. » Pourquoi le Pakistan plutôt que la Papouasie Nouvelle-Guinée ? « Choisir le Pakistan, c’était aussi un moyen de poursuivre mon travail sur le dialogue inter-religieux. »
Un seul mot résume tous les sentiments ressentis par le nouveau missionnaire spiritain quand il arrive, en novembre 2008, au Pakistan. Choc. « C’est une suite de chocs : culturel, visuel, sensoriel, olfactif, géographique et surtout thermique, puisqu’en hiver il fait en dessous de zéro, et en été la température peut monter jusqu’à 50°C. Le corps et l’esprit prennent du temps à s’habituer. Tout étonne au Pakistan ; rien ne semble normal par rapport à ce qu’on a vécu avant. Il faut un temps de découverte, d’exploration, de rencontres, pour essayer de se mettre à niveau. Et puis on se rend compte que toutes les valeurs et connaissances acquises dans les différentes formations sont là et aident à trouver les réponses aux questions du quotidien. »
« Être catholique et le montrer au Pakistan est un engagement fort qui peut avoir des conséquences difficiles »
Né de la partition avec l’Inde, sixième pays le plus peuplé au monde, le Pakistan est une république islamique qui compte 182 millions d’habitants. La très grosse majorité des Pakistanais sont des musulmans, et les chrétiens sont une minorité de près de trois millions, partagés entre protestants et catholiques. Les spiritains sont basés dans deux provinces au Pakistan : le Sind et le Punjab, où se trouve la paroisse du père Tambyapin. « Elle est située dans la banlieue de Rahim Yar Khan, une petite ville en bordure du désert et de la frontière avec l’Inde. Nous sommes six spiritains de quatre nationalités – malgache, irlandaise, nigériane et mauricienne – à nous occuper de la communauté catholique du sud du Punjab, qui compte environ 2 000 membres. » Après avoir passé quatre mois à apprendre l’ourdou, le père Tambyapin a découvert son église. « Elle est vivante parce que les chrétiens du Pakistan sont des croyants qui ont une foi exacerbée par la situation sociopolitique du pays, qui est à plus de 95% musulman. Ce sont des hommes et des femmes qui portent la foi avec fierté, ont une conscience profonde de son existence et ont besoin de l’exprimer. Les chrétiens ont toujours vécu dans une situation d’oppression à tous les points de vue. Ils se sentent comme envahis, entourés, et cela crée de grosses pressions sociales, économiques et culturelles. À force d’avoir subi des conquêtes au fil du temps, ils ont fini par intérioriser l’oppression, qui est devenue partie intégrante de leur vie. C’est cette intériorisation qui leur permet de faire face à la situation quotidienne qui est loin d’être facile à vivre. Les catholiques ont développé une résistance et la religion est devenue une manière vitale de s’affirmer. Être catholique et le montrer au Pakistan est un engagement qui peut avoir des conséquences, disons, difficiles. »
Les catholiques ont-ils des contacts avec la communauté majoritaire, ou vivent-ils dans un ghetto ? « Les chrétiens sont une petite minorité entourée par une immense majorité de musulmans. Par ailleurs, ils font partie des couches les plus basses de la société qui fonctionne, quelque part, sur les codes sociaux hérités de l’Inde, dont le système de castes. Il y a des échanges, des contacts, des amitiés aussi entre les communautés, mais toujours avec en arrière-pensée le fait que les chrétiens sont une petite minorité au milieu d’une immense majorité. » Et comment se sent le missionnaire mauricien dans ce nouvel univers ? « On se sent étranger et ce n’est pas toujours facile à porter. Il y a des lois, des règles, des coutumes différentes qu’il faut savoir respecter. Cela nous oblige à nous rendre compte de nos fragilités. En dépit des difficultés, je suis heureux, je sens que je prends ma vie en main, que je vis intensément chaque minute de mon engagement. »
En tant que prêtre catholique, est-il accepté ou toléré par la majorité pakistanaise ? « Nous sommes tolérés, mais cela ne se passe pas dans une ambiance agressive. Il y a des contacts, une longue tradition d’amitié, des formes de solidarité, d’échange, de fraternité, même, dans le quotidien. Mais nous sommes des étrangers pratiquant une religion qui n’est pas celle du pays. Ce qui est dur, c’est de prendre conscience qu’on sera toujours un étranger. » Et la guerre larvée indo-pakistanaise, le terrorisme, le djihadisme ? « Nous sommes géographiquement éloignés des zones à risque, mais ces questions font partie du quotidien. L’insécurité, la possibilité de basculer à tout instant dans la violence est un élément qui fait partie de la vie au Pakistan. On finit par vivre avec, mais on reste toujours sur le qui-vive. » Face à la réalité pakistanaise, est-il arrivé au missionnaire mauricien de regretter son choix de pays ? « Choisir, c’est aussi renoncer. Et une fois que c’est fait, il faut embrasser la vie qui s’offre à vous et accueillir tout ce qui vous arrive, tout ce qui vous est offert. Le faire au Pakistan est suffisamment prenant pour qu’on n’ait pas le temps d’avoir des regrets. L’énergie qu’il faut dépenser pour vivre chaque journée ne laisse pas beaucoup de temps pour se plonger dans la mélancolie ou l’évocation des souvenirs. Nous sommes sans cesse remis en cause par le climat, l’environnement, les situations. Il faut constamment revoir ses valeurs, sa manière de penser, d’agir. C’est une remise en cause incessante, répétée, qui donne une espèce de ressort intérieur face aux situations qui se présentent. C’est enrichissant, mais pas toujours simple à maîtriser. »
Finalement, combien de temps va durer la mission du père Tambyapin au Pakistan ? « Une affectation de missionnaire est, en principe, une affection à vie qui dure aussi longtemps que le missionnaire peut assumer sa mission. Je vais rester au Pakistan aussi longtemps que je serai accepté, aussi longtemps que la politique envers les étrangers et ma santé me le permettront. »

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