PORTRAIT : Ramesh Caussy, inventeur de robots

Né à Maurice et vivant en France depuis l’âge de cinq ans, Ramesh Caussy a grandi avec les comics de Marvel. Il leur doit son intérêt pour les sciences qui a fait de lui un spécialiste de la technologie numérique, plus particulièrement de la robotique. Après avoir lancé un purificateur d’air qui a fait sensation au dernier salon international de la robotique, il rêve de lancer à Maurice un secteur technologique. Voici son portrait.
Ramesh Caussy tient sans doute de son père le désir d’aller plus loin, de comprendre le plus possible. Son père fut un des pionniers qui, avec le Dr Jaganathen, quitta Maurice au début des années 1960 pour étudier et s’établir en France, plus précisément à Strasbourg. Ramesh a deux ans quand ses parents quittent Camp Yoloff, à Port-Louis, pour une banlieue de Strasbourg et il est élevé par sa grand-mère avec qui il développe une relation fusionnelle. À tel point que quand il part rejoindre ses parents à l’âge de cinq ans, il a ressenti « une très grande souffrance qui a éclipsé l’excitation du voyage. Je ne suis redevenu moi-même que quand ma grand-mère est venue nous rejoindre quelques mois plus tard. »
Les premières années de la vie en France sont difficiles. « La France de l’époque était moins ouverte aux immigrants qu’aujourd’hui, surtout aux immigrants de couleur. Mais je crois que les Mauriciens possèdent un ADN mental de l’adaptation à l’étranger, ce qui fait que j’ai résisté et je me suis intégré. » À l’adolescence, Ramesh est, comme tous les garçons de son âge, un passionné de comics de l’éditeur américain Marvel et rêve de devenir un grand footballeur ou un super héros comme Batman, Spiderman ou Ironman. « J’étais fasciné par l’aspect technologique de ces comics, ce pouvoir d’augmenter les capacités des héros et de l’homme. Je pense que ces comics ont été une source d’inspiration qui a dû influer sur le choix de mes études. »
Au lieu d’étudier les lettres, la médecine ou le droit comme le souhaitaient ses parents, Ramesh opte pour les sciences, les mathématiques puis, ne voulant pas se limiter à un domaine il se lance dans l’étude de l’économie, du processus cognitif, passe des diplômes à Strasbourg puis à Paris avant de décrocher un doctorat à l’École polytechnique.
« Fondamentalement, je voulais apprendre dans des domaines différents. Je ne voulais pas devenir un spécialiste dans un domaine, mais devenir un chercheur pluridisciplinaire, ce qui est la tendance actuelle dans la science. Je me suis intéressé à ce que l’on appelait alors la Technology Information Communication, les neurosciences, l’intelligence artificielle. J’ai une appétence pour apprendre et comprendre les différents champs technologiques. Nous étions au début des années 1990, à l’époque des premiers PC lourds, massifs, encombrants qui arrivaient sur le marché. Progressivement, j’ai compris que la technologie était en train d’émerger avec la possibilité de créer de nouveaux produits. J’ai commencé à explorer ce secteur et découvert de vastes possibilités dans l’univers numérique et la convergence technologique en cours et j’ai été chanceux de voir les premiers réseaux émerger, Internet se mettre en place ainsi que les premiers smartphones et les palm connectors. Il fallait créer de nouveaux produits pour de nouveaux marchés. C’était passionnant. C’était comme une exploration permanente. »
À la fin de ses études, Ramesh Caussy intègre le groupe Alcatel et travaille sur les technologies émergentes : le broadband, l’ADSL, la photonique puis rejoint ITel, pour travailler sur divers projets avant de décider de devenir son propre patron et créer son entreprise parce qu’il voulait aller vers la robotique. Est-ce qu’il n’est pas plus intéressant pour un chercheur de travailler dans un grand groupe avec toutes les facilités que cela comporte ?
« J’estimais que dans ces grands groupes, je ne pouvais plus exprimer ma créativité et que je n’avais pas la reconnaissance à laquelle j’estimais avoir droit, même si j’ai pu avoir un parcours assez intéressant. C’est pour cela que j’ai créée Partenering 3.O en novembre 2007, une petite entreprise qui compte une dizaine de chercheurs et d’ingénieurs, et j’ai commencé tout de suite à imaginer les technologies que j’allais pouvoir développer. En parallèle, et comme il fallait créer une activité qui ramène les salaires fixes de l’entreprise, j’ai créé une activité de digital printing et nous avons mis au point des programmes intéressants qui permettent de réduire les coûts d’impression des copieurs et des fax. Cette activité ramène le cash flow et nous permet de travailler sur la robotique de service, la gestion de l’énergie et l’épuration de l’air. On a compris que la robotique de service est le marché irréversible et incontournable d’avenir. »
Après sept ans de travail, Partenering 3.0 se fait remarquer professionnellement. « En mars dernier, au salon européen de la robotique — où étaient présents tous les grands noms du secteur planétaire —, nous avons présenté Diya One, le robot que j’ai créé et qui a été élu coup de coeur du salon par les organisateurs. C’est un prototype avancé avec un robot neuro-inspiré avec un petit cerveau artificiel capable d’apprentissage et d’interaction pour purifier l’air, gérer l’énergie et faire baisser les factures. On est très en avance avec une demande qui explose de la part des pays du Moyen Orient, d’Asie et d’Europe. Depuis que l’OMS a expliqué, il y a deux mois, que la qualité de l’air était une des premières causes mondiale de mortalité, les gens commencent à regarder cette problématique avec beaucoup d’attention. Des normes notamment en Europe et aux États-Unis sont mises en place pour dire que dans les écoles, les milieux médicaux, les instances publiques et les entreprises, il faut prendre soin de l’air qui est respiré ».
Partenering 3.0 a terminé les finalisations technologiques de Diya One et il est maintenant à la recherche d’un partenaire stratégique pour l’industrialiser. Les discussions ont déjà commencé, sont arrivées très loin et le robot sera commercialisé mondialement en 2015. Maintenant que la réalisation industrielle de Diya One est sur les rails au niveau mondial, Ramesh Caussy est en train de s’attaquer à ce qu’il appelle son projet de vie.
« Mon grand projet en dehors de la reconnaissance et de la commercialisation est que le robot que j’ai créé serve à Maurice, participe à son développement. » De quelle manière ? « Il y a de la place ici pour la mise sur pied d’un secteur technologique. Je suis en discussion avec différents acteurs qui pensent, comme moi, que la robotique de service peut avoir une résonance forte avec Maurice, notamment avec Diya One. Il y a beaucoup de marques d’intérêt pour ce projet et j’en suis très honoré, mais je vais m’assurer que les choix stratégiques que je ferai vont permettre à une filière numérique et robotique d’émerger et de pouvoir faire des robots mais aussi d’autres types de technologies. Je pense qu’il y a un vrai potentiel ici si l’on se donne le temps nécessaire pour former les jeunes, pour que les Mauriciens aient des opportunités avec de vrais salaires au lieu d’aller chercher fortune ailleurs. »
Cela semble magnifique, mais est-ce que la main d’oeuvre qualifiée existe dans une République dont le président a récemment souligné le manque d’intérêt pour les études scientifiques ? « Il faut faire de la formation. Partenering 3.0 est composé d’une équipe avec des experts en numérique et en technologie, des pointures dans leur domaine qui peuvent former. Je pense à un institut de formation qui va permettre ce transfert de connaissances et donner aux jeunes Mauriciens l’envie de devenir de jeunes entrepreneurs dans l’économie numérique, la robotique et d’être capables de créer des produits. C’est un vrai challenge mais je crois qu’il est réalisable si on s’en donne les moyens. »
Que faut-il pour lancer cette filière scientifique à Maurice ? « Fondamentalement, il faut une vision pour la robotique, le numérique pour Maurice, il faut créer cette filière industrielle, se donner du temps. On a la chance d’avoir un accélérateur avec Diya One et on a plein de produits à créer et pour ça, on a besoin de jeunes talents mauriciens qu’on va détecter et à qui on va donner les couches de connaissances technologiques, les contenus de formation pour en faire progressivement de vrais innovateurs, des contributeurs de la richesse économique qui vont pouvoir rester à Maurice. C’est un projet passionnant. Par ailleurs, il faut mobilier les Mauriciens sur le fait que les technologies sont en train de changer le monde, c’est ce qu’on appelle l’avènement de l’économie numérique. Toutes les nations sont en train de se battre pour attirer les meilleurs talents et les meilleurs infrastructures en termes de technologie et d’innovation. On peut le faire à Maurice. »
Qu’est-ce qui pousse un expert en robotique et un patron de PME française reconnu à venir lancer une filiale à Maurice alors que plusieurs pays — surtout en Asie où la pollution de l’air est extrêmement élevée, comme dans certaines capitales européennes — à venir tenter d’implanter un projet à Maurice, qui est loin de tout dans le domaine de la science et des technologies ? « Peut-être l’influence des comics de Marvel et l’obsession de ses héros de se battre pour le bonheur et le progrès de l’humanité. Mais plus sérieusement, j’ai eu la chance d’avoir un parcours professionnel où j’ai beaucoup reçu et j’ai pu réaliser mes rêves. Je pense qu’il est temps pour moi de partager, de transmettre ce qu’on m’a donné dans le pays où je suis né. Mais rassurez-vous, le projet que je propose est réel et viable. Les autorités et des décideurs mauriciens ont montré un intérêt et le soutiennent. On est dans la bonne dynamique et il faut juste travailler pour atteindre l’objectif de créer à Maurice une filière numérique et robotique. »

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