PORTRAIT : Sarojini Seeneevassen, notre ambassadrice à Berlin

Curieux destin que celui de Sarojini Seeneevassen, ambassadrice de Maurice en Allemagne et en Autriche. Fille d’un tribun travailliste, elle revient à Maurice après ses études universitaires pour militer dans les rangs du MMM. Mère de famille, elle a dû livrer une bataille légale pour récupérer son fils, kidnappé par son mari. Biologiste marine, elle chante le blues pour arrondir ses fins de mois avant d’entreprendre des études en diplomatie qui lui permettront d’être nommée ambassadrice. Portrait d’une femme passionnée qui ne renie aucune de ses passions.
Fille aînée du grand tribun du parti travailliste, Renganaden Seeneevassen, et d’une mère originaire de Rodrigues, Sarojini a eu une enfance heureuse. « Nous habitions à Port-Louis et à cette époque il n’y avait pas les barrières sociales artificielles politiques, culturelles et communales qui existent aujourd’hui. Mes frères et moi étions amis avec tous les enfants de nos voisins que fréquentaient mes parents. » Après la mort prématurée de son père, sa mère se remarie et Sarojini fait ses études secondaires au Queen Elizabeth College en rêvant de devenir avocate, comme son père. Après son HSC, elle est acceptée dans une université britannique. Mais intéressée par les sciences, elle avait postulé pour une bourse allemande en biologie marine.
« Quand je suis arrivée en Angleterre pour mes études de droit, j’ai appris que j’avais obtenu la bourse allemande. Comme j’avais deux frères qui allaient étudier plus tard et que ma mère et mon beau-père ne roulaient pas sur l’or, il n’était pas question de refuser une bourse d’études. Je suis donc partie pour l’Allemagne. » Les premiers mois sont difficiles dans la mesure où avant d’aller à l’université l’étudiante doit apprendre l’allemand. Mais une fois l’allemand maîtrisé, tout se passe bien et Sarojini vit pleinement sa vie d’étudiante marquée en Allemagne par le grand mouvement de contestation politique né de Mai 68 en France.
Quand elle revient à Maurice, au début des années 1970 pour faire son Masters, Sarojini choque l’establishment travailliste. La fille du travailliste Renganaden Seeneevassen est politiquement à gauche et s’engage aux côtés des Mauriciens partisans du MMM et milite contre … le gouvernement travailliste ! « On me l’a fait payer cher, mes convictions politiques. Pour faire mon Masters — une recherche sur les crevettes Rosenbergi —, le gouvernement a mis à ma disposition un chambre dans le poste des garde-côtes à Trou d’Eau Douce. Mon beau-père était mort, mes deux frères faisant leurs études à l’étranger, ma mère devait compter sou par sou pour survivre. Je n’avais que Rs 25 par semaine pour vivre et payer le bus pour aller la voir à Pointe-aux-Sables. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai été graduée chômeuse longtemps avant d’avoir un job au ministère de la Pêche. » En même temps, Sarojini rejoint le Grup Kiltirel Militan dont elle devient une des vedettes aux côtés de Siven Chinien, Odile Chevreau et autre Zul Ramiah. C’est au sein de ce groupe qu’elle rencontre le ségatier Fanfan, qui lui apprendra à jouer de la ravanne. « C’est une époque extraordinaire de ma vie qui m’a permis de vivre avec la masse, de partager ses problèmes et ses espoirs. »
Plus tard, Sarojini prendra ses distances de la politique et du MMM, « quand j’ai pris conscience que, comme dans tous les partis, les calculs des opportunistes sont plus écoutés que les revendications de la base. » Elle travaille à la ferme d’aquaculture d’Albion, rencontre un Allemand, l’épouse et donne naissance à un petit garçon. Quelques années plus tard, le couple se sépare et le père kidnappe leur fils pour l’emmener en Allemagne. « J’ai dû quitter mon emploi, emprunter à gauche et à droite pour aller en Allemagne entreprendre une véritable bataille légale pour récupérer mon fils. J’ai fini par remporter cette bataille et j’ai ramené mon fils avec moi à Maurice. Je n’avais pas de job, j’ai travaillé dans le restaurant de mon frère Rajen quand c’était possible, et puis j’ai chanté à Merville avec les Blue Shadows pour pouvoir élever mon fils dans de bonnes conditions. Pour lui donner une vie équivalente à ce qu’il aurait eu en Allemagne. »
Plus tard, Sarojini envoie son fils faire ses études secondaires en Allemagne et se débrouille pour le faire venir en vacances ou aller le rejoindre à intervalles réguliers. « Je ne pouvais pas prendre un emploi fixe car il me fallait de très longs congés tous les ans. Donc, je me suis débrouillée en travaillant à mi-temps, en faisant de la peinture et en chantant. C’était difficile, je ne savais pas parfois comment j’allais faire pour payer ma location à la fin du mois mais j’ai vécu cette période, comme toutes celles de ma vie d’ailleurs, avec intensité. C’est à ce moment-là que j’ai appris comment baisser la tête pendant le passage d’un cyclone pour mieux la relever après. »
En 2000, Sarojini revient à la politique et au Parti Travailliste dont elle est la candidate au N°8. « J’ai toujours été intéressée par la politique, j’ai demandé et obtenu un ticket et je me suis lancée dans une élection, j’ai pris des coups, j’ai perdu mais j’ai beaucoup appris et j’en suis sortie plus forte, plus mûre. » En 2006, alors que le PTr est revenu au pouvoir, Sarojini se trouve dans une situation financière tellement difficile qu’elle songe à quitter le pays pour aller en Allemagne. « C’est alors qu’Arvin Boolell, qui était ministre de l’Agriculture et de la Pêche, m’a offert un poste de conseiller technique. C’était un domaine que je connaissais et j’ai accepté. Comme j’avais un revenu fixe, j’ai pu faire une chose dont je rêvais depuis longtemps : étudier la diplomatie. J’ai suivi des cours par correspondance, passé des examens, obtenu des diplômes et même une bourse. Ce qui fait que quand Arvin Boolell a été muté de l’Agriculture aux Affaires étrangères, je l’ai suivi, naturellement. »
Après les élections de 2010, Sarojini fait savoir qu’elle est intéressée par le poste d’ambassadrice de Maurice en Allemagne et finit par l’obtenir. Le terme de nominée politique que l’on accole à ce type de poste ne gêne-t-il pas ? « Non, parce que je suis une nominée politique c’est vrai, mais une nominée qualifiée pour le poste que j’occupe. J’étais qualifiée pour faire cette demande. J’avais vécu en Allemagne, je parle couramment l’allemand, j’étais qualifiée comme diplomate. Après quelques mois en Allemagne j’ai réalisé que Maurice n’ayant pas de liens historiques, culturels ou linguistiques avec l’Allemagne, l’unique terrain sur lequel il fallait travailler était celui des relations commerciales et économiques. L’Allemagne est le pays le plus puissant financièrement de l’Union européenne et je me suis focalisée sur le secteur trade and investment. J’ai créé des liens avec la Chambre de commerce et le ministère des Affaires allemand. J’ai pris du temps pour faire savoir que nous sommes également une plateforme vers l’Afrique et qu’à ce niveau nous pouvons offrir une série de services, que nous avons une ouverture intéressante sur le marché africain. Je travaille beaucoup avec le Board of Investment et des investisseurs allemands commencent à venir à Maurice par exemple pour installer des unités de manufacture de produits pour exporter vers l’Afrique. Je pense que je fais un travail convenable puisqu’en décembre dernier mon contrat a été renouvelé pour une période de deux ans. »
Peut-on dire, pour mettre la touche finale à ce portrait, que la Sarojini qui enflammait les foules avec les chansons révolutionnaires a trouvé la voie de la sagesse ? Grand éclat de rire. « Il était grand temps, non ? Le temps, justement, a fait son oeuvre. Plus on est jeune, moins on écoute, moins on prend en compte l’expérience des autres et plus on réagit, parfois trop rapidement, à partir de ses convictions. Avec le temps vient l’expérience et on apprend à mesurer ce qui est dit et à discerner entre les bonnes et les mauvaises choses. Cela dit, je ne regrette rien de que j’ai fait dans ma vie parce que tout ce que j’ai entrepris, je l’ai fait honnêtement à chaque fois. »

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