PORTRAIT : Tanzilah Nunkoo, la licenciée révoltée

Dans les années 1990, les propriétaires et directeurs de collèges privés faisaient la pluie et le beau temps, et certains d’entre eux traitaient les enseignants comme du bétail. Au nez et à la barbe de la PSSA, organisme chargé de contrôler le bon fonctionnement de ces collèges financés de fonds publics. Il semblerait que ces pratiques que l’on pensait révolus aient encore cours. C’est ce que l’on aurait tendance à penser en découvrant la manière dont la direction du collège Aleemiah a mis à la porte Tanzilah Nunkoo après dix-huit années de service. Portrait d’une licenciée qui a décidé de se battre.
Tanzilah Nunkoo a fait toute sa carrière professionnelle au collège Aleemiah. Elle est entrée dans cet établissement de Phoenix après ses examens du secondaire pour exercer comme prof de mathématiques. C’est au collège Aleemiah que Tanzilah a rencontré son époux, Tayab Nunkoo, qui était également enseignant, et c’est toujours en travaillant dans ce collège qu’elle va suivre des cours qui vont lui permettre de parfaire son expérience professionnelle et décrocher un Bachelor in Education en mathématiques.
Mariée, mère d’un petit garçon et pratiquant un métier qui la passionne : tout allait bien dans la vie de Tanzilah jusqu’à fin 2006. Cette année, la direction du collège décide de suspendre unilatéralement et sans respecter les lois du travail deux enseignants. Indigné par cette manière de faire, Tayab, le mari de Tanzilah, devient le porte-parole des suspendus et dénonce certaines pratiques de la direction du collège. Après quelques semaines de tension, la direction est obligée de réintégrer les deux enseignants. Tayab Nunkoo devient alors la bête noire de la direction, qui lui rend la vie tellement dure qu’il démissionne pour aller travailler ailleurs. Il semblerait que l’état-major ait décidé de faire payer à sa femme les griefs qu’il avait contre son mari.
« En 2007, alors que je suivais des cours à l’université de Maurice depuis une année, la direction du collège a décidé de ne plus m’accorder le release nécessaire. En dépit de ça, je me suis arrangée avec mes profs de l’université pour continuer à suivre les cours après les heures de classe et j’ai obtenu mon diplôme en 2008. » Les mesquineries continuent. Tanzilah ne peut pas garer sa voiture dans le parking du collège et on lui donne les plus mauvaises classes et les plus nombreuses heures de cours.
En 2012, elle est victime d’un punitive transfer. Alors qu’elle était Senior Teacher au département des filles, elle est rétrogradée au rang de Junior Teacher et envoyée chez les garçons. N’a-t-elle jamais protesté contre tout ça ? « Non. Je suis une femme tranquille qui n’aime pas faire des vagues. J’aimais le collège et mes élèves, et je pensais, naïvement, qu’un jour ces mauvais traitements prendraient fin, qu’on finirait par me laisser tranquille, d’autant qu’on savait que j’étais malade. »
Le cancer
À la fin de 2006, pendant les vacances de fin d’année, Tanzilah emmène sa mère faire une opération chirurgicale au Pakistan. Elle en profite pour faire un test médical complet et découvre qu’elle a un cancer du sein qui avait atteint un stade avancé. « J’avais bien remarqué que j’avais une petite grosseur, mais je pensais qu’elle disparaîtrait. Je ne m’en étais pas inquiétée. Je croyais, à l’époque, que le cancer était une maladie de vieux. Et puis, en 2006, on ne parlait pas ouvertement de cette maladie comme on le fait aujourd’hui. »
Tanzilah est opérée le lendemain de la découverte de son cancer. On lui fait une mastectomie et elle reste quelques jours en clinique avant de rentrer à Maurice. En janvier 2007, elle reprend son travail à la rentrée des classes sans prendre les congés maladies auquel elle avait droit. « Je voulais montrer à ma famille que la maladie ne m’avait pas affectée et que je pouvais continuer comme avant. C’était aussi une manière de ne pas me laisser abattre, de résister à la maladie. J’ai continué à travailler tout en faisant ma chimio une fois par semaine. »
Le fait que Tanzilah est malade ne fait pas diminuer les tracasseries de la direction à son égard, puisque c’est en 2012 qu’elle subit le punitive transfer. Tout en continuant son travail, elle se rend tous les ans au Pakistan, pendant les congés, pour son suivi médical. En 2013, son médecin se rend compte que la chimio suivant la mastectomie avait fait naître des pierres et lui prescrit des médicaments, mais il la prévient que si les pierres ne disparaissent pas, il faudrait procéder à une petite intervention pour les enlever.
Au début du mois de mars 2014, pour la première fois de sa carrière professionnelle, elle demande un vacation leave auquel elle a droit pour aller faire l’opération. N’ayant pas reçu de réponse au 2 avril, elle pose la question à la rectrice, qui dit ne pas être au courant de la demande, mais promet de s’en occuper. Dans l’après-midi, Tanzilah reçoit une lettre de la direction l’informant que sa demande de congé ne sera pas approuvée aussi longtemps qu’elle ne sera pas assortie de certificats médicaux. Tanzilah obtient un certificat médical de l’hôpital Victoria, plus d’autres documents de son médecin traitant au Pakistan confirmant l’opération. Elle part pour le Pakistan le 8 avril, fait des examens avant d’être opérée. L’opération se passe bien et son médecin lui prescrit deux semaines de repos pour se remettre. Tous les documents médicaux sont envoyés à la direction du collège Aleemiah par le mari de Tanzilah.
Le licenciement
Le 23 avril, alors qu’elle se remet des séquelles de son opération au Pakistan, une lettre arrive à son domicile. Datée du 21, elle émane de la direction du collège qui accuse réception des certificats médicaux mais s’étonne que Tanzilah n’ait pas repris son travail pour la rentrée des classes. Elle lui intime l’ordre de reprendre son travail le 24 avril, faute de quoi « it will be deemed that you have abandoned your post on your own accord and your post will be declared vacant. »
Tayab Nunkoo appelle le manager pour lui demander des explications et lui rappeler que sa femme est en traitement médical au Pakistan. Le manager lui répond qu’il n’a aucune explication à lui donner sur cette étrange manière de faire et qu’il a reçu des instructions du conseil d’administration du collège qu’il se contente d’exécuter. Tayab Nunkoo envoie une autre lettre avec un nouveau certificat médical pour dire que sa femme est encore en traitement au Pakistan et prend un sick leave, selon les termes de la loi.
Le 25 avril, M. Nunkoo reçoit une lettre du collège qui l’informe que sa femme n’ayant pas repris le travail le 24 est renvoyée. Tanzilah rentre à Maurice le dimanche suivant et le lendemain, sur les conseils de son syndicat, se présente au collège où on essaye de lui interdire l’accès. Elle va voir le rectrice qui l’informe qu’elle se contente de mettre en application les instructions reçues de la direction et l’informe que « you are no longer part of the Aleemiah College. » Tanzilah n’en revient pas. « J’ai été renvoyée sans que, comme la loi l’indique, je ne sache la raison de mon renvoi et que j’ai eu le temps et les moyens de me défendre. Techniquement, j’ai été renvoyée parce que je ne suis pas présentée au collège alors que la direction savait que j’étais en traitement médical au Pakistan. »
Tanzilah va alors faire une déclaration à la police et au bureau du travail où une préposée lui déclare : « Madam, si ou employeur napa kontan ou figir, li kapav mett ou déor ! » Bien que la remarque lui semble déplacée, bien qu’elle vienne de subir une opération, Tanzilah entame des démarches pour faire respecter ses droits. Est-ce que ses collègues ont réagi face à cette manière de faire ? « Certains ont téléphoné après les heures de classe mais n’osent pas prendre position, de crainte de perdre leur travail. Malgré mes dix-huit ans de service, j’ai été renvoyée du jour au lendemain au mépris de toutes les lois. Cela fait réfléchir. Un élève est allé demander où était sa prof de maths à la direction. La rectrice l’a menacé, l’a suspendu pour un mois avant de faire une déclaration selon laquelle l’élève l’avait agressée. Après un mois, cet élève, qui doit prendre part aux examens de SC cette année, a été renvoyé. D’autres élèves ont été menacés, obligés de signer une lettre. Les parents ont protesté, envoyé une pétition aux autorités, qui n’ont pas réagi. »
Le combat
Après son renvoi, Tanzilah va au siège de la PSSA, rencontre son directeur, qui lui déclare que ce n’est pas la première fois que la direction du collège Aleemiah est en violation de la loi. Après l’étude des différentes lettres, le directeur de la PSSA déclare que la direction du collège avait agi dans l’illégalité et qu’il prendrait les mesures nécessaires pour qu’elle soit réinstallée à son poste. Le 30 avril, Tanzilah essaye de voir le ministre de l’Éducation mais rencontre sa secrétaire qui, après avoir pris connaissance du dossier, arrive à la même conclusion que le directeur de la PSSA : la direction du collège Alemiah a agi dans l’illégalité et doit la reprendre comme enseignante. On donne l’assurance à Tanzilah que tout rentrerait dans l’ordre et lui demande de ne pas aller à la rencontre des médias et on lui promet qu’elle recevrait bientôt une communication du ministère.
Plus d’un mois après, Tanzilah n’a reçu aucune lettre, aucun signe de vie des institutions censées gérer le système d’éducation secondaire à Maurice. Les syndicats, beaucoup plus réactifs, ont envoyé des correspondances au collège et à la PSSA pour souligner le nombre de règlements du Labour Act violés dans le licenciement de Tanzilah Nunkoo. Ni le collège ni la PSSA n’ont donné suite à ces dénonciations. Les syndicats pensaient que l’on pouvait trouver une solution à travers la négociation et les différentes étapes prévues par la loi. Toutes les institutions ont été contactées et rien ne s’est passé.
Les questions
Après avoir attendu plus d’un mois, Tanzilah Nunkoo a décidé de se battre, d’entreprendre toutes les actions nécessaires — y compris des poursuites légales — pour dénoncer l’injustice dont elle a été victime et obtenir réparation. « Je suis restée tranquille parce que, quelque part, j’avais honte d’avoir été renvoyée, même si je n’étais pas en tort. Je suis restée tranquille parce que je suis encore malade. Mais je ne peux plus rester tranquille, d’autant que les syndicats vont organiser des manifestations devant le collège et la PSSA le 11 juin pour protester contre cette situation. »
Le licenciement de Tanzilah Nunkoo et le silence assourdissant des autorités dites responsables débouchent sur deux questions :
— la direction du collège Aleemiah est-il au-dessus des lois ?
— le fait que le président du conseil d’administration du collège Aleemiah soit l’organisateur de la cérémonie annuelle du Yaum-Un-Nabi à Phoenix, à laquelle assiste le gratin de la classe politique, lui permet-il de faire ce qu’il veut dans son collège ?

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