PORTRAIT PAR TRAITS : Chloé peint…

Lorsque l’écume du jour se dissipe à la brune, Chloé peint. La nuit éclaire les yeux de Ganesh, un de ses sujets favoris. Elle l’imagine joyeux, comme elle. Elle le veut à l’écoute du Petit Prince. Ou est-ce l’inverse ? Cela n’a aucune espèce d’importance. Ce qui compte, à ces heures indues où ses pinceaux dévoilent les contours de ses rêves, c’est la teinte d’humour que ses beaux yeux noisette posent sur le tableau. Ganesh ne broie pas du noir, cette couleur qui aplatit tout, qui absorbe toute la lumière. Chloé n’aime pas les gens sérieux, les grandes personnes qui ont un avis sur tout, les grandes personnes sérieuses qui intellectualisent l’art et la manière de le dire. Ses études en Critical Fine Art Practice à Brighton ont ouvert ses yeux sur ce monde si particulier. Elle le dit sans prétention, avec cette candeur désarmante qui ajoute à son charme.
Ganesh joue du sitar, si tard dans la nuit. Chloé aime les mots qui résonnent et ceux qui déraisonnent. Ceux qui portent en eux des images, qui la font voyager vers l’enfance, retrouver la saveur des fruits rouges cueillis au printemps dans le jardin des grands-parents. Ceux qui la font se recroqueviller pour mieux s’éveiller. Elle aime les jeux de mots et a choisi d’intituler sa première exposition Colour pun. Les grandes personnes diront que cela ne fait pas très sérieux. Mais Chloé n’en a cure : cela fait longtemps qu’elle a appris à apprivoiser l’humour sur la palette des convenances.
Aux premières lueurs du jour, le regard de Ganesh pétille. Chloé peut fermer les yeux un instant et se revoir, gamine espiègle écrivant sur la table en bois de ses parents, jolie bouille esquissant ses premiers gribouillis sur les murs de la maison. C’est une enfant taciturne, mais qui a l’oeil sur tout. À la maternelle, en France où elle est née, la maîtresse s’inquiète du choix de la petite : elle dessine en noir et blanc. Sont-ce déjà des croquis pour croquer le monde qui l’entoure ? Allez savoir ! Les couleurs et les colères de la vie attendront… Les formes et les couleurs, Chloé les arpégera au soleil avec Vaco Baissac, au pays natal de son père.
À l’aube de sa vie, un deuxième prénom : Medha. Cinq lettres comme dans Chloé, comme dans métis. À l’adolescence, dans une école en Angleterre, elle comprend sa différence et l’indifférence des autres. L’atelier d’art de l’établissement est son refuge. Elle y trouve ses repères, entre l’art et la physique. Le mélange des couleurs se moque de la pâleur des sentiments. L’espace et les perspectives la captivent, l’architecture l’attire. Mais elle ne cessera d’en pincer pour ses pinceaux.
Lorsque l’aurore naissante révèle ses premières nuances, Chloé peint. Un diptyque à l’huile où Ganesh est dans le champ de vision d’un ordinateur portable. Où des objets de son quotidien s’expriment à sa place. Clin d’oeil à la fameuse chaise de Van Gogh, sans asseoir ses références. Si on insiste, elle cite René Magritte et sa Chambre d’écoute, Edward Hopper et son Nighthawks. De quoi croquer la pomme et boire un verre au bar, tard dans la nuit…
Le jour se lève. Le Petit Prince cherche toujours la bonne planète. Celle où les hommes ne sont pas encrassés de préjugés, engoncés dans la bêtise et enfermés dans l’ignorance. Un monde meilleur où le mot partage se conjugue au présent de l’infini. Ce n’est pas de la naïveté. C’est le voeu d’une jeune femme, pieds nus, qui porte sur le bras un tatouage où le signe “aum” se transforme en papillon. La sérénité pour mieux s’envoler…
Lorsque le jour nouveau éclaire les yeux de Chloé, Ganesh sourit au Petit Prince. La nuit a été radieuse. Les tubes de peinture à l’huile dansent la sarabande des saisons. Chloé le sait désormais : les couleurs de l’envie sont celles qui résistent au temps…

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