Pour une démocratie plus participative et redistributive

REYNOLDS MICHEL

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Après avoir placé la question de la justice sociale au centre du débat politique, le mouvement des « Gilets jaunes » l’a associée, assez rapidement, à l’aspiration à une démocratie plus participative avec comme mot d’ordre le RIC (Référendum d’initiative citoyenne) en vue de « rendre au peuple son rôle souverain ». Une colère devant la hausse des prix des carburants et des prélèvements obligatoires qui s’est muée en protestation sociale (contre l’effritement du pouvoir d’achat, l’injustice fiscale et les inégalités) et en revendication politique à travers la mise en place d’un RIC. Mais comment expliquer le passage d’une aspiration à plus de justice sociale à une aspiration à plus de démocratie à travers des procédures de consultation et de contrôle des élus ? Ou encore, qu’est-ce qui explique l’émergence de ce plus de démocratie qui se veut à la fois plus participative (implication citoyenne), délibérative (décision collective) et redistributive (justice sociale) ?

Une crise de la représentation

Selon l’enquête réalisée par le Centre d’étude de la vie politique (Cevipof) au mois de décembre dernier (du 13 au 24 décembre 2018), jamais la défiance des Français et des Françaises envers les institutions politiques n’a jamais été aussi forte depuis le lancement de l’enquête, en 2009. Pour 70% des Français et Françaises la démocratie ne fonctionne pas bien et 85% estiment que les responsables politiques se désintéressent de l’opinion de leurs administrés. Les partis politiques ne recueillent que 9% de confiance. Dans ce contexte de morosité, de lassitude et de méfiance du politique, le vote aux élections est de moins en moins perçu comme un bon moyen pour peser sur les décisions (55%, -6 points sur la décennie), alors que manifester dans la rue est perçu comme un moyen d’action efficace (42%, +16 points). Dégoût du politique, rejet des politiques ‒ seuls les maires tirent leur épingle du jeu avec 58% de niveau de confiance, votes blancs et abstention, votes extrémistes… assistons-nous à un rejet de la démocratie ? Comme, selon la même enquête, 89% des personnes interrogées estiment que le système politique démocratique est une bonne façon de gouverner, la défiance, de toute évidence, se situe ailleurs. Est-ce qu’elle ne se situe pas plutôt dans le système représentatif, dans ce qu’on appelle la démocratie représentative ? Voyons voir.

Plutôt que la démocratie directe ‒l’implication directe des électeurs dans le processus de prise de décision de l’État, les démocraties modernes ont fait le choix de fonder leur légitimité sur le système représentatif, c’est-à-dire du consentement du peuple à être gouverné par des représentants librement désignés par des élections. Ce système, qui permet de légitimer le gouvernement du grand nombre par un petit nombre de personnes, en est venu à incarner l’essence de la démocratie. « On n’a pas trouvé mieux pour donner une parole et une dignité égales à tous les membres de la société », écrit la sociologue Dominique Schnapper.

Mais force est de constater que le système représentatif ne se porte pas très bien (voir ci-dessus l’enquête de Cevipof). La défiance ne vise pas seulement les acteurs politiques, mais également les organisations et institutions politiques qui incarnent le pouvoir ou tout ce qui s’en rapproche (partis politiques, syndicats, patronats, médias, gouvernement, Assemblée nationale, Sénat, institution  présidentielle).

Une exigence de démocratie participative et délibérative

Parmi les causes majeures, nous relevons l’insuffisance d’écoute de la société par le système politique et la confiscation de la démocratie et du pouvoir par les élites. Les citoyens ont le sentiment qu’ils ne sont pas écoutés, qu’ils ne sont pas adéquatement représentés par les personnes élues, qu’ils n’ont plus de prise sur le cours des choses et que le système les a transformés en simples « spectateurs-consommateurs »  de la politique spectacle. Les décisions se prennent dans le secret des cabinets ministériels avec des experts et des hommes proches du pouvoir loin de la publicité des débats. L’exécutif décide de tout et le Parlement enregistre, obéissant à une logique partisane guidée par le soutien ou la critique du gouvernement. Cette situation entraîne une défiance des institutions politiques et du système représentatif et une remise en cause de leur légitimité en tant que défenseurs uniques de l’intérêt général.

C’est dans ce contexte de crise de la démocratie représentative que des citoyens, acteurs de la société civile ou du monde académique et élus, proposent et mettent, de temps en temps, en œuvre de nouvelles formes d’interventions citoyennes à vocation consultative et quelquefois délibérative et décisionnelle en complément de la démocratie représentative. L’idée de mettre la participation directe des citoyens au cœur de l’élaboration et des décisions politiques s’impose de plus en plus. Cette  idée, cette volonté à une reprise en main par les citoyens de leur destin, à plus de pouvoir de décisions, est clairement exprimée aujourd’hui par les « Gilets Jaunes »; « Reprenons le pouvoir », pouvait-on lire sur une pancarte d’un gilet jaune.  En effet, « c’est par la démultiplication des formes d’expression des citoyens que l’on répondra à la crise de la représentation », dit justement l’historien Pierre Rosanvallon.

Mais ce que les citoyens veulent aujourd’hui, c’est être au cœur de l’élaboration des politiques. Leur plus de démocratie va donc plus loin qu’une participation citoyenne de type descendante, « top-down », où les pouvoirs, comme c’est le cas actuellement avec le « grand débat national », ouvrent des espaces de dialogue et d’explication, dans une logique de l’offre. Ils ne veulent plus se contenter de glisser un bulletin dans l’urne de temps et temps et puis se taire pendant cinq ou sept ans. Ils sont en quête d’une participation citoyenne de type ascendante, « bottom-up », fondée sur la demande, qui leur donne la possibilité de contrôler le pouvoir des élus et au besoin de les révoquer. Ils souhaitent, par exemple, la mise en place des assemblées citoyennes ‒des citoyens tirés au sort pour une année ‒disposant d’un pouvoir de veto sur les décisions des élus, veto débouchant sur un référendum populaire.

Pour conclure

Pour résoudre la crise de la représentation et faire place à une plus grande participation citoyenne et à une horizontalité, il est nécessaire de promouvoir de nouvelles voies de démocratisation. En ce sens, la démocratie participative et délibérative qui se fonde sur une citoyenneté active, c’est-à-dire sur la participation directe aux décisions politiques, a toute sa place dans une démocratie qui se respecte. Et ce d’autant plus que les pratiques et procédures qu’elle propose pour dépasser les insuffisances de la démocratie représentative n’ont pas pour but de remplacer ou d’abolir les institutions représentatives. Elle se pose en complément de la démocratie électorale. De plus, en faisant entendre la voix des classes populaires, la démocratie participative et délibérative postule pour une meilleure prise en compte des inégalités sociales qui ne cessent de croître, et donc une meilleure justice sociale. Il convient donc de développer, aux côtés des institutions de la démocratie représentative, des structures et procédures permettant l’épanouissement de la démocratie participative et délibérative. Mais  toute la question est de trouver la bonne articulation entre démocratie représentative et démocratie participative et délibérative.

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