Pradeep Jeeha : «Le temps des koz kozé avec le PTr est terminé»

Notre invité de ce dimanche est Pradeep Jeeha, politicien et membre du Bureau politique du Mouvement Militant Mauricien (MMM). Dans l’interview qu’il nous a accordée, jeudi, il passe en revue les sujets d’actualité et nous propose son analyse de la situation politique.
Depuis quand faites-vous partie du MMM, Pradeep Jeeha?
— Depuis 1975, ce qui ne plaisait pas à mes parents. J’étais alors collégien et j’ai participé à la grève des étudiants. Puis en 1976, j’ai travaillé pour les élections générales et en 1982, je faisais partie de la branche du MMM de Plaine Magnien et je suis allé ratifier l’alliance MMM/PSM au collège New Devton à Beau-Bassin où se réunissait le Comité central du parti. Puis j’ai commencé à travailler à Maurice dans le textile et, par la suite, je suis allé faire des études de comptabilité en Grande-Bretagne jusqu’en 1992. Quand je suis rentré en 1993, il y a eu la cassure.
Le MMM a connu plusieurs cassures avec ses alliés au cours de son histoire…
— Moi je vous parle de la cassure de 1993 au sein du MMM au cours de laquelle certains avaient voulu s’approprier le nom et le symbole du parti en expulsant Paul Bérenger. Ils voulaient rester avec Anerood Jugnauth au gouvernement tout en gardant la parti. Paul Bérenger a dû aller devant la justice pour reprendre le parti dont il avait été un des fondateurs. J’ai réintégré le MMM à ce moment et j’ai travaillé à la circonscription no. 7 où je devais me mesurer à Anerood Jugnauth, puis on m’a envoyé au no. 6 où j’ai été élu avec l’alliance PTr/MMM de 1995; j’ai été nommé junior minister. Il y a eu la cassure avec le PTr, puis une nouvelle alliance en 2000 avec le MSM qui a remporté les élections et j’ai été nommé ministre de l’Informatique.
Vous êtes donc un vieux de la vieille du MMM mais curieusement, vous avez une mauvaise réputation ou, plus précisément, une image controversée au sein du parti. Qu’est-ce qui la provoque?
— Je crois que je suis un peu outspoken et c’est maintenant que je réalise qu’en politique, comme dans la vie, d’ailleurs, la franchise n’est pas nécessairement perçue comme une valeur correcte.
Si vous êtes dans la politique depuis l’âge de 16 ans et que c’est seulement maintenant vous comprenez cela, c’est que vous êtes un very slow learner!
— C’est une manière de voir les choses. Mais je suis conscient de l’existence de cette image controversée qui résulte d’une mauvaise perception, que je ne peux pas combattre.
Est-ce que cette image brouillée ne découle pas de votre fameuse déclaration selon laquelle si le MMM va seul aux élections, il doit obligatoirement proposer un hindou, plus précisément un vaish, comme candidat au poste de Premier ministre? Déclaration qui colle avec vous depuis.
— C’est vrai que cette déclaration colle avec moi. Cela s’est passé lors d’une interview que j’ai accordée à une radio privée après la partielle du no. 8 en 2009.  Des élections que nous avons perdues. J’ai dit que si le MMM allait seul aux élections générales, il lui faudrait un candidat hindou au poste de PM. Le journaliste a ajouté le mot vaish et on l’a inclus dans la phrase qui colle avec moi depuis. On est persuadé que j’ai dit la totalité de la phrase alors que c’est le journaliste qui a parlé de vaish.
Nous savons tous à Maurice qu’il existe une règle politique non écrite, mais respectée, qui affirme que le poste de PM doit revenir à un vaish
— Cette règle automatique a tenu jusqu’à l’an 2000 où nous avons connu une élection révolutionnaire au cours de laquelle une majorité de Mauriciens a décidé  que Paul Bérenger pouvait devenir PM, et cela s’est réalisé.
Vous pensez que, depuis, le tabou politique autour de cette question n’existe plus?
— Je suis convaincu qu’aujourd’hui, la majorité des Mauriciens, surtout les jeunes, veulent d’un PM qui soit compétent, respectable, sérieux, qui aime son pays et qui a les capacités pour le diriger.
Est-ce qu’il n’y a pas des membres de la caste des vaish qui pensent que le PM de Maurice ne peut sortir que de leurs rangs?
— Je ne suis pas de ceux qui croient que c’est la caste qui fait le PM. Ce sont la compétence, le sens de la vision, l’engagement politique et la confiance de son parti politique qui comptent. Mais il faut surtout qu’il ait un projet de société cohérent à proposer aux Mauriciens.
Est-ce que les partis politiques mauriciens n’ont pas intégré, pour ne pas dire adopté, la règle non écrite qui veut que le PM ne peut être qu’un vaish?
— Je vous l’ai déja dit: cette convention non écrite a pris fin avec les élections de 2000 où une grosse majorité de Mauriciens a plébiscité le programme du MMM/MSM dont une clause – écrite, celle-là – spécifiait que Paul Bérenger allait  occuper le poste de PM pendant deux ans et demi. Et cette clause pebiscitée par les Mauriciens a été respectée. Donc la règle non écrite n’a plus de sens.
Vous vous rendez compte que suite à ces déclarations, vous ne serez plus invité dans certaines fonctions “socioculturelles”?
— J’ai aujourd’hui 53 ans et je n’ai jamais fait partie d’une association socioculturelle hindoue. Je ne vais pas dans ce genre de fonctions et je n’ai pas l’intention de commencer maintenant.
Quand vous faites la fameuse déclaration après la partielle au no. 8, c’est votre propre candidature que vous étiez en train de proposer à la tête du MMM pour les prochaines élections en solo?
— Non, pas du tout. J’étais convaincu, à ce moment-là, qu’entre deux élections, il n’y avait que des Mauriciens à Maurice, le fameux enn sel lepep enn sel nasyon. Mais à l’approche des élections générales, quand le MMM proposait Paul Bérenger au poste de PM, tout basculait. À partir de ce moment, toutes sortes de campagnes étaient organisées autour et contre Bérenger. Il est plus facile pour certains de mener campagne contre Bérenger que pour un programme électoral. Je pensais que la meilleure manière de contourner le problème était de proposer un hindou au poste de PM. Mais cela dit, je crois que depuis l’an 2000, les mentalités ont changé.
Mais les résultats des élections de 2005 et de 2010 ont prouvé le contraire, y compris avec les votes des jeunes. C’est Navin Ramgoolam qui a remporté ces élections.
— Je ne suis pas d’accord avec vous. Je pense que les jeunes ont des votes partagés sur des candidats et des partis, mais que les électeurs, surtout les plus âgés, subissent des pressions occultes. Ce qu’il faut souligner c’est qu’avec toutes les campagnes menées par le PTr et ses différents alliés en 2005 et 2010, ils n’ont fait que 49% des votes alors que le MMM seul fait 44%.
Donc, le MMM doit aller seul aux élections avec un hindou comme candidat au poste de PM: vous!
— Je suis en train de vous dire que les jeunes ne votent pas bloc contre le MMM.
Moi je suis en train de vous dire que suite à ce raisonnement, le MMM devrait aller seul aux prochaines élections avec
— Le MMM ira aux prochaines élections avec son allié, le MSM, dans le cadre du Remake. C’est une certitude, donc, laissons de côté les hypothèses.
Comment se porte le MMM aujourd’hui ?
— Nous continuons notre action dans l’opposition, puisque nous ne travaillons pas que quand nous sommes au gouvernement. Nous continuons à occuper le terrain et à avoir voix au chapitre sur les main issues.
Mais la grève de la CNT de lundi dernier a été faite par les travailleurs et les syndicats sans la participation des politiques.
— Le MMM agit dans les instances où il peut mettre la pression sur le gouvernement, c’est-à-dire au Parlement. Nous sommes avec les travailleurs et nous laissons les syndicalistes faire leur travail. Nous agissons là où nous pouvons faire avancer les choses. En l’occurrence, en posant la PNQ qui a poussé le ministre Baichoo dans ses derniers retranchements au Parlement. Ce qui a permis aux travailleurs de mieux organiser leur action.
Est-ce que la maladie de Paul Bérenger a cimenté le MMM autour de lui ou est-ce que les fissures au sein du parti se sont agrandies?
— Une fois passé le choc de la nouvelle, le parti a continué à fonctionner sous le nouveau leadership. Vous savez que les nouvelles de Paul sont bonnes et qu’il semble que son traitement a réussi. Par ailleurs, il n’y a pas de fissures au sein du MMM, comme vous le dites.
Vous êtes une famille unie au MMM où tout le monde s’aime et personne ne jalouse personne. C’est magnifique !
— Même dans le meilleur des mondes, la perfection n’existe pas. Le MMM, c’est une famille avec des membres qui peuvent avoir des différends avec d’autres. Nous avons une liberté de fonctionnement et s’il y a des problèmes, nous avons les instances que sont le Comité central et le Bureau politique, pour les étudier et les régler.
Que se passe t-il entre les membres de la famille de la régionale du no. 4? À écouter certaines radios, il se passerait toujours quelque chose dans cette régionale.
— On pourrait croire que certaines radios ont un micro installé dans cette régionale! (rires). Il y a eu quelques problèmes qui ont été rapportés dans la presse, mais aujourd’hui la régionale fonctionne bien et tout le monde travaille ensemble
Même Pradeep Jeeha et Joe Lejongard? On a laissé entendre que le problème du no. 4 était une dissension entre vous deux.
— Joe est un camarade de parti, il a sa manière de faire les choses, moi la mienne. Il y a parfois des différences d’opinion, mais une fois les problèmes réglés, on tourne la page et on continue à travailler. Ce qui est le cas aujourd’hui. Vous savez, la tolérance aide à guérir beaucoup de choses.
La tolérance envers qui?
— Envers tout le monde.
Comment se porte le Remake 2000?
— Il est en excellente santé.
Vous avez dit, dans le passé, que Pravind Jugnauth avait dit tout et son contraire sur le MMM.
— Vous savez, la politique n’est pas statique et ses données changent. Les déclarations des politiciens sont faites dans un contexte précis. Je vous donne un exemple: qu’est-ce que Navin Ramgoolam n’a pas dit sur Ashock Jugnauth – quand le MMM l’a proposé comme candidat en 2008 – qu’il était immoral, avait donné des bribes électoraux? Et c’est ce même Ashok Jugnauth qu’il a accueilli à son meeting du 1er-Mai en 2012.
Vous êtes conscients du fait que les Mauriciens ont du mal à suivre les politiciens et, surtout, de savoir quand ils sont sincères dans leurs déclarations?
— Avant de vous répondre, laissez-moi vous dire ceci: quand quelqu’un attaque le leader de mon parti, il est de mon devoir de défendre mon parti et mon leader. Et puis, comme je vous le disais, le situation politique change. Le Remake a été fait pour répondre à une situation politique. Le pays se trouve dans une période de pourissement avec une opacité dans la gestion des affaires de l’État, le règne des passe-droits et de la corruption. Il y a, en plus, un sentiment d’impunité de nos gouvernants qui ne rendent pas de comptes, agissent comme les propriétaires du pays. Voulez-vous un rappel de la liste des derniers scandales: MITD, Jing Fei, Betamax, les innodations, les accidents de la route, le téléférique, les affaires Varma, Soornak. Mais le climat est en train de changer: les travailleurs du port et de la CNT ont montré au gouvernement que les Mauriciens ne continueront pas à se laisser faire sans réagir.
Vous avez parlé du téléférique. Un ancien conseiller de Bérenger a révélé que le gouvernement MSM/MMM était en faveur du projet des Seetaram et que des instructions avaient été données dans ce sens.
— J’étais ministre à cette époque et je peux vous dire que ce genre de choses n’existaient pas. Il y a eu, peut-être, des gens qui ont voulu faire des pressions, mais pas au niveau du gouvernement. Le gouvernement de l’époque fonctionnait dans la transparence, pas comme Ramgoolam qui a donné Jing Fei à des conditions qui sont secrètes en jetant dehors des dizaines de petits planteurs.
À vous entendre, à entendre votre ton, surtout, Ramgoolam ne peut être, en aucun cas, un allié de votre parti?
— On ne peut s’allier avec le PTr de Ramgoolam qui gère Maurice de la manière que l’on sait depuis huit ans.
Mais on dirait que la saison des koz kozé est sur le point de revenir depuis qu’on commence à parler de la réforme électorale. À chaque fois que Navin Ramgoolam se trouve en difficulté, il agite l’appât réforme électorale et Paul Bérenger mord à l’hameçon. C’est un scénario connu.
— Le temps des koz kozé est terminé. Si Ramgoolam pensait pouvoir calmer le jeu en évoquant un white paper sur la réforme électorale, pendant les vacances parlementaires, il se trompe lourdement. Je vous le répète: le temps des koz kozé est bel et bien terminé. On ne peut pas causer avec Ramgoolam, il cause mais refuse d’écouter. Si Ramgoolam est sérieux sur la réforme électorale, ce n’est pas un white paper qu’il doit présenter, mais un projet de loi. Il y a suffisamment de rapports et de white papers sur ce sujet, la prochaine étape est un projet de loi sur la table du Parlement.
Il semblerait que les attaques entre le PTr et le MSM aient diminué d’intensité depuis quelque temps. Comment faut-il interpréter cette espèce d’accalmie?
— Ce n’est qu’une opération de spin doctoring du PTr. Il est en perte de vitesse et en perte de terrain, et lance des opérations pour faire croire à ses agents que des négociations d’alliance sont en cours avec le MMM ou le MSM. Ce n’est pas du tout le cas. Ce ne sont que des opérations de communication.
Il n’y a pas de koz kozé PTr/ MSM?
— Je ne peux pas répondre à cette question à la place des dirigeants du MSM. Mais je sais que le PTr lance des rumeurs pour essayer de créer de la confusion au niveau politique et faire un peu oublier son bilan. Navin Ramgoolam a mené tous les gens en bateau dans ce pays. Aujourd’hui, dans son alliance de l’Avenir, il ne reste que le PMSD – et encore, il lui volé Sik Yuen – et trois ex-MSM. Je crois que les jours du PTr au pouvoir sont comptés et le Remake se dirige vers une victoire.
À écouter les dirigeants du MMM, à chaque fois qu’ils font une alliance, ils vont vers la victoire.
— Mais c’est une réalité: à chaque fois que le MMM a fait alliance avec un grand parti, le PTr ou le MSM, cette alliance a remporté la victoire aux élections.
Abordons maintenant la question de succession au MMM. Vous avez été un des premiers à dire qu’elle devait être assurée par Emmanuel Bérenger. Cette possibilité a été évoquée avec insistance, ces derniers temps. Quel est votre avis sur la question?
— Emmanuel est un garçon intelligent et capable. Entrer ou non dans la politique active est une décision qui lui appartient. Si demain, il se décide à le faire, il sera le bienvenu au MMM. S’il le désire. Ce n’est pas parce qu’il est le fils de Paul Bénenger qu’on doit lui fermer la porte de la politique.
Oui, mais un des thèmes de campagne du MMM depuis des années c’est la dénonciation des dynasties politiques. Est-ce que votre parti peut faire ce qu’il a toujours dénoncé?
— Ce n’est pas parce qu’Emmanuel Bérenger a le patronyme que l’on sait qu’il doit être exclu de la politique active. C’est quelqu’un de compétent qui suit la politique locale mieux que beaucoup d’observateurs politiques. Il est assez engagé dans le parti au moment des élections. Personne ne dit qu’Emmanuel viendra prendre la place de son père. On ne pratique pas ce genre de choses au MMM. La question de succession au leadership au MMM n’est pas posée.
Quand elle se posera, est-ce que vous serez candidat?
— Valeur du jour, c’est question est trop hypothétique pour que j’y réponde.
Vous êtes au MMM depuis l’âge de 17 ans, vous avez été des grands combats, vous avez occupé une place de choix dans la hiérarchie. Il ne faut pas avoir honte d’avoir de l’ambition.
— Certes, mais la question ne se pose pas aujourd’hui. Et il n’y a pas que moi. Il y a au sein du MMM d’autres camarades qui peuvent prétendre à ce poste.
Vous n’êtes pas intéressé?
— Je vous répète que la question ne se pose pas pour le moment.
Puisque vous refusez de parler de la succession du leader, parlons de l’avenir du parti. Comment le voyez-vous?
— Je vois l’avenir du MMM brillant. Nous avons su garder une rigueur, une fraîcheur.
Excusez-moi de vous interrompre mais quand je vois les personnes qui entourent le leader du MMM, lors de sa conférence de presse du samedi, à la télévision, ce n’est pas le mot fraîcheur qui me vient à l’esprit!
— Que diriez-vous si vous voyiez à la télévision les têtes pensantes du PTr comme Raschid Beebeejaun, Abou Kasenally, Ryan Hawaldar ou même Anil Baichoo entourant Navin Ramgoolam? Vous croyez qu’ils sont plus frais? Ceci étant, les dirigeants du MMM mènent la lutte depuis des années et sont secondés par des jeunes qui prendront la relève. Ne vous en faites pas pour les jeunes, ils savent quel parti a toujours défendu leurs intérêts et continue à le faire. Ils savent sous quel gouvernement les gradués ne trouvent pas d’emplois, alors qu’une militante politique sans diplôme est employée par le ministère de l’Éducation, ce que le ministre est venu confirmer au  Parlement. C’est ce sentiment d’injustice qui prévaut dans le pays qui me fait dire que l’avenir appartient au MMM, avec les jeunes.
Et le MSM dans tout ça?
— Nous irons ensemble aux prochaines élections générales avec le MSM, c’est une chose certaine, c’est une réalité politique. La preuve de la solidité de cette réalité c’est que le PTr essaye de tout faire pour casser le Remake que ses ténors disent être mort et enterré. Tout comme un certain Navin Ramgoolam avait déclaré que son objectif était de finir le MMM qui est – et il le sait – plus fort que jamais.
Donc, l’avenir du MMM s’annonce, selon vous en tout cas, brillant. Et quel est votre avenir politique à vous, Pradeep Jeeha?
— Je vais rester au sein du MMM.
On ne réussira pas à vous faire quitter le parti?
— Pourquoi et qui voudrait le faire? Je suis dans mon parti, dans ma famille militante, prêt à servir où on me demandera de le faire. Je n’ai jamais rien demandé, c’est le parti qui m’a tout donné. J’ai été là dans les bons jours et dans les creux de la vague, je suis là aujourd’hui et n’ai aucune intention de m’en aller.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -