PRISONS : Deux détenus de Petit-Verger qualifiés pour un Bsc en Management

Jeudi, en présence du ministre de l’Éducation tertiaire, Rajesh Jeetah, du directeur et de la Chairperson de l’Open University – respectivement le Dr K. Sukon et Aisha Jeewah –, deux détenus, en l’occurrence Jerry Lai Cheong King et Eshan Dotip, qui retrouveront la liberté d’ici trois ans, se sont vus remettre leur bourse d’étude offerte par l’Open University. Une grande première dans l’histoire de la prison à Maurice car, à ce jour, si les détenus bénéficient de formations diverses – académiques et théoriques –, les cours de niveau universitaire n’étaient en revanche pas à leur portée. Jerry Lai Cheong King et Eshan Dotip seront les pionniers dans cette nouvelle aventure vers la réhabilitation et la réinsertion des détenus. Rencontre…
C’est dans leurs plus beaux habits qu’ils étaient présents dans la salle de la Training School de la prison de Beau-Bassin, où s’est tenue la cérémonie organisée jeudi matin. Jerry Lai Cheong King et Eshan Dotip étaient en chemises à manches longues, cravates et pantalons, sertis de chaussures stylées et bien cirées : la tenue « classe » des grandes occasions. Ils ne pouvaient cacher la fierté de leur regard en entendant leurs noms pour venir recevoir, des mains du ministre Jeetah, leur study kit, tablette informatique et littératures annexes, qui les aideront à entamer leurs cours de Bsc en Management via le programme de formation à distance de l’Open University. Un grand moment pour les deux détenus, quarantenaires, de même que pour leurs proches et familles, qui avaient été conviés à l’événement, présents évidemment dans la salle.
Husna, l’épouse de Jerry Lai Cheong King, en profite pour renouveler sa confiance en celui avec qui elle a partagé 15 ans de sa vie. « Je sais que c’est un battant, avoue cette mère de famille, qui ne cache pas que l’absence de son mari à la maison lui pèse. Il a toujours eu en lui cette persévérance et je sais qu’il tiendra bon. Il ira jusqu’au bout de cette formation et, comme il en caresse le rêve, il se lancera dans un business. J’ai foi en lui. Nous avons tous, à la maison, foi en lui. Nous savons qu’il y arrivera. » Pour sa part, Jerry Lai Cheong King explique : « Ma femme joue le rôle de père et mère à la fois depuis que je suis en prison. C’est une énorme responsabilité. D’autant que nous avons un enfant, adolescent, et que mes parents vieillissent. Je souhaite ardemment, quand j’aurais terminé ce Bsc en Management, prendre la relève du business familial et être plus présent pour les miens. »
C’est en 2001 que Jerry Lai Cheong King est jugé. La sentence tombe : 45 ans de servitude pénale. Pourtant, au départ, rien ne prédestinait cet enfant de Port-Louis à se retrouver derrière les barreaux. Enfance classique, avec des parents qui travaillent dur, études secondaires au collège Royal de Port-Louis et départ pour une université de Durban, où il étudie le Fashion & Design… « C’est vrai que j’ai toujours voulu approfondir mes connaissances et faire ma formation en gestion », laisse-t-il tomber avec un sourire, avant de poursuivre : « Li dan nou, sa ! » Faisant référence à son patronyme chinois et la prédilection de cette communauté pour le commerce. « Mais en grandissant, j’ai opté pour la filière Fashion & Design. Parce que c’était dans l’air du temps. Maintenant, j’ai l’occasion de revenir à mon premier amour. »
Bon vivant, Jerry Lai Cheong King a aussi toujours le mot pour dérider au bout des lèvres. Ce qui ne l’empêche pas d’être également très lucide. « J’ai certainement commis une grosse bourde. Si c’était à refaire, je ne referais jamais la même erreur. Mais cette expérience m’a aussi grandi et m’a apporté beaucoup de choses positives. » L’homme a cependant bénéficié d’une remise de peine de 30 ans, ce qui fait qu’il sortira de prison en 2017.
Grosses erreurs
Outre les sports – il pratique notamment le tai-chi et suit des cours de yoga –, Jerry Lai Cheong King figure parmi ces détenus qui sont sélectionnés comme « peer ressource persons ». Il est affecté, tout comme Eshan Dotip d’ailleurs, au sein du Centre Lotus, où sont dirigés les détenus ayant des problèmes avec des addictions diverses. « Nous établissons des liens entre détenus pour les aider à mieux gérer leurs dépendances », explique notre interlocuteur.
Son propos est repris par le deuxième détenu lauréat de la bourse de l’Open University, Eshan Dotip : « Qui mieux que nous, qui sommes également détenus et connaissons les souffrances et les difficultés de cette condition, sont en mesure d’être à l’écoute et de soutenir nos codétenus ? » Dans cet esprit, Eshan Dotip et quelques autres détenus ont d’ailleurs créé une nouvelle association, le Groupe Résolution (voir plus loin).
Également marié, ce détenu de 41 ans était un « self made man ». Il explique : « J’avais plusieurs bureaux comptant pour mes affaires dans la capitale, notamment au NPF Building et à la Jade Court. » Ses études secondaires ont été complétées dans deux institutions très connues de la capitale. Eshan Dotip admet « avoir commis une très grave erreur » Poursuivant, il dit avoir appris « les rouages des affaires, que je mène grâce à un homme d’affaires indien, Venkat, que j’ai rencontré lors d’un de ses voyages à Maurice ».
Depuis petit, cet enfant de Port-Louis souhaitait, lui aussi, se lancer à son propre compte. Mais la vie au sein des siens est totalement bouleversée quand, en 1989, son père, pilier de la maison, décède. « J’étais en Form V, se souvient-il. Ma mère, Amroze, n’a pas flanché. Elle s’est coupée en quatre pour que je continue malgré tout mes études et que je termine le cycle secondaire. » Ce que fait Eshan Dotip. Quelques mois après, il lance son propre business et découvre cet univers. Avec l’aide de l’Indien Venkat, il voit ses projets avec plus de visions… « L’homme avait un talent inné pour le business », reconnaît notre interlocuteur.
Puis, un jour, c’est le cauchemar : « J’avais 25 ans. Un client n’arrivait pas à me rembourser ce qu’il me devait et m’a fait une proposition pour rentrer dans mes frais : accepter un cargo de drogues. » Avec le recul, E. Dotip accepte sans concession qu’il a « commis une grave erreur », poursuivant : « Sur le moment, je ne jugeais pas la portée de mon action. Je ne pensais qu’à me refaire financièrement. Rien d’autre. » Et c’est ainsi qu’il se fait attraper et est condamné. Eshan Dotip est en prison depuis 1997. « Je n’ai bénéficié d’aucune remise de peine, dit-il, mais je vais sortir en 2016. Et avec ce Bsc en Management, je pourrais reprendre une nouvelle voie. »
S’agissant de la force qui l’a motivé et ce qui l’a permis de ne pas baisser les bras, E. Dotip se fond en remerciements à l’intention de sa « janoo », sa « bien-aimée », expliquant : « Elle est tout pour moi : ma force, mon courage, mes rêves… Elle a fait énormément de sacrifices. Aujourd’hui, si j’ai résisté et si je continue à persévérer, c’est grâce au soutien du Créateur et de ma « janoo ». »
Jerry Lai Cheong King et Eshan Dotip vont démarrer leurs cours à distance, dispensés par l’Open University, dans peu de temps. Ils remercient également le CP Bruneau pour « son soutien indéfectible » ainsi que le personnel des prisons « pour leurs encouragements ».

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