PRIX DES CINQ CONTINENTS — OIF ET LE MAURICIEN : Traité des peaux, de Catherine Harton (extrait)

« Fari est assis sur le vieux canapé usé de Jo, les policiers s’activent autour de lui, donnant des aspects de fourmilière à l’intérieur de la chaumière, la même tapisserie glaciale orne le salon, cette vision sera à jamais gravée dans la mémoire de Fari, une tapisserie de roses bleues usée au possible mais adhérant parfaitement au mur. Il s’allume une cigarette, la lumière du cadran n’éclaire qu’une partie du salon, Fari voit son ombre projetée sur le mur, ses mouvements désespérés se dédoublent, un homme s’empare du dossier sur le canapé, il l’ouvre délicatement, chaque document est examiné comme s’il s’agissait d’un spécimen rare.
Fari gruge un de ses ongles, le sang emperle son majeur mais il ne s’en préoccupe pas.
– Ton doigt saigne, tu devrais le nettoyer ; ça fait combien de temps que tu es ici ?
– Je ne sais pas, une heure, je dirais, je ne sais pas combien de temps ça m’a pris pour vous téléphoner. J’ai perdu la notion du temps.
– D’accord, ne te presse pas, si tu ne peux pas me décrire les événements dans l’ordre complet, ça ne fait rien. On verra plus tard.
– Je me rappelle que la tapisserie était froide dans la chambre, elle avait l’air d’encadrer le lit, puis j’ai remarqué que le crucifix n’était pas droit.
– Il y avait quelque chose d’autre d’inhabituel ?
– Non, à part qu’il faisait incroyablement froid, il n’y avait pas lumière non plus, à l’exception de celle du cadran.
– Tout était à sa place ; enfin, quelque chose a été déplacé ?
– Pas que je sache, je n’ai pas visité les autres pièces.
– Il avait des dettes ?
– Hum.
– Beaucoup de dettes ?
– La tannerie est fermée, Monsieur.
C’était le directeur, comme tu le sais, il avait l’impression qu’il était responsable de la fermeture, il ne me l’a pas dit clairement, mais je le sais. Il se sentait responsable de nos emplois, de nos vies de celles de nos familles, il se sentait responsable des morts éventuelles ; vous savez ce que font les pêcheurs lorsqu’ils ne peuvent plus pêcher ?
– …
– Il recevait parfois des lettres de menaces venant de groupes écologistes ; tu sais comment nous sommes perçus ? Tu imagines comment les Européens nous voient ? Des sauvages ! Des barbares ! Cette responsabilité-là, il la portait tous les jours. Mais il se tenait droit devant l’UE et les patrons danois de la G. Greenland. Il est lui-même danois, un Danois qui a appris à vivre comme un Groenlandais.
[…]

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