PROCÈS ICAC V/S PRAVIND JUGNAUTH : Le jugement et la sentence

C’est jeudi dernier, 2 juillet, soit deux jours après que la Cour intermédiaire l’avait déclaré coupable de conflit d’intérêts dans l’acquisition par l’État de la clinique MedPoint, que Pravind Jugnauth a pris connaissance de sa sentence : douze mois de prison avec sursis commués en services communautaires.
Pravind Jugnauth était, rappelons-le, poursuivi en Cour intermédiaire par la Commission indépendante anticorruption (ICAC) en sa capacité d’ex-ministre des Finances du défunt gouvernement PTr-MSM-PMSD (2010 -2011), sous la charge « d’avoir, en tant qu’officier public, participé au processus de prise de décisions qu’un corps public se devait de prendre tout en sachant que ses proches (en l’occurrence son beau-frère, Dr Kishan Malhotra et sa soeur, Shalinee) avaient des intérêts personnels dans l’affaire ».
Les faits reprochés remontaient au 23 décembre 2011 et tombaient sous le Prevention of Corruption Act (POCA). Pravind Jugnauth avait plaidé non-coupable et réclamé la radiation de l’accusation. Il se dit maintenant déterminé à mener un « long combat » pour faire casser sa condamnation en Cour d’appel.  
L’accusé avait retenu les services d’une armada d’avocats composée de Me. Ravind Chetty (Senior Counsel), Raouf Gulbul, Rascheed Daureeawoo et Melle S. Ramsamy. De son côté, l’ICAC avait délégué Me Kaushik Goburdhun (avocat) comme unique représentant de la poursuite, mais assisté par des prosecutors.
La défense avait avancé comme arguments principaux : (i) que l’arrestation de Pravind Jugnauth avait été arbitraire parce qu’avant même d’avoir écouté sa version des faits, la commission anticorruption avait déjà décidé qu’elle allait l’arrêter ; (ii) qu’il s’était retiré du conseil des ministres quand le projet du gouvernement d’acheter la clinique MedPoint était discutée, cela afin de ne pas être associé à la décision ; (iii) qu’en tant que ministre des Finances, il n’avait d’autre choix que de signer le chèque de Rs 144,7 millions représentant le coût d’achat de la clinique après que toutes les décisions s’y rapportant avaient déjà été avalisées par les autorités compétentes dont le secrétaire financier, le Central Procurement Board, le Valuation Office et, surtout, le conseil des ministres.     
Dès mardi dernier, les magistrats Niroshni Ramsoondar et Azam Neerooa avaient rejeté ces arguments. « Rien dans les procès-verbaux n’indique que l’enquête de l’ICAC menée en 2011 avait été injuste envers l’accusé car, à l’instant même où il se rendait dans les locaux de la commission, il savait exactement ce dont la commission lui reprochait et avait, de plus, choisi d’écrire lui-même ses dépositions »…. « Que l’accusé se soit retiré du conseil des ministres afin d’éviter toute association au dossier, ce point n’a aucune pertinence parce que ce n’était là pas le principal reproche qui lui était adressé mais plutôt celui d’avoir finalement signé », ont-ils souligné.
Devant la tournure tout à fait inattendue qu’avait pris les événements mardi, « très déçu de la décision de la cour intermédiaire », Pravind Jugnauth a choisi de démissionner mercredi matin de son poste de ministre des Technologies et de l’innovation. « Par respect à mes principes » et pour « faire passer les intérêts du pays avant les miens », devait-il assurer, tout en continuant à clamer son « innocence » et en annonçant qu’il ferait appel devant la Cour suprême contre toute formes de condamnation.
L’ICAC réclamait l’emprisonnement
Cependant, en démissionnant du gouvernement, Pravind Jugnauth entendait aussi permettre à son principal homme de loi, Me. Ravind Chetty, d’utiliser ce geste pour plaider un « acquittement » en sa faveur. Ainsi, non seulement Me. Chetty a soutenu que la démission de Pravind Jugnauth a été « le sacrifice ultime de l’accusé/le sacrifice de sa carrière politique », mais il a également prié la Cour intermédiaire de comprendre « qu’une condamnation à la prison qui découlerait d’une faute, somme toute de nature purement technique (soit la signature finale au dossier MedPoint), pourrait valoir à l’accusé des sanctions disciplinaires qui nuiraient totalement sa carrière d’avocat ».   
Les magistrats ont soutenu que l’accusé, un ministre du gouvernement au moment du délit et au jour de sa condamnation, a été trouvé coupable d’une offense à la section 13 (2) de la Prevention of Corruption Act
(POCA) tel qu’amendé par la section 4 (b) de l’Acte No. 1/2006. À ce titre, il est passible à la servitude pénale pour une période ne dépassant pas dix années au terme de la section 13 (3) de la POCA. Toutefois, les sentences optionnelles dont dispose la cour sont un Probation Order, la décharge absolue, la décharge conditionnelle, l’emprisonnement, une sentence d’emprisonnement suspensif commuable en services communautaires ou la servitude pénale ne dépassant pas dix ans.
Le représentant de l’ICAC, M. Goburdhun a, lui, fait ressortir que l’offense était sérieuse, punissable de servitude pénale et a fait références à plusieurs condamnations antérieures prononcées par la Cour intermédiaire par rapport à des cas similaires.
« Il n’y a pas de corruption… »
Les magistrats ont mis l’accent, dès le départ, sur le fait qu’il n’y a pas eu de corruption comme telle. Tel que le définit depuis 2005 l’Organisation de la commission de développement européenne, organisme réunissant neuf pays états-membres, le « conflit d’intérêts n’est pas la même chose que la corruption. Quelquefois, il y a conflit d’intérêts là où il n’y a pas de corruption et vice-versa. Par exemple, un officier public impliqué dans la prise d’une décision dans laquelle il a un intérêt privé peut agir en toute équité et selon la loi et, conséquemment, il n’y a pas là de corruption ».
Pour les magistrats, « on ne peut pas être plus clair que cela — un cas de conflit d’intérêts peut aussi ne pas être un cas de corruption — et il n’y a pas de preuve quelconque de quelque corruption dans cette affaire. Ou d’une preuve de quoi que ce soit que l’accusé a bénéficié d’un gain monétaire ».
Toujours selon eux, « il est plus pertinent de noter que l’accusé a également un casier vierge, ce qui est un solide trait atténuant… qu’il été trouvé coupable uniquement pour sa participation à la décision qu’il fallait prendre pour réallouer de fonds afin de payer MedPoint Ltd à la demande du ministère de la Santé et de la Qualité de la vie… et que l’accusé a confirmé sa participation quand il s’est agi de décider de la provenance des fonds pour le paiement convenu à MedPoint ».
Pour les magistrats Ramsoondar et Neerooa, « la nature de la décision, à savoir si elle était collective ou individuelle, majeure ou mineure, n’aurait eu aucune incidence par rapport à la conclusion de culpabilité de Pravind Jugnauth. Cependant, quand il s’agit de prononcer la sentence, elle prend toute son importance afin que cette sentence soit la plus justifiée, appropriée et individualisée ».
« … mais, il y a perception »          
Toujours selon les magistrats, l’accusé Jugnauth possède des traits définitivement atténuants — dont un casier vierge — qui rendent inappropriée toute peine d’emprisonnement dans les circonstances données. Toutefois, on ne peut démentir que l’offense qui a été commise est toujours « sérieuse » et appelle à une sanction sévère.
« Conflit d’intérêts est équivalent à une rupture du devoir public qu’un officiel public doit au public. Dans la présente affaire, il y a ample preuves que l’accusé a volontairement et imprudemment pris part au processus de prise de décision quoiqu’à l’avant-dernier stage. Selon lui, il n’avait pas le choix que de signer et d’approuver étant donné que toutes les décisions avaient déjà été prises.
Il n’est pas correct de dire que l’accusé n’avait d’autre choix dans les circonstances données. En fait, M. Yip (ndlr : directeur du Budget par intérim au ministère des Finances) a témoignée à l’effet que le ministre des Finances pouvait déléguer son pouvoir au secrétaire financier (voir page 35 des transcriptions des procès verbaux du 22/01/2015).
L’accusé paraît avoir été sous la fausse impression et avoir été mal guidé à l’effet que son approbation et sa signature étaient acceptables et que son acte était normal. Mais, comme nous l’avons dit dans notre jugement, cela ne dépend pas de ce qu’il croit être correct. Le fait concret est qu’il a participé dans le processus de prise de décision concernant la réallocation des fonds alors que son proche y avait un intérêt personnel et cette participation dans les circonstances données est absolument interdite sous la section 13 (2) de la POCA.
En ce faisant, l’accusé a créé une situation de conflit d’intérêts, de telle manière qu’il y a une perception d’influence ou de faveur (bias). La gravité de l’offense, la perception de faveur est tellement évidente dans cette affaire au vue des relations frère/soeur entre l’accusé et Mme. S. Malhotra, la possibilité ignorée par l’accusé qu’il pouvait déléguer ses pouvoirs au secrétaire financier, son imprudence en prenant part au stade ultime du processus sont des raisons suffisantes pour que soit appliqué un terme d’emprisonnement suspensif pouvant être commuée en services communautaires. Nous sommes arrivés à cette conclusion après avoir bien considéré la décision qui avait été prise par la Cour suprême en 2013 dans l’affaire Pem v/s l’État ».

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