Projet hôtelier à Bel Ombre — Mise à mort de cinq zones naturelles sensible

La South Coast Heritage Zone est encore une fois au cœur de l’actualité, et pour les bonnes raisons. Quelque 500 mètres de plages, dans le Sud de l’île à Bel Ombre, seraient sous menace de privatisation. C’est ce qu’affirme et dénonce le groupe citoyen Aret Kokin Nu Laplaz. Dans un document de plusieurs pages, AKNL relève les nombreuses lacunes que comporte le permis Environmental Impact Assessment (EIA) octroyé au groupe West Coast Leisure Ltd le 14 août. Une décision qu’AKNL conteste catégoriquement.
La campagne de sensibilisation auprès de la population sur l’impact négatif de projets hôteliers dans la South Coast Heritage Zone s’intensifie. AKNL multiplie les actions auprès des autorités, avec notamment la soumission d’une plainte auprès du Environment and Land Use Appeal Tribunal (ELAT) contre le projet hôtelier de West Coast Leisure Ltd. « Nous assistons ces derniers mois non pas à la braderie de nos plages, mais à la très grande braderie de Maurice. Voilà dans les faits comment ce gouvernement célèbre les 50 ans de notre indépendance », soutient AKNL dans un communiqué de presse émis officiellement en début de semaine.

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Eaux usées riches en nitrate et phosphates

Si un EIA Report devrait comporter tous les éléments relatifs à l’impact environnemental d’un projet, celui émis par West Coast Leisure Ltd fait omission de points cardinaux. Un oubli qui semble être passé inaperçu auprès des autorités, qui ont tout de même approuvé le rapport. Alarmé par l’inaction, voire la « complicité », de l’État dans l’octroi d’un permis EIA « incomplet » alors que la zone concernée est « protégée », AKNL met les points sur les “i” en publiant tous les faits et éléments relatifs à cette affaire. S’il est écrit noir sur blanc dans les recommandations de l’État au groupe West Coast Leisure Ltd que « public access to the sea and the beach shall be clear of any encumbrance and the public shall have free and unrestricted access thereto both during construction and operation phase », le groupe ANKL émet des réserves.

Pour cause : tout porterait à croire que ce projet hôtelier pourrait être le début d’un vrai massacre écologique. C’est ce que soutient d’ailleurs le Coastal Survey at Bel Ombre and Review of EIA by West Coast Leisure Ltd realisé par Coastal Land and Marine Solutions (CLAMS) Ltd, qui a été soumis au Tribunal de l’Environnement par AKNL. Dans le document de plusieurs pages, CLAMS démontre point par point les défaillances de ce projet hôtelier qui se situe à proximité de sites protégés par l’État.

Il y est ainsi clairement expliqué qu’il existe cinq Environmentally Sensitive Areas (ESA), soit des zones naturelles sensibles, sur le site et qu’étonnamment, nulle mention n’a été faite à ce sujet dans l’EIA licence octroyée à West Coast Leisure Ltd. « Aucune mention ni dans le rapport EIA du promoteur ni dans la licence EIA du Ministère de la présence d’Environmentally Sensitive Areas (ESA) sur le site et à toucher du site. Il y en a cinq : 2 wetlands qui longent l’arrière du site (wetlands 84 et 85) ; 1 système dunaire classé « high priority conservation » et qui englobe tout le site (Sand Dune & Beach 63) et 2 colonies de coraux immédiatement en face dans le lagon (Reef formations B02 et B08) », est indiqué dans le rapport de CLAMS et par AKNL.

Le lagon de cette partie vierge de Bel Ombre menace donc d’être anéanti. « Aucune évaluation de l’impact de l’hôtel sur le lagon alors que c’est un hôtel de plage, pieds dans l’eau, en face d’un des derniers lagons du pays encore préservés et riche en coraux. Ce n’est pas un hasard que ce lagon en pleine santé se trouve en face d’un sand dune system et ses wetlands associés. C’est un écosystème côtier encore relativement intact. Ce système côtier sera détruit », ajoute AKNL. Des propos confirmés par CLAMS Ltd : « The diversity of corals observed within the area is considered as very good and comprises of mainly Acropora sp., Porites sp and Montipora sp. […] A good diversity of fish was also observed and comprises of the usual reef herbivores, carnivores and predators. »

Outre le lagon, la biodiversité marine abondante pourrait souffrir de ce projet hôtelier, au coût de plus d’un milliard de roupies. Notamment à cause de la « prolifération artificielle des algues » provoquée par le taux élevé de nitrate et de phosphates, soit des fertilisants présents dans les eaux utilisées pour l’irrigation des plantes. Des eaux qui seront évidemment déversées dans le lagon. Si à cet effet l’EIA licence préconise au groupe West Coast Leisure Ltd un Wastewater treatment plant pour traiter les eaux usées, l’on n’explique pas ce qui sera fait de cette eau ensuite. « Quelles sont les normes que le promoteur devra respecter concernant ces eaux usées qui finiront dans le lagon et dans les wetlands ? Uniquement les water quality standards for irrigation use. Ceux-ci, notamment, n’imposent aucune limite sur le niveau de phosphate qui peut être déversé et met un plafond bien haut concernant les nitrates. Nitrates et phosphate sont des fertilisants qui boostent la croissance des algues. La prolifération artificielle des algues détruit la biodiversité des lagons et des wetlands », indique AKNL.

Par ailleurs, le rapport de CLAMS Ltd fait ressortir, preuves à l’appui, que « le site se trouve au sein du ESA Sand Beach & Dune 63 dont le conservation status est high priority. » Et selon les estimations d’AKNL, « pas moins de 12 500 m3 de sable seront creusés et remplacés par du béton. Les plantes endémiques (ex : liane batatran) qui retiennent le sable en surface et donc protègent le système dunaire seront enlevées sur au moins 10 000 m2, voire sur tout le site de l’hôtel pour son landscaping, soit plus de 40 000 m2. »

« Aucun hôtel de plage ne doit être construit »

La destruction de dunes pourrait causer une érosion côtière conséquente, comme l’indique le rapport de CLAMS. « Sand dunes are au important component of the dynamic beach system. Dunes trap windblown sand, store excess beach sand, and serve as a reservoir of sand that provides a natural erosion buffer, protecting coastal properties during storms. »
Une bataille de pot de terre contre pot de fer. C’est ainsi que l’on pourrait décrire le combat que mène AKNL contre ce grand groupe hôtelier. « Les citoyens ordinaires n’ont pas à leur disposition une armée d’avocats et d’experts, qui seraient de surcroît en permanence disponibles et qui travailleraient cadeau », soutient le groupe. En sus de l’aspect financier, les membres d’AKNL avancent que les 21 jours mandataires pour loger un appel au tribunal de l’environnement contre une licence EIA ne sont pas suffisants. « Pour rendre cela virtuellement hors de portée du Mauricien lambda, la Finance Act de 2016 est venue imposer qu’avant 21 jours, les plaignants doivent tout soumettre, c’est-à-dire l’argumentaire intégral des avocats contre la licence EIA ainsi que les rapports des experts, rapports indispensables pour prouver les arguments légaux. Non seulement ce dossier intégral doit-il être remis au tribunal, mais également des copies certifiées du dossier complet soumis doivent être servies par huissier sur toutes les parties concernées », déclare AKNL.

Un obstacle majeur aux citoyens qui souhaiteraient dénoncer un projet et alerter les autorités. « Le ministère de l’Environnement a cessé de travailler. Rappelons que le ministre Étienne Sinatambou, en 2004, alors avocat activiste environnemental, s’était battu personnellement contre les projets d’hôtel à Bel Ombre. Il est scandaleux que cette même personne, à présent ministre de l’Environnement, entérine la mise à mort de cinq ESA à Bel Ombre. De même, le ministère du Logement et des Terres continue à trahir la population et à violer la loi. La National Development Strategy dit clairement qu’aucun hôtel de plage ne doit être construit entre Blue Bay et Baie-du-Cap. Il reprend les délimitations pour le développement touristique contenues dans le Tourism Development Plan 2002 », déplore AKNL.

AKNL à la police de Bel Ombre ce matin

Comme annoncé durant la semaine, le Collectif Aret Kokin Nu Laplaz sera au poste de police de Bel Ombre aujourd’hui à partir de 8h30 pour déposer une plainte contre l’assèchement du wetland se trouvant sur le site du projet hôtelier de West Coast Leisure LTD. AKNL a fait état dans son communiqué de « puits qui ont été creusés et de la terre jetée pour assécher les wetlands à l’arrière de l’hôtel. C’est illégal. » Aussi, le collectif prépare actuellement un dossier sur Bel Ombre et Pomponette qui sera remis au National Audit Office (NAO) et à l’ICAC, avec demande de rencontre officielle avec les directeurs de ces institutions. Une enquête sur les ministères de l’Environnement et du Logement sera demandée. S’agissant des wetlands, la licence EIA demande au promoteur d’obtenir une autorisation du National Ramsar Committee pour son projet. AKNL a écrit officiellement au National Ramsar Committee pour demander qu’il rejette la demande du promoteur.

La riche biodiversité menacée

Les conclusions de l’enquête sur la région côtière de Bel Ombre, menée par CLAMS Ltd, sont accablantes. Si rien n’est fait, et si l’État mauricien ne fait pas preuve de vigilance, l’on risque de détruire une partie du patrimoine naturel de l’île. Nous rapportons verbatim ce que dit le rapport. « All of the above should have been preserved in their actual shape and having a hotel development as that proposed will degrade each one of them. This has been the case for several other regions of Mauritius whereby the coastal and marine environment has degraded due to development, including hotel development, on sand dune systems as well as between the sea and the wetlands like at Trou Aux Biches and Flic en Flac. The EIA license recognises that the hotel will have an impact on the lagoon. But it does not evaluate the impact nor does it establish protective thresholds to be respected, based on the present health of the lagoon and how much impacts the lagoon’s biodiversity can take. »

West Coast Leisure Ltd : « Nous faisons tout dans les règles »

Dans le cadre de cet article, nous avons essayé de contacter Nawaz Khan Chady, promoteur de West Coast Leisure Ltd, mais en vain. Nous sommes tombés sur son assistante, visiblement dépassée par l’intérêt que portent les médias au groupe. D’un ton agacé, elle nous a lancé que nous allions « peut-être » avoir un retour du directeur. À l’heure où nous mettions sous presse, nous n’avons pas pu mettre la main sur Nawaz Khan Chady. Son assistante a juste eu le temps de nous expédier avec un « nous faisons tout dans les règles as per the recommandations of the ministry. » Affaire à suivre.

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