Pyneesamy Padayachy : « La lutte d’Anjalay a permis la légalisation des syndicats »

Auteur d’Anjalay, pièce de théâtre publié en 2003 en anglais, Pyneesamy Padayachy, OSK, vient de lancer la version kreol de son livre après une version en tamoul sortie en janvier 2018. Pour l’auteur de ‘Cheers for Quadricolour’, poème patriotique écrit dans le cadre du 45e anniversaire de l’Indépendance et mis en musique par Philippe Gentil, « la langue kreol acquiert de plus en plus d’importance. On prend conscience de son rôle pour la nation mauricienne et pour l’unité des Mauriciens ». Il est d’avis que « le kreol a sa propre beauté. C’est une langue musicale ». L’importance d’Anjalay vient selon lui du fait que sa lutte a porté des fruits posthumes, à savoir, « la légalisation des syndicats, la lutte en faveur des travailleurs et de l’Indépendance ».

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Vous venez de publier la version kreol de votre livre Anjalay qui existait déjà en anglais (2003) et en tamoul (2018). Qu’est-ce qui vous a motivé à le traduire en kreol? 

C’est pour que le livre puisse être accessible à davantage de personnes car tout le monde comprend le kreol à Maurice. Je pense qu’il est important que les travailleurs et les syndicalistes connaissent l’histoire d’Anjalay qui a milité en faveur des travailleurs et qui a sacrifié sa vie pour leur cause.

Vous avez tenu à avoir une version kreol de votre ouvrage. Cette langue est importante à vos yeux?

Ah oui, très importante. La langue kreol acquiert de plus en plus d’importance. On prend conscience de son rôle pour la nation mauricienne, pour l’unité des Mauriciens. C’est une lingua franca (langue véhiculaire utilisée par les marins européens autour du XVIe siècle dans le bassin méditerranéen pour communiquer). L’anglais est la langue officielle du pays. Le français est parlé dans une grande mesure et le kreol dans une plus grande mesure encore.

Êtes-vous en faveur de l’utilisation du kreol à l’école?

Oui, car c’est la langue qui est la mieux comprise par les élèves. La reconnaissance de la langue kreol augmentera au fil du temps.

Vous dites avoir choisi un « kreol scintillant » pour cette traduction. Que voulez-vous dire par « scintillant »? 

C’est un kreol qui fait plaisir à entendre. J’ai eu recours à beaucoup d’idiomes kreol.

Vous êtes-vous fait aider pour la traduction en langue kreol?

Non.

Cela vous a pris combien de temps pour traduire le livre?

Environ deux mois.

Vous travailliez tous les jours pendant ces deux mois? 

Presque.

À 87 ans, le désir d’écrire est toujours présent en vous?

Oui.

À qui doit-on la version en tamoul ? 

Un jour, Vimala Nadaraja Pillay, une tamoule de Mysore, en Inde, est venue à Maurice. Elle avait lu le livre en anglais et a été impressionnée. Touchée par l’histoire et par mon style d’écriture, elle a eu l’idée de traduire le livre en tamoul. La traduction a été publiée et lancée à Chennai. J’étais présent au lancement le 14 janvier de cette année à l’occasion du Chennai Book Fair. J’ai fait un discours en tamoul à cette occasion. La traduction est d’un très bon niveau.

Comment comparez-vous l’expérience de l’écriture d' »Anjalay » en anglais et sa traduction en kreol? 

C’est tout à fait différent car la version anglaise a été écrite dans un anglais classique et littéraire. Un critique a dit que mes pièces ont des accents shakespeariens. Dans le livre du President’s Fund for Creative Writing in English, on a publié un extrait de mon livre Anjalay et on y parle de  » (…) shakespearian influence in both treatment and language (…) « .

Qu’en est-il de la traduction en kreol? Quel est le style que vous y adoptez? 

Le kreol est une langue à part. Elle a sa propre beauté. C’est une langue musicale.

C’est la première fois que vous traduisez un livre en kreol? 

Oui, cela a été une expérience très intéressante.

Cela a été facile pour vous de trouver les mots ou termes équivalents en kreol? 

Oui.

Quelle est votre version préférée: l’original, la traduction en tamoul ou en kreol? 

L’original! C’est un livre classique qui a été accepté par les universités d’Oxford et de Cambridge de même que par la National Library à Londres. Les trois plus grandes bibliothèques d’Angleterre ont accepté mon livre. Quant à la traduction en kreol, j’ai un ami qui m’a demandé des copies pour les créolophones français (Haïti, la Martinique, la Guadeloupe etc.).

Avez-vous rencontré des obstacles lors de la traduction d’Anjalay

Non. Jusqu’ici, beaucoup de ceux qui l’ont lu l’ont bien apprécié. Le livre fait 55 pages.

À l’époque, qu’est-ce qui vous avait motivé à écrire « Anjalay »?

Quand j’étais enfant, j’habitais tout près du Jardin de la Compagnie, à Port-Louis. J’assistais régulièrement aux meetings. J’avais à peu près treize ans à l’époque et je me mêlais aux grévistes qui venaient de la campagne pour protester contre leurs conditions de vie. J’étais témoin de ce que disaient ces grévistes, j’entendais leurs doléances, ce qu’ils se disaient entre eux et j’étais profondément chagriné par leurs vécus. C’est ce qui m’a profondément marqué et influencé depuis cette époque-là. Et puis, l’histoire de Maurice m’a toujours intéressé. J’ai écrit beaucoup d’articles historiques dans des revues. J’ai pris conscience de l’importance historique d’Anjalay.

Qu’est-ce qui vous interpelle le plus dans l’histoire d’Anjalay? 

Elle a milité pour la cause des travailleurs mais aussi ce que son histoire a eu comme répercussions sur la société.

Pensez-vous que le kreol devrait avoir sa place au Parlement? 

Il y a beaucoup à faire avant qu’une telle chose puisse se concrétiser. Mais, cela viendra un jour.

Au-delà de cet obstacle, êtes-vous en faveur de l’introduction du kreol au Parlement?

En temps et lieu, cela viendra.

Qu’est-ce qui vous lie à l’écriture?

J’ai toujours été intéressé par la lecture. J’ai passé toutes mes heures perdues à lire.

Que lisiez-vous? 

J’ai lu toutes les pièces de Bernard Shaw, beaucoup des pièces de Shakespeare et beaucoup d’œuvres historiques.

Quelle est votre filière de formation? 

J’ai étudié à Maurice car à l’époque je n’avais pas assez d’argent pour aller étudier à l’étranger. J’étais secrétaire permanent au sein de plusieurs ministères dont celui des Coopératives.

Quand vous écrivez, c’est davantage le théâtre qui vous attire?

C’est vrai que le théâtre me passionne plus. Quoique j’ai écrit beaucoup de poèmes aussi. Mon poème Cheers for Quadricolour (2013) a été traduit en français par un Réunionnais, Gérard Canabady Moutien. Ensuite, le poème a été traduit en hindi, en tamil et en urdu. Cela a été publié à 10 000 exemplaires par le ministère des Arts et de la Culture à l’occasion du 45e anniversaire de l’Indépendance. Le texte a été distribué dans les établissements scolaires, centres sociaux et centres communautaires. J’ai aussi publié un autre livre culturel et historique sur Maurice et l’Inde en 2015 intitulé Fragrant Garland. 

Lors du lancement de la version en kreol d' »Anjalay » le président par intérim Barlen Vyapoory a émis le souhait que l’histoire soit portée sur scène. Comptez-vous entamer des démarches en ce sens?

La pièce en anglais a remporté le premier prix à l’issue de l’English Drama Festival, à Maurice. La version en kreol a été présentée cette année au Kreol Drama Festival au cours de ce mois.

La version kreol de votre livre était déjà sortie?

Non, ils ont pris le ‘script’. La pièce figure parmi les pièces finalistes et la finale aura lieu en novembre. Après cette compétition de pièces de théâtre en kreol, le président de la République par intérim a demandé à Gaston Valayden et d’autres de faire le nécessaire pour porter sur scène de manière professionnelle la pièce en kreol.

Il a aussi suggéré d’enregistrer la pièce afin qu’elle soit léguée aux générations futures…

Oui, c’est très important que les jeunes prennent connaissance de l’histoire d’Anjalay.

Aviez-vous reçu beaucoup de spectateurs pour la mise en scène d' »Anjalay » en anglais en 2007?

Oui! La pièce a été jouée au théâtre Serge Constantin à Vacoas et au théâtre de Port-Louis.

Pensez-vous pouvoir toucher un plus grand public à travers la mise sur scène de cette pièce en kreol?

Oui, il y aura certainement beaucoup de personnes.

A-t-on dans notre société mauricienne d’autres figures emblématiques de la personne qu’a été Anjalay à l’époque?

Je ne pense pas. Mais, il y a d’autres dames qui sont à la tête de syndicats et qui font leur travail. On ne peut les juger.

Anjalay a contribué à la naissance des syndicalistes. Comment voyez-vous le monde syndical aujourd’hui? 

Après la mort d’Anjalay, le gouvernement anglais a nommé une Commission d’enquête qui a fait plusieurs recommandations en faveur des travailleurs. Mais, le plus important, c’est que la commission a recommandé la légalisation des ‘trade unions’. Cela a permis la création de syndicats et la montée de syndicalistes comme Emmanuel Anquetil et Guy Rozemont pour les artisans et Harrydev Ramnarain et Sharma Jugdambi pour les laboureurs. Les leaders syndicaux ont fait de la politique, ce qui a renforcé les partis politiques comme le Parti Travailliste. Et, le parti a milité pour la cause des travailleurs et a apporté l’Indépendance. C’est là la répercussion de la lutte menée par Anjalay…

Quel regard portez-vous sur le monde syndical aujourd’hui? 

Les mouvements syndicaux ont connu beaucoup d’essor. Ils sont aujourd’hui bien présents et forts. Nous avons beaucoup de syndicalistes compétents.

Trouvez-vous qu’on a fait du progrès en termes de conditions de travail depuis la lutte d’Anjalay?

Certainement. On a fait beaucoup de progrès. Autrefois, c’était la misère noire.

Vous avez été pendant de nombreuses années engagé au niveau d’organisations socio-culturelles. Quel est votre point de vue sur la participation des politiciens aux événements religieux?

Ils peuvent participer en tant que dévots mais pas pour prononcer des discours politiques.

Vous avez écrit une première pièce intitulée Capture of Mauritius qui a remporté le premier prix lors d’une compétition organisée par la English Cultural Association en 1953.

Oui, c’était à l’âge de 21 ans. C’est une pièce en deux scènes qui n’a jamais été publiée mais je compte la publier prochainement. Cela met en scène la prise de l’île Maurice par les Anglais en 1810.

Avez-vous d’autres projets d’écriture?

L’année prochaine, je publierai peut-être un autre livre dont j’ai écrit une partie déjà. Le livre sera un mélange de genres: poèmes, articles et pièces de théâtre.

Vous écrivez tous les jours? 

Quand j’ai du temps. When I am in a mood… J’écris d’abord sur du papier. Ensuite, je tape sur l’ordinateur.

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