Quelque part sur la Terre

Quelque part sur la Terre, dans un futur proche. Rafi contemple, désabusé, ce qu’il reste de sa plantation de légumes. Autant dire rien, ou si peu de chose. Idem pour l’exploitation de la rizière qu’il partage avec ses voisins. La tempête Sanija est passée par là. Et dire qu’on est encore qu’à la moitié de la saison cyclonique. Bien que, comme le dit si bien Rafi, « il n’y ait plus de saison ». Depuis quelques années, les catastrophes se multiplient dans cet endroit du monde, déjà lourdement affecté par la pauvreté. La misère, d’ailleurs, Rafi la connaît bien. Mieux : elle fait partie intégrante de sa vie, pour l’avoir en réalité toujours connue. Pourtant, il faut admettre que ces dernières années auront été plus dures que d’habitude.
Sur le chemin de la maison, Rafi réfléchit à la manière d’annoncer la nouvelle à sa femme, Fariha. Pour elle, la vie aussi est loin d’être facile. Faire bouillir la marmite est chaque jour un casse-tête plus compliqué encore. Enfin, après avoir traversé sur plusieurs kilomètres rizières et plantations, toutes dans le même état que les siennes, Rafi arrive au village. Devant sa petite maison, de bois et de tôles, l’attendent Fariha et son ami Shuvo. Rafi tente un sourire. Sans conviction. Shuvo comprend très vite que les nouvelles ne sont pas bonnes. Comment pourraient-elles l’être ? Lui qui habite le village voisin, en bord de mer, n’a pas plus de chance. La pêche non plus ne donne plus rien. L’océan s’est acidifié, l’exploitation intensive a eu raison d’une multitude d’espèces marines et, comme si ça ne suffisait pas, l’eau continue de monter. En 30 ans seulement, Shuvo aura dû quitter deux villages, aujourd’hui noyés.
À quelques milliers de kilomètres de là, sur un autre continent, Malek tente de sauver ce qui peut l’être de son petit verger. Cela fait maintenant 50 jours qu’une seule goutte de pluie n’est plus tombée. Les puits sont quasiment à sec et le thermomètre affiche 49°C. À la nuit tombée, entouré de Salma, sa femme, ainsi que Marwan, Doja et Ahme, ses enfants, il aime raconter de vieilles histoires, se rappelant sa jeunesse, lorsque les abeilles butinaient encore, avant qu’elles ne finissent par disparaître. Ou encore de la coquette maison qu’il habitait autrefois avec son père, engagé comme beaucoup d’autres dans l’exploitation pétrolière, jusqu’à ce que l’or noir finisse lui aussi par manquer.
Mais ce qu’aime plus que tout Malek, c’est de s’inventer de nouvelles aventures. Il se voit ainsi quitter ses terres avec sa famille pour le nord, traverser la mer et trouver asile dans des régions moins touchées par la misère. Un doux rêve, mais un rêve tout de même, il le sait. Avant lui, d’autres ont d’ailleurs essayé. Certains sont revenus plus misérables encore; d’autres encore se sont engagés auprès de milices armées de l’Ordre du Réchauffement, en guerre contre ceux qui leur auront fermé leurs portes. Comme beaucoup d’autres réfugiés climatiques, certains de ses amis seront morts sur le champ de bataille. Sa seule option : tenter de sauver ses arbres, coûte que coûte. S’il n’y arrive pas, Dieu seul sait ce qui arrivera.
Deux histoires distinctes, deux drames humains aux mêmes conséquences. Bien sûr, elles n’ont pas encore eu lieu. Mais il est hélas presque certain aujourd’hui qu’elles arriveront un jour. Du moins en prenons-nous bien le chemin. Si l’on ne réduit pas notre impact carbone, autrement dit nos émissions de gaz à effets de serre, la température sur Terre augmentera d’un minimum de 4°C par rapport à l’ère préindustrielle d’ici la fin du siècle, et même bien avant, selon un nombre de plus en plus important d’experts. Quant aux conséquences, on peine à en évaluer la réelle ampleur tant elles paraissent encore inimaginables en l’état. Une chose est certaine, si l’on continue sur notre lancée :
– L’océan va continuer à se réchauffer et s’acidifier;
– L’élévation du niveau des mers se poursuivra;
– Un milliard de réfugiés climatiques se presseront aux portes de l’Europe d’ici 50 ans au plus;
РLe volume des glaciers diminuera de moiti̩;
РUne esp̬ce animale et v̩g̩tale sur trois disparątra;
– La sécurité alimentaire ne sera plus assurée, notamment dans les régions dépendant de la pêche ;
РLes rendements c̩r̩aliers chuteront;
– Les ressources d’eau potable baisseront drastiquement dans de nombreuses régions;
– Les inondations, ouragans et glissements de terrain seront plus nombreux et intenses;
РDes guerres ̩clateront pour acc̩der aux ressources vitales.
Et ce n’est encore qu’une « partie de l’iceberg », expression d’ailleurs dont l’on ne servira bientôt plus, si ce n’est peut-être par nostalgie. D’où la question : qu’attendons-nous pour réagir ? D’autant que Maurice n’est en rien à l’abri de telles catastrophes, loin de là. Rafi, Fariha, Shuvo, Malek, Salma, Marwan, Doja et Ahme ne sont peut-être encore aujourd’hui que des enfants, mais n’oublions pas qu’ils pourraient très bien être un jour les nôtres.

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Michel Jourdan

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