Qui ne dit mot consent

Beaucoup l’ont dit : en se comportant comme un chef d’État, Pravind Jugnauth aurait pu sortir grandi de la pandémie et gagner ses galons. Malheureusement pour lui, les stratégies calamiteuses de ses conseillers et les agissements de ses nominés et autres protégés
politiques le tirent plus vers le bas que vers le haut. Plus au niveau d’un petit chef de parti rancunier, intolérant, utilisant l’appareil d’État pour punir et se venger de ceux qui le critiquent ou se moquent de lui qu’à celui d’un chef d’État qui sait prendre la hauteur et laisser dire. Derniers exemples de cette stratégie du boomerang qui, inévitablement, se retourne contre celui qu’elle est censée glorifi er. Il y a quelques semaines, en pleine période de confi nement, alors que le pays tout entier redoutait les retombées sanitaires et économiques du coronavirus, que fait l’IBA, institution dont le président est un nominé
politique notoire ? Elle exhume une déclaration faite par Xavier-Luc Duval alors qu’il était leader de l’opposition sur l’IBA. Pour avoir diffusé une déclaration mettant en cause la manière dont la licence des deux dernières radios privées a été attribuée, Top FM est condamnée à ne pas émettre pendant deux jours. En ce faisant, l’IBA a augmenté de
façon extraordinaire l’audience de Top FM, faisant d’elle une victime des abus de pouvoir attribué au Premier ministre. La deuxième tentative de l’IBA de s’en prendre à Top FM pour d’autres propos d’un autre de ses invités n’a fait qu’augmenter son audience.

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D’autant que Top FM a obtenu que la Cour suprême ordonne à l’IBA de geler sa
deuxième procédure visant à punir la radio. Comme si cette déconvenue ne suffi sait pas, les conseillers du PM ont décidé de frapper — ou plutôt essayé — de frapper un grand
coup médiatique pour montrer qu’on ne badine pas avec l’image du Premier ministre. Au MSM, ce n’est pas toléré, comme aurait dit son père. Pour réagir à un post sur les réseaux sociaux se moquant du Premier ministre et de sa capacité supposée à arrêter l’épidémie
de coronavirus — avec, il faut le reconnaître, une phrase injurieuse —, des mesures sont prises. Une internaute qui avait reçu et partagéele post, comme des centaines d’internautes, est arrêtée par la police, passe la nuit en prison avant d’être traduite en cour le lendemain et doit verser une caution pour sa libération. Pour faire bonne mesure,
ses deux avocats sont verbalisés parce qu’ils n’avaient pas le permis de circuler pour sortir de la prison et aller en cour pour défendre leur cliente. L’arrestation de l’internaute et ses péripéties font le buzz sur les réseaux sociaux et la manière dont l’État mauricien applique la démocratie et les libertés est, une fois de plus, montrée du doigt. Le buzz généré autour de cette affaire pousse des centaines d’internautes à aller découvrir le post ayant poussé la police à utiliser les grands moyens. L’arrestation de l’internaute a provoqué un buzz sur les réseaux sociaux et poussé des centaines d’internautes à partager la nouvelle version où la phrase insultante a été remplacée par une autre rappelant à Pravind Jugnauth qu’on l’avait pendant longtemps surnommé « Premier ministre l’imposte ». Une fois de plus, une action
censée profi ter à Pravind Jugnauth n’a fait que se retourner contre lui et le ridiculiser.
Puisque nous parlons des réseaux sociaux, restons-y.

Depuis jeudi après-midi, a été mis en ligne un message émanant d’un policier qui raconte qu’en faisant une patrouille dans le sud du pays, il est tombé sur des consommateurs dénonçant un marchand de légumes, de fruits et d’oeufs qui vendait ses marchandises à des prix exorbitants. Comme plusieurs ministres ont dénoncé à la télévision ces marchands qui affament la population en cette période de confi nement, en augmentant les prix de leurs produits, le policier a fait son devoir. C’est-à-dire qu’il a verbalisé le marchand et saisi ses produits. À peine rentré au poste de police, raconte le policier, il a reçu des instructions de ses supérieurs pour rendre au marchand les produits saisis. Après une petite enquête, le policier s’est rendu compte que les instructions de rendre les produits au marchand qui abusait des consommateurs avaient été données par un ministre. Pourquoi est-ce que la police, si rapide pour aller arrêter une internaute qui n’a fait que reposter un message sur les réseaux sociaux, n’a pas immédiatement réagi sur l’affaire du marchand de légumes et ouvert une enquête sur celui qui a donné des instructions pour lui rendre ses marchandises ?

Parce que, comme disaient certains agents du MSM à l’époque, « gouvernman dan nou lamé » ? On dira sûrement que les décisions de suspendre Top FM, d’arrêter l’internaute ou de rendre ses légumes au marchand malhonnête ne sont pas le fait de Pravind Jugnauth. En l’absence d’une réaction ferme du Premier ministre sur les cas évoqués, on a peine à croire — à tort ou à raison — que de telles manoeuvres aient pu être initiées sans
son autorisation. Ou celle que ses conseillers qui prétendent l’avoir
obtenue. Comme l’affirme un fameux proverbe : qui ne dit mot consent.

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