Réflexions sur le financement des partis politiques

Fonder un journal avec l’argent des capitalistes pour défendre les travailleurs, ainsi s’exprimait avec interrogations, Emmanuel Anquetil, le père fondateur du syndicalisme mauricien et un des cofondateurs du Parti travailliste. Cette réflexion pourrait a fortiori s’appliquer également à tout parti politique qui se respecte. Mais les élections du 10 décembre de l’année dernière, la 24è dans notre histoire politique, nous ramènent hélas à la dure réalité que l’argent est toujours au centre de toute joute électorale ici où ailleurs.
Si l’on remonte aussi loin possible, on constatera que de 1886 à 1947 les députés n’étaient même pas rétribués durant tout leur mandat, car ils appartenaient, à de rares exceptions, à la classe des oligarques ayant des affinités avec l’industrie sucrière. Le titre d’honorable conféré à tout membre du Conseil dès 1826 était apparemment suffisant pour ces messieurs. Il faut attendre la Constitution de 1948 qui mit fin au vote censitaire, pour voir les honorables membres être payés. Les honoraires étant alors fixés à Rs 500 l’an à l’opposé de Rs 68,400 le mois à ce jour.  
Si les élections de 1948 avaient vu un amalgame de partis politiques, de syndicalistes et d’indépendants, les élections qui s’ensuivront vont démontrer l’alignement des candidats à travers leurs formations politiques respectives. Les travaillistes autour de Guy Rozemont et de Renganaden Seeneevasen et le Parti Mauricien autour de Jules Koenig. Avec Sookdeo Bisondoyal qui préconise la nationalisation de l’industrie sucrière, le secteur sucrier ne prend pas de risques et donne son support financier et logistique au Parti Mauricien et au Parti travailliste pour damner le pion à Independant Forward Bloc IFB. Puis viennent les élections de 1959 au suffrage universel.
L’enjeu fut considérable. Le nombre d’électeurs passa de 72,000 à 208,726 et le nombre de circonscriptions de 5 à 40. Les emblèmes électoraux : clé, coq, arrosoir, fontaine, balance, étoile font leur apparition, car en 1959 une majorité de Mauriciens vit encore en analphabètes. La tâche des partis politiques fut considérable pour sensibiliser un électorat ignorant de la chose politique.
Les années soixante au siècle dernier vont être caractérisées par des campagnes intenses autour du thème de l’indépendance. Des réunions monstres vont être organisées rassemblant des foules considérables. Tout ceci ne se fait pas sans de moyens financiers énormes. Outre l’industrie sucrière, les grandes firmes commerciales, les banques et autres organisations privées et des individus vont être appelés à contribution. Les réunions monstres organisées à Port-Louis, à Curepipe et à Quatre-Bornes vont dévorer des sommes considérables. Transport de sympathisants, bannières, oriflammes, agents électoraux, affiches et papeteries pour ne parler que de ceux-là. On se souvient encore de ces réunions attirant des foules considérables pour marquer l’arrivée de Anthony Greenwood et de John Stonehouse du Bureau des Colonies avec des foules dépassant les 100,000 à 150,000 personnes à la place du quai à Port-Louis et à Curepipe répondant à l’appel de Gaëan Duval et du Dr Ramgoolam. Sans nul doute, les dépenses pour le déplacement de ces véritables marrées humaines auront été conséquentes 
Mais qui gère ces sommes astronomiques mises à la disposition des partis politiques ? Le mystère reste entier. Pour le Parti Mauricien, le grand capital avait toujours un des leurs pour contrôler ces sommes données. Gaëtan de Chazal, Christian Rivalland, ou encore Rico du Mée en furent des trésoriers connus. Le Parti travailliste avait Kisnasammy Sunnassy, Anjini Chettiar pour ne citer que ceux-là. On connaît moins les affaires du CAM et de l’IFB. Toujours est-il que le financement des partis politiques était entré dans les moeurs et se pérennisa bien après l’indépendance. Les donataires en avaient pour leurs comptes. Le IFB de Sookdeo Bissondoyal avait bien du mal à mobiliser les fonds nécessaires, pour mener à bien sa compagne électorale. On se souvient des collectes faites lors des meetings publics de ce dernier, qui avaient soulevé bien des critiques et de railleries des partis adverses.
Les généreux donataires n’étant pas des organisations charitables espérèrent bien en retour des faveurs du pouvoir en place tant et si bien qu’au fil des temps, le financement des partis politiques par les différents donateurs devint au centre des pratiques corruptives à Maurice. A ces sommes généreusement dispensées, il convient d’ajouter commissions et autres rétro-commissions en récompense pour l’allocation de contrat pour faire ou ne pas faire tout projet qui aiderait ou handicaperait ces hommes d’affaires qui pensent que tout politicien a un prix.
Au demeurant, souvent les trésoriers des partis politiques n’existaient que de nom, le leader du parti étant seul dépositaire des dons, commissions et autres retro-commissions sans en avoir à rendre compte. C’est ainsi qu’en Afrique, les chefs d’État se sont fait des fortunes pharaoniques grâce aux dons et commissions et retro-commissions reçus dépassant souvent la trésorerie de leurs pays respectifs.
Autre aspect à retenir, est que le grand capital ne prend pas de risques, surtout avec la bipolarisation du paysage politique Mauricien, car les nantis se gardent bien de mettre tous leurs oeufs dans un seul panier.  
C’est dire que ceux qui détiennent les rênes du pouvoir peuvent tout faire. « Celui qui peut légiférer, peut tout », dit le proverbe et les hommes d’affaires ne le savent que trop. Tous hauts fonctionnaires en service qui oseraient dire No Minister savent que les portes de grands pachas sont grandes ouvertes pour mettre fin à leur carrière en cas de désaccord. Souvent un simple coup de fils en haut lieu, peut faire transférer le fonctionnaire retors qui oserait dire No Minister ! Pour ce dernier, en voie de garage, une retraite prématurée semble être la seule porte de sortie.
On peut tout faire moyennant que l’on soit dans les bonnes grâces du pouvoir pensent tous ceux qui ont aidé le parti à accéder au pouvoir. Cette approche a fini par être au centre des pratiques corruptives qui ont gangrené notre paysage politique. Affairisme et trafic d’influence ont leurs origines dans l’existence de politiciens aux mains sales.
Mais que dit la loi à Maurice, en l’occurrence la Représentative of the People’s Act de 1958, loi qui régit la Electoral Service Commission organisme responsable pour l’organisation des élections et des partis politiques :
En vertu de l’article 56 dudit projet de loi, tout candidat au cours d’une élection générale ne peut dépenser plus de Rs 250, 000, alors qu’un candidat posant sous la bannière d’un parti ne peut défrayer plus de Rs 150,000. Private funding must be channeled through a nominated election agent who is required to give full account of all income and expenditure to the Returning officer within 6 weeks after election.
Au demeurant, la Representation of the People’s Act de 1958 as amended ne fait même pas mention comme il se doit de l’existence des partis politiques et aucun cadre légal pour le contrôle financier de leurs activités. C’est dire que cette loi doit être repensée complètement. Les 12 élections générales qui ont eu lieux depuis que le pays à accéder à son Independence ont été l’occasion pour les politiques de s’enrichir. Le triste spectacle que les coffres-forts de l’ex-Premier Ministre à Riverwalk ont offert aux téléspectateurs démonte la faillite de notre arsenal juridique concernant le contrôle financier des partis politiques.
Présentement en absence de toute disposition légale, un parti politique peut amasser autant d’argent de généreux donataires sans avoir à en rendre compte ni au Commissaire électoral ni à quiconque.
Tous ceux-ci pour dire qu’il est grand temps que le gouvernement fraichement sorti des urnes se penche sur la problématique du contrôle financier des partis politiques et des politiques en générale. La corruption est une pratique qui est en train de gangrener toute notre société et a des racines profondes. Dans le jargon local, « sac vide pas capable dibout », « la monnaie di thé », ou encore : « mo pas publier ou la peine », sont des expressions connues à l’adresse des fonctionnaires dépositaires du pouvoir de faire ou de ne pas faire respecter les règlements. C’est dire qu’au-delà d’une commission d’enquête sur le financement des partis politiques, il est impératif qu’une autre commission se penche sur les pratiques corruptives existantes dans le secteur tant public que privé. Nous vivons dans une société gangrenée par les pratiques corruptives. Inspirons-nous des lois et règlementations en vigueur dans les pays tels la Suède, la Hollande, la France, le Royaume et les États-Unis. Le cadre juridique mis en place pour démasquer les politiciens véreux en France et en Italie devrait nous en inspirer. On connaît les tracasseries de Nicolas Sarkosy, ancien président de la République française, dans l’affaire de financement occulte de la milliardaire Liliane Bettencourt. 
Personnellement nous pensons que la démarche de financement des partis politiques par l’Etat serait salutaire en contrepartie des contributions des membres, des sympathisants et syndicats affiliés, alors que des donations et autres contributions bénévoles de la part des entreprises privées ou d’individus doivent faire l’objet des réglementations appropriées. Il est impensable que les gens puissent s’enorgueillir d’appartenir à un parti politique sans toutefois contribuer le moindre sou pour son bon fonctionnement. C’est sous ces conditions que l’Etat apporterait une contribution à la mesure du poids de chaque parti en lice. Les partis politiques incapables de rallier moins de 5% des suffrages à toutes consultations n’en seraient pas éligibles. Ces mesures ayant pour but de réduire la dépendance des partis politique au grand capital et des nantis sans scrupules. Il ne faut pas désespérer de l’île Maurice ! 

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