RELANCE DU FOOT LOCAL : Chronique d’un échec annoncé ?

La récente annonce de la relance de notre football à travers une ligue semi-professionnelle en incluant les équipes traditionnelles a vite fait la Une de l’actualité tant les plus sceptiques voient dans cette décision la possibilité de voir resurgir une montée du communalisme alors que les plus nostalgiques se frottent les mains à l’idée de pouvoir être à nouveau derrière leurs équipes fétiches. C’est justement ces derniers qui ont dû être les conseillers de ceux qui ont décidé d’un retour à l’ancien système car il n’est un secret pour personne, notamment ceux se trouvant dans le giron footballistique ou sportif en général, que certains militaient depuis quelques années pour le retour des fameux Sunrise, Fire Brigade, Cadets ou Scouts Club. Leurs motivations et seul argument sont lorsque les ex-gloires de ces clubs – ou lorsqu’ils jouent sous la bannière des Golden Stars – font un match de gala dans certaines régions de l’île, l’affluence est beaucoup plus conséquente que celle dans nos stades les jours de compétition officielle. C’est un fait et nous ne pouvons qu’acquiescer.
Papi Jacky ne va pas rechausser les crampons !
Mais là où les supporters de cet argumentaire pourraient lourdement se tromper, c’est dans le motif des gens à aller voir ces anciennes équipes : à la fois l’assimilation de ces clubs à l’image de certains joueurs qui ont marqué les esprits et des buts extraordinaires. En évoquant le Sunrise, le Cadets ou le Scouts Club, les exploits d’Ashley Mocudé, de Rajesh Gunesh ou d’un Saleem Moussa sont les premières images qui nous viennent à l’esprit. C’est notamment le souvenir de leurs prouesses en terre locale ou sur la scène internationale qui motive les gens à aller les revoir. Or, si nous organisons à nouveau un championnat avec ces équipes, à moins d’être naïf, on voit mal – par exemple – un Jacques Jackson, alias Papi Jacky, rechausser ses crampons pour entamer à nouveau la compétition ! Les équipes vont devoir faire appel à de jeunes joueurs qui sont pour l’instant pratiquement inconnus et il n’est pas forcément sûr que le public suivra…
Retourner à l’ancien système est, vu d’un certain angle, la solution qui semble la plus envisageable « sans trop se creuser les méninges » pour ameuter la foule dans les gradins. On ne peut revenir à ce système sans se pencher sur la qualité du football – l’élément déterminant pour le rendre ce qu’il est devenu aujourd’hui : un spectacle. Ni oublier les passions que peuvent déchaîner un match à haute tension (Scouts-Fire Brigade le 23 mai 1998 au Stade Anjalay) d’autant que ces dernières années, le football reste pratiquement le seul sport où le racisme a fait son apparition de manière très ouverte dans les tribunes (notamment en Italie et en Russie). Il faut chercher plutôt les raisons de la faillite de notre football ; les motifs qui l’ont placé aujourd’hui dans un état léthargique sont multiples.
On n’aurait jamais dû l’interrompre longuement après les malheureux évènements de L’Amicale (les Anglais n’ont jamais cessé de jouer après les drames de Hillsborough ou de Heysel), ni laisser la destinée de ce qui était notre sport roi entre les mains des mêmes personnes qui – année après année – ne parviennent pas à sortir notre football du gouffre. Guerres intestines, réformes incessantes et incohérentes, calendrier du championnat constamment chamboulé, formation pyramidale pour les jeunes quasi inexistante, plan d’assurance pour les joueurs à déplorer, etc. sont autant de situations regrettables que les journaux rapportent.
Il n’est pas question ici de faire le procès de quiconque mais de proposer humblement quelques idées qui pourraient aider notre football à décoller de nouveau car critiquer sans émettre de propositions ne sert pas plus qu’un ballon crevé sur un terrain de foot.
1. Un Think Tank national
Avant de se lancer tête dans le guidon et investir 10 millions de roupies sans trop connaître l’ampleur du retour sur investissement, les instances gouvernementales et la MFA pourraient créer un Think Tank national d’une durée déterminée via des plateformes multimédias afin d’en tirer le maximum de bonnes idées pour la meilleure réforme de la part de ceux qui souhaiteraient apporter leur contribution au football puisque ce projet est avant tout l’affaire de tous les Mauriciens et non de quelques décideurs en vase clos. Dirigeants, joueurs, anciens joueurs, entraîneurs, arbitres, sponsors pourraient faire partie du panel de décision.
2. Amener le football vers le public à travers une vraie régionalisation
Dans l’état actuel de notre régionalisation prônée par les instances régulatrices, un match entre un ASPL 2000 (Port-Louis) et ASVP (Vacoas/Phoenix) peut se jouer parfois au… Stade Anjalay (Belle Vue) ! D’où un échec total depuis des années car les gens ne vont pas se déplacer pour la qualité de notre football tel qu’il se pratique actuellement et cela se répercute sur les joueurs qui ne ressentent aucune pression venant des tribunes. Ce qu’il faudrait, c’est amener le football vers le public et non le contraire. Les équipes doivent jouer à domicile dans leurs régions respectives. Il existe plusieurs petits “stades” à travers le pays (Solferino, La Source, Camp Levieux, Casernes, Curepipe, etc.) – comptant même une logistique d’éclairage permettant aux équipes d’évoluer le soir – qui pourraient constituer une réponse. On n’a pas besoin de remplir des stades de 25, 000 spectateurs mais avec l’apport et la construction de ces petits stades (terrains aux normes, vestiaires et gradins de 300 places) offrant la possibilité aux équipes d’évoluer à domicile devant un public régional qui aura peut-être la possibilité d’encourager un proche, ami ou voisin, cela peut être un succès comme tel est le cas à La Réunion.
3. La télévision, concurrent direct (Fire/Sunrise ou Manu/Liverpool ?)
Beaucoup se remémorent le Vieux stade George V plein à craquer lors des joutes Fire Brigade vs Sunrise. Toutefois, il nous faut vivre avec notre temps. Nous sommes aujourd’hui dans un contexte permettant d’autres loisirs (centres commerciaux, pubs, etc.) que d’aller au stade comme au 20e siècle. Un de ces éléments est l’arrivée des chaînes satellitaires dans notre paysage audiovisuel avec une multitude de matchs des plus grands championnats en direct pendant tout le week-end, des émissions spécialisées sur le foot avec à la clé les commentaires très éclairés de consultants, généralement d’anciens grands noms de la planète foot. Comment la MFA compte-t-elle attirer les spectateurs au stade un dimanche après-midi pour un nouveau Fire/Sunrise lorsque se joue à la même heure un Manchester/Liverpool, quand on sait que les Mauriciens sont friands de ce genre de derby en étant entre proches ou amis à domicile ou dans un pub ?
Il s’agit là d’une question non négligeable. La baisse considérable de spectateurs en Italie après que la chaîne Mediaset avait commercialisé en 2005 des cartes pay per view permettant de regarder sur petit écran tous les matches des principaux clubs (Juve, Inter, Milan) est un flagrant exemple du pouvoir de la télé. On pourra toujours évoquer l’assistance en Angleterre comme contre-argument, reste que nous n’avons pas la même culture footballistique à Maurice.
L’idéal serait peut-être de prendre ainsi de l’avance en faisant jouer les matches les vendredis soirs dans les petits stades cités plus haut tout en permettant l’accès gratuit sur une période de trois ans afin que les gens se familiarisent de nouveau avec le football local.
4. Le betting
S’il existe un moyen d’inciter les Mauriciens à s’intéresser de nouveau au football local, c’est peut-être à travers le betting. Si le parieur mauricien a aujourd’hui la possibilité de miser sur des équipes du championnat russe, polonais, turc ou ukrainien, il n’y a aucune raison pourquoi ils ne pourraient pas le faire sur les équipes locales. A travers le betting, ils seront certainement amenés à scruter régulièrement le classement des équipes avant toute mise, voire à aller les encourager. Une certaine pression pèsera sur les joueurs et cela influera sur la qualité. Nous avons déjà l’avantage d’avoir un garde-fous existant en la Police des Jeux, et les plus pessimistes apprendront qu’en dépit du scandale de match truqué frappant le championnat turc (notamment le Fenerbahce), les Mauriciens ont encore la possibilité de miser sur ce championnat à l’heure actuelle !   
5. Couplage régionalisation, ancien système et modèle FMSC
Même si un retour à l’ancien système semble être un échec annoncé, il ne faut pas abandonner toutes les idées sans les avoir analysées ou utilisées. Nous avons connu ici un système qui a eu du succès, une régionalisation jamais appliquée dans sa juste proportion et un modèle qui marche avec la ligue de football de la Fédération Mauricienne des Sports Corporatifs (FMSC). Un couplage de ses trois ingrédients pourrait déboucher sur quelque chose d’intéressant si quelques têtes pensantes décident de prendre le taureau par les cornes d’autant que le Ministre des Finances parlait d’une Ligue semi-professionnelle. En prenant les équipes de foot des firmes comme Padco ou Pharmacie Nouvelle (deux équipes qui comptent des joueurs de première division en leur sein) et en les remodelant en une équipe régionale (genre Padco Riche Terre FC ou Pharmacie Nouvelle Pailles S.C), nous pourrions aboutir à des clubs comme Supersport Utd en Afrique du Sud où le branding apportera un lot très intéressant, attirera de nouveaux sponsors et permettra aux joueurs employés par la firme de concilier travail et entraînement. Mais aussi et surtout d’avoir les chefs de ses entreprises comme dirigeants de leurs équipes où ils mèneront les affaires avec le professionnalisme qui est le leur.
6. La formation, le nerf de la guerre
Michel Platini le répète souvent, au football le plus important c’est le contrôle. Ils sont beaucoup nos joueurs de première division qui n’ont même pas les bases académiques du football puisqu’ils ont appris sur le tas. Cela se vérifie lorsqu’on joue contre les équipes d’un niveau plus élevé sur la scène internationale. C’est pour cette raison, qu’il faut un plan de formation à court, moyen et long terme pour que les joueurs puissent avoir une cohérence dans leur cheminement sportif. Nous avions dans le passé le CNFF qui a produit des joueurs d’excellents niveaux comme Johnny Hurrunghee, Robert Rateau (pionnier dans le championnat réunionnais), Orwin Castel ou David Lapunaire. Il fut un temps où les joueurs de ce centre arrivaient à prendre le dessus sur le Caméroun (2-1 aux Championnats d’Afrique Junior de Football), voire remportaient des tournois de jeunes (St Brieuc, Bobigny, Gothia Cup). Ils avaient un tel niveau que Désiré Periatambee et Jerry Louis ont pu poursuivre leur formation à Auxerre (sous Guy Roux) et à Bordeaux (sous Gernot Rohr) respectivement. Nous pourrions aller à nouveau dans ce sens en signant des accords d’échanges avec des équipes européennes de championnat de moindre envergure (Belgique, Suisse, Portugal) comme le font l’Ajax Cape Town et l’Ajax d’Amsterdam afin de faciliter la formation pour que nous ayons quelques joueurs de haut niveau. Pendant que nous avons cessé de produire de très bons joueurs, La Réunion a pu sortir Laurent Robert (ex-PSG, Newcastle), Guillaume Hoareau (ex-PSG), Dimitri Payet (Marseille).
7. Gestion
Si nous nous dirigeons vers un modèle semi-professionnel, comme indiqué plus haut, il nous faudra des dirigeants d’une fédération sérieuse, qui aura à coeur d’oeuvrer pour l’avancement, l’épanouissement et l’avenir d’un sport et de l’image du pays. Nous ne pourrions plus donc nous contenter de cet amateurisme de débutant où nous avons eu au sein de la même fédération un Président local et un Président international comme ce fut le cas tout dernièrement. Rien que cette anecdote démontre l’ampleur de la tâche et l’état du football local.
Les pages de notre football peuvent être glorieuses de nouveau car nous n’avons pas encore écrit l’histoire qui pourrait la rendre ainsi. Il ne tient qu’à nous, Mauriciens, de l’écrire. A compter de 2014, écrivons là tous ensemble !

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