RENCONTRE | Catherine Prosper, fondatrice de Linion Fam : « Pa banaliz laviolans! Zordi se enn kalot ek apre demin se lamor»

Linion Fam, regroupement de citoyens engagés dans le combat contre la violence domestique, avait tenu une marche pacifique le 26 octobre 2019 dans les rues de Port-Louis. Le but étant de dire « stop aux violences conjugales faites aux femmes ». Catherine Prosper, fondatrice de Linion Fam, s’est démarquée en faisant comprendre que « la violence ne doit pas être banalisée ». Elle-même victime et survivante, elle se dit aujourd’hui « libérée et délivrée » d’un lourd fardeau. Elle a su tenir tête à son bourreau en mettant un frein définitif à cette relation toxique. Une relation basée sur l’amour et qui s’est soldée en indifférence. Mieux préparée aujourd’hui, elle se donne une deuxième chance en se faisant la voix de ces autres femmes battues et qui n’arrivent pas à sortir de cet enfer conjugal.

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« Pa banaliz laviolans. Zordi se enn kalot, demin se enn koud pwin, apre demin se lamor. Lamars li pa enn finalite, samem komansman », martèle Catherine Prosper. Âgée de 27 ans, détentrice d’un Bachelor of Arts with Honors en Histoire et Sciences politiques de l’université de Maurice (UoM), Catherine ne pensait pas avoir à vivre un enfer conjugal. Active dès son jeune âge, elle a eu un premier combat qui portait sur la sensibilisation à travers le VIH/Sida, sans savoir que son frère allait quelques années plus tard mourir de cette maladie. « Depuis son décès appris sur le tard alors qu’il était en phase terminale, j’ai décidé de faire mon deuil à ma manière », dit-elle. 

Le destin allait pourtant prendre un autre visage et c’est au sein de son couple que Catherine a commencé à se sentir comme une étrangère, et ce pendant quatre ans de relation. « Des gifles, des coups, l’étranglement, j’ai subi de la violence physique et verbale sans me rendre compte que je m’étais emmurée dans une relation qui allait être le début d’un calvaire », indique-t-elle.  Un lourd fardeau qu’elle portera durant quatre ans.

Des mots lourds de sens, qui cinglent et qui renvoient à chaque femme battue cette image de femme qui subit dans le silence, avec dans le sillage, un système judiciaire archaïque qui minimise la violence domestique. Un jour, relate Catherine, un mot de trop a tout fait basculer. « Mon conjoint revenait de la cour et il m’a lancé : “To kone monn al lakour. Mazistra dir mwa monn zifle, monn trangle twa, ris to seve.” J’ai rétorqué : “Amwin tonn bliye tou seki tonn fer.” Il est resté  silencieux, et m’a ensuite répondu : “Mo finn get mazistra-la monn riye”. » Ce simple mot a fait comprendre à Catherine Prosper que son conjoint ne changera jamais d’attitude. Des coups à l’humiliation, elle décide que sa dignité de femme prendra le dessus. « J’ai claqué la porte, bloquer ma messagerie et j’étais décidée à me reconstruire à ma manière. J’ai tout simplement réappris à vivre », dit-elle.

Catherine évoque cette honte d’avoir eu à parler de sa cause de femme battue en Cour. Quand elle a tout quitté, sa réflexion était la suivante : « Swa mo kontan li plis, swa mo kontan mo mem plis. Monn swazir mo mem. En parler m’a libérée et mon combat est devenu celui des autres femmes. L’an dernier, neuf femmes en trois mois sont mortes sous les coups portés par leurs conjoints. »

L’urgence pour sortir
d’une relation toxique

C’est ainsi que le mouvement Linion Fam a été mis en place de manière spontanée suite à ces nombreux cas de femmes battues et de féminicide, car comme le dit clairement Catherine Prosper « pourquoi une loi contre la violence domestique si elle n’est pas appliquée » ? Elle ajoute : « La violence domestique ne doit plus être banalisée et il y a une réelle urgence d’agir pour sortir l’autre d’une relation toxique. » D’où la création de Linion Fam, un mouvement qui, dit-elle, s’est formé dans l’urgence d’agir, de parler et de faire savoir aux femmes battues qu’il était temps de se réveiller.

« On voyait qu’il y avait un problème dans le système judiciaire avec cette vague de féminicide qu’il y a eu l’an dernier. Moi, je l’ai ressentie dans ma peau et je sais pour l’avoir vécue ce que signifie d’être une victime. Un matin, j’allume ma radio et j’entends qu’à Rodrigues, il y a le même problème. Il était temps de réunir nos deux îles dans cet élan de combat. Le meurtre de Chancella Perrine a été un gros déclic pour moi », indique-t-elle.

Catherine Prosper parle de ce sujet avec beaucoup de retenue et est mieux placée pour comprendre la détresse des femmes victimes de l’abus de leurs conjoints : des prédateurs au double visage, celui de l’amoureux transi et de l’homme face à ses démons. « J’ai commencé sur Facebook par une sensibilisation en appelant les femmes à s’unir. De la mobilisation citoyenne de Linion Fam, il y a eu la mise en place de la plateforme “Stop Violans kont Fam” », poursuit-elle. Pour elle, le simple fait de regrouper les grandes associations en formant un collectif pour contrer la violence contre les femmes est déjà « une bonne approche ». Elle poursuit : « On a pu s’unir, alors que plusieurs victimes étaient dans l’isolement. »

Pour Catherine Prosper, le pays aspire à une  meilleure application des lois et une structure concrète pour lutter contre le féminicide à Maurice. « Il faut définitivement un code légal, une meilleure collaboration entre les autorités concernées pour la prise en charge des survivantes de violences domestiques », dit-elle. Catherine se dit « fière » que le gouvernement ait mis sur pied un High Powered Committee tout en formulant le souhait que le ministre des Finances soit inclus dans ce comité. Elle demande aussi qu’il y ait un abri ou une forme d’aide sociale pour les victimes, tout en insistant que le poste de police devrait avoir une aile spéciale, une sorte de “friendly environnement” pour accueillir les doléances de ces femmes battues.

Catherine Prosper reconnaît aussi qu’il y a un “peak” dans la montée des violences domestiques. « On voit plus cela en période de fêtes. Les femmes reviennent toujours vers leur bourreau, car elles ont peur des préjugés, ne savent pas où dormir et restent aussi souvent pour que leurs enfants ne soient pas à la rue.  Il est temps de dire “stop” et de faire valoir leurs droits aux femmes. » 

C’est en étant sereine que Catherine Prosper aborde sa vie en disant s’être donné une deuxième chance… « Il ne faut pas qu’une femme ferme complètement la porte et pénalise un nouvel amour, mais il y aura toujours ce moment difficile de refaire confiance. Il est important de parler pour se libérer. Pour l’instant, je me suis retrouvée avec moi-même. La violence conjugale est un cercle vicieux qui pousse l’autre à se sentir dévaloriser. Une fois coupée de toute relation toxique, une femme réapprend à vivre pour elle », précise-t-elle. Catherine Prosper soutient qu’une femme battue ne doit jamais « s’inventer des prétextes ». Elle poursuit : « Osez partir et retomber amoureuse de cette personne que vous avez été avant cette rencontre toxique et vous ressentirez un sentiment incomparable. »

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