Hervé Masson | Rencontre – Barbara Luc : « C’est vraiment une chance de montrer des choses très délicates d’un artiste »

Animée par la volonté de montrer le sens de la création (processus créatif) chez Hervé Masson, le relief figural, la lumière, la couleur, Barbara Luc, commissaire de l’exposition « Hervé Masson, l’art du trait, la puissance de la couleur » dévoile l’espace intérieur de l’œuvre du peintre. Poétiser l’œuvre original et rester au plus près du régime figural, de la couleur, c’est respecter l’unité organique de l’œuvre de ce peintre et préserver son originalité. Comme si en tâtonnant, on cherchait si passionnément à évoquer « l’acte pur », le culte de la liberté si impérieux. Le thème de l’exposition (pages 48-49) s’élabore en plusieurs temps : création, liberté, émotion. L’exposition est visible à la Galerie ICAIO à Port-Louis, du 25 avril au 26 juillet 2019. Tout cela ressort en clair dans quatre espaces montrant les chevaux, les courses, les paysages, les projets de livres pour Loys Masson, une salle dédiée complètement au travail sur les femmes et dans un quatrième espace les travaux sur les androgynes. Barbara Luc, spécialiste de l’œuvre d’Hervé Masson nous guide dans cette sorte de renouvellement de la lecture des œuvres du peintre.

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Vous présentez des œuvres sur papier (gouaches, lithographies, gravures, dessins) au total 70. Vous avez fait le choix d’avoir recours à des illustrations, plus claires et plus engageantes ?

– Les 70 œuvres ne sont qu’une sélection puisque le projet originel qu’on a eu avec Salim Currimjee, c’était de présenter des œuvres sur papier. Pour lui, les œuvres sur papier, c’était des gouaches, pour moi c’était des dessins. Finalement, pour nous deux, l’important c’était de tout montrer et de mettre en perspective les gouaches, les dessins, d’arrêter de cloisonner par des repères chronologiques, par des techniques, puisque le papier permet vraiment de travailler plus librement pour un artiste parce que c`est un support assez peu onéreux. On a restitué toutes les œuvres, mais on a voulu que le propos soit clair et le propos c’est entrer à l’intérieur du processus créatif d’un artiste. Il faut s’enlever de la tête l’idée qu’un artiste c’est toujours qu’une esthétique à un moment donné. En fait, l’artiste, il revisite, il essaye de nouvelles techniques.

Est-ce que ce sont des secrets d’atelier, des œuvres qui voient enfin le jour ?

– Au final, chaque œuvre est valorisée. Le repère chronologique est inscrit et on voit que les techniques ne sont pas les mêmes. Mais ce qu’on a de plus, ce sont des œuvres qui ne sont pas été mises à l’honneur, parce que ce sont des œuvres de travail d’atelier et là on a la chance de pouvoir montrer des choses beaucoup plus subtiles que des huiles sur toile qui sont des œuvres magnifiques aussi. Pour nous, cette exposition c’est une chance, parce que justement c’est un espace qui permet de montrer ces choses. Tout est inédit parce qu’en général on valorise plutôt les huiles sur toile. C’est d’autant plus inédit que pour Hervé Masson, ce qui le représente le plus aux yeux de tous, ce sont ses huiles sur toile, sublimes puisque c’est vraiment un travail de couleur savant et là, à travers les gouaches, on montre ce travail de couleur savant, même si la matière est beaucoup moins dense, mais il y a néanmoins cette magie de la lumière, de la vibration.

Est-ce que la technique de mise en couleur elle-même est un élément fondamental à prendre en compte pour que l’image fonctionne ?

– La couleur est fondamentale et savante pour Hervé Masson. Quand on regarde, par exemple, la gouache des courses de chevaux on se rend compte que finalement les couleurs envahissent tous les sujets et il ne reste plus un seul espace, le jaune qui sert de fond rentre à l’intérieur du cheval, du jockey et d’un autre espace. Donc, la couleur ne délimite pas un espace, ne correspond pas à un sujet.

La couleur c’est un peu l’écriture visuelle d’Hervé Masson, c’est son style, c`est l’identité de l’artiste ?

La couleur, c’est son identité, mais pas forcément en termes de gamme de couleurs, puisque ce que j’ai voulu montrer que ce n’est pas aussi simple de dire qu’Hervé Masson, ce sont des jaunes flamboyants, des blancs délicats, des bleus incroyables. Non, ça peut être des couleurs sombres comme dans sa période de Recloses ou de Créteil. Quand on regarde les paysages mauriciens en opposition, on se rend compte que la manière dont il traite les deux paysages est libre ; l’un dans la manière dont il doit l’apprivoiser et l’autre dans un paysage de son for intérieur, de son enfance. On sent que l’interprétation est totalement libre dans ces périodes. Ce qu’on voit beaucoup moins dans les paysages qu’il a réalisés en France, même s’il y a ce soleil incroyable qui envahit l’espace.

Est-ce que les accents du trait dominent sur la couleur ou inversement dans le cadre de réalisations figuratives ?

– Quand on voit le nu à la lampe on se rend justement que le trait est important, parce qu’il structure, mais qu’il efface le trait pour rentrer à l’intérieur de la vibration de la lumière. Donc, le trait est présent puisqu’on voit les compositions, mais la couleur prend le dessus à chaque fois. Hervé Masson reste figuratif même lorsqu’il est à la limite de la figuration avec le thème des métaphores, mais derrière, on sent qu’il y a la base de quelque chose de figuratif. Donc, il ne cherche pas à aller dans quelque chose d’abstrait. En revanche, la couleur entraîne le motif vers l’abstraction.

l Est-ce qu’après une lecture des œuvres exposées on reste dans le mystère des traits, de la couleur qui ne dévoile rien ? On est dans l’émotion pure ?

– Je pense que si cette exposition peut apporter quelque chose, c’est dire que justement il ne faut pas trop se poser de questions. Quand on regarde les couleurs d’Hervé Masson, ses traits, on est dans un rapport émotif à l’œuvre. Il a eu depuis le démarrage une tendance à effacer le sujet avec ses traits et ses couleurs, et là il suffit de se laisser emporter par les œuvres et pas forcément essayer de tout interpréter.

L’illustration possède un sens implicite ou réel. Est-ce que les images sont organisées dans une volonté de donner du sens, mais en toute liberté ?

– Il semblerait qu’il y ait dans ces illustrations une démarche narrative. Quand on regarde les androgynes, il y a un début, la naissance et une fin qui parle de la mort. Mais entre ce début et cette fin il y a la promenade, la démarche pour cueillir la pomme, la conscience et la volonté de séparer. J’ai donné ce sens narratif, mais chaque dessin peut être lu de manière séparée et on n’a pas forcément besoin de comprendre puisqu’on sait qu’Hervé Masson nous emporte dans un monde imaginaire où il vit les androgynes, puisqu’il dessine son autoportrait au sein même de ce monde.

l Concernant le livre illustré, souvent le texte est prédominant quantitativement par rapport à l’image. Les illustrations d’Hervé Masson rythment le texte ? Que pensez-vous du binôme texte-image ?

Quand on regarde la série sur la vie de Jésus, quand on regarde la série sur Les roses de Bure et autres structures on se rend compte qu’il a un esprit synthétique très fort et il travaille aussi sur les symbolismes. Dans la série sur La vie de Jésus toutes les compositions sont posées au centre d’une mandorle contrairement aux travaux préparatoires il ne fixe pas un cadre carré. Donc, il y a cette volonté de synthétiser l’illustration. Dans Les Roses de Bure, il y a une interprétation. Quand on regarde la couverture de Sens plastique de Malcolm de Chazal, on se rend compte qu’ils se connaissent très bien et on entre dans un univers. C’est illustratif, mais interprété quand même.

Est-ce qu’il joue avec la gravure pour opposer le noir au blanc ou obtenir des effets de minimalisme et la perspective ?

– La gravure lui correspond d’une certaine façon, parce qu’il a un esprit synthétique ça permet de questionner le sujet majeur, mais quand on regarde les dessins préparatoires on se rend compte qu’il est dans quelque chose de plus subtil. Je pense qu’il maîtrise la gravure, mais ce n’est pas pour moi une technique dans laquelle il était excellent. Ça vibre beaucoup moins que dans les dessins ou les gouaches.

Est-ce que dans les gouaches et les dessins le geste est surfiguratif ?

– Ça dépend des dessins. Quand on regarde des dessins représentant certains paysages de Créteil, c’est assez simple, mais tout à coup quand on regarde Les maraîchères, là il introduit ces dernières, les paysages absorbent ce sujet. A ce moment, il n’est plus dans une figuration simple, il est déjà dans un tableau. Là, on va au-delà du dessin. On est dans quelque chose qui fait que c’est l’œuvre d’un peintre. La majorité des travaux d’Hervé Masson, c’est une œuvre d’art avant tout et non pas un regard sur la société. C’est un intellectuel et sensuel, un homme qui lit énormément, il a une culture phénoménale.

Est-ce que cette exposition fera date, parce qu’il y a des créations qui voient enfin le jour ?

J’espère qu’elle fera date évidemment. Pour moi, c’est vraiment une chance de montrer des choses très délicates d’un artiste. Là on est vraiment dans la création d’un artiste. On montre des dessins où il y a des mentions de couleur. On montre des gouaches où il y a des préparations à des œuvres d’art. On est vraiment dans le processus créatif de l’artiste. Ce qui est intéressant ici c’est qu’on est dans ce qu’on ne montre pas. En général, on montre vraiment ce qui se vend, là on entre dans quelque chose de plus subtil. On entre dans des thématiques liées à l’histoire de l’art. Hervé Masson est tout à fait intégré au sein même de la création des peintres figuratifs des années 50-60 et vraiment il a sa place à l’intérieur de cette création, mais il reste un artiste original dans la mesure où on reconnaît les œuvres d’Hervé Masson même si sa manière évolue, parce qu’il traite la couleur et les compositions de manière spécifique.

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